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14/12/2017 | FRANCE | N°16-27508

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 14 décembre 2017, 16-27508


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 3 mai 2016), que la caisse locale d'assurances mutuelles agricoles des gorges de l'Ardèche (la CLAMA des gorges de l'Ardèche) qui, pendant plusieurs années, n'a pas distribué à ses sociétaires ses excédents de recettes qu'elle a conservés en "réserves libres" dont elle a confié la gestion à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Méditerranée (Groupama Méditerranée) qui est sa caisse de réassurance, a manifesté son intention de distri

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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 3 mai 2016), que la caisse locale d'assurances mutuelles agricoles des gorges de l'Ardèche (la CLAMA des gorges de l'Ardèche) qui, pendant plusieurs années, n'a pas distribué à ses sociétaires ses excédents de recettes qu'elle a conservés en "réserves libres" dont elle a confié la gestion à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Méditerranée (Groupama Méditerranée) qui est sa caisse de réassurance, a manifesté son intention de distribuer ces fonds propres à ses sociétaires sous forme de ristournes, et a réclamé à Groupama Méditerranée la remise des fonds qu'elle lui avait confiés ; que cette dernière s'y étant opposée, la CLAMA des gorges de l'Ardèche l'a assignée aux fins de voir juger qu'elle pouvait librement procéder à la distribution envisagée et voir condamner Groupama Méditerranée à lui remettre les sommes réclamées ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la CLAMA des gorges de l'Ardèche fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors, selon le moyen, que le juge ne peut dénaturer ni les termes clairs et précis ni la portée d'un contrat auquel sont assimilés les statuts d'une caisse d'assurance mutuelle agricole ; qu'en l'espèce, l'article 28, alinéa 2, des statuts de la CLAMA des gorges de l'Ardèche prévoit qu'« après prélèvement destiné à la constitution de ces provisions ou réserves [les provisions ou réserves obligatoires visées à l'alinéa 1er], les excédents annuels peuvent être répartis entre les sociétaires suivant décision de l'assemblée générale, sur proposition du conseil d'administration » ; qu'en affirmant que ce texte n'autorisait la répartition entre les sociétaires de la caisse que des excédents de l'année écoulée figurant au compte de résultat, mais non des excédents des années antérieures affectés dans les réserves libres, et figurant alors au passif du bilan sous la rubrique « capitaux propres », cependant que cet article vise « les excédents annuels » au pluriel et ne procède à aucune distinction entre les excédents de l'année écoulée et ceux des années précédentes, ces derniers auraient-ils été affectés dans les réserves libres, la cour d'appel, qui a dénaturé la portée de l'article 28 des statuts de la CLAMA des gorges de l'Ardèche, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenu l'article 1103 du code civil) ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que l'article 28 du statut de la CLAMA des gorges de l'Ardèche dispose qu'"il sera constitué par décision de l'assemblée générale des provisions et réserves pour éventualités en fonction des obligations de la caisse, compte tenu du minimum fixé par la caisse de réassurance, que l'assemblée générale peut, en outre, sur proposition du conseil d'administration, décider de la constitution de toutes provisions ou réserves justifiées par les circonstances, qu'après prélèvement destiné à la constitution de ces provisions ou réserves, les excédents annuels peuvent être répartis entre les sociétaires suivant la décision de l'assemblée générale, sur proposition du conseil d'administration", c'est sans dénaturer cette disposition claire et précise que la cour d'appel a retenu qu'elle n'autorisait la répartition, entre les sociétaires de la caisse locale, que des excédents annuels calculés, par hypothèse, chaque année, et figurant au compte de résultat, et que, dès lors que les excédents ont, au contraire, été affectés par l'assemblée générale, chaque année, dans les réserves pour éventualités ou le report à nouveau figurant au passif du bilan de la caisse locale sous la rubrique "capitaux propres", les sommes ne peuvent plus être réparties entre les sociétaires, même sous forme de ristournes ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique, pris en ses quatre autres branches :

Attendu que la CLAMA des gorges de l'Ardèche fait à l'arrêt le même grief, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la distribution par la CLAMA des gorges de l'Ardèche à ses sociétaires, même sous forme de ristournes, des sommes affectées en réserves libres, résultant des excédents annuels successifs de son exploitation, caractériserait une distribution de bénéfices contrevenant à son statut légal et à son objet non commercial, ce qui autoriserait à déroger au principe de libre disposition par les caisses locales de leurs fonds propres, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que le bénéfice correspondant à un gain pécuniaire ou matériel ajoutant à la fortune de celui qui le perçoit, la distribution par une caisse d'assurance mutuelle d'une réserve n'a pas le caractère légal d'un partage de bénéfices, lorsqu'elle correspond au remboursement, suivant un mode particulier défini par les statuts, d'une partie des sommes perçues exclusivement en vue d'assurer son fonctionnement, et qui se sont ultérieurement révélées supérieures à ses besoins ; que la ristourne consiste à reverser à l'adhérent d'une société ou caisse d'assurance mutuelle une partie de sa cotisation, lorsque le montant des cotisations a dépassé les engagements de la société ou de la caisse ; qu'en affirmant néanmoins que la distribution par la CLAMA des gorges de l'Ardèche à ses sociétaires, même sous forme de ristournes, des sommes affectées en réserves libres, résultant des excédents annuels successifs de son exploitation, caractériserait une distribution de bénéfices contrevenant à son statut légal et à son objet non commercial, ce qui autorisait à déroger au principe de libre disposition par les caisses locales de leurs fonds propres, la cour d'appel a violé les articles 544 du code civil et 19 du règlement général de réassurance caisses locales/caisse régionale ;

3°/ que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; que les limitations qui peuvent être apportées aux conditions d'exercice du droit de propriété dans l'intérêt général ne sauraient revêtir un caractère de gravité tel, que son sens et sa portée s'en trouveraient dénaturés ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que l'interdiction faite à la CLAMA des gorges de l'Ardèche de répartir entre ses sociétaires le montant de ses réserves libres, même sous forme de ristournes, n'équivalait ni à une spoliation dont elle serait victime, ni à une impossibilité de disposer de ces sommes, qu'elle demeurait libre d'effectuer sur ses fonds propres un certain nombre d'actes d'administration, tels que les affecter à d'autres placements prévus dont elle percevra les dividendes ou intérêts, les affecter au paiement de certaines de ses charges éventuelles survenues, ou les utiliser pour la constitution de futures réserves obligatoires, la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants à exclure que l'atteinte portée au droit de la CLAMA des gorges de l'Ardèche de disposer de ses biens dénaturait le sens et la portée mêmes de son droit de propriété, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 544 du code civil ;

4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la CLAMA des gorges de l'Ardèche, bien que fondée à solliciter le reversement par Groupama Méditerranée des sommes correspondant à ses excédents annuels de recettes réalisés à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2012, ne justifiait pas des décisions prises par son assemblée générale sur proposition de son conseil d'administration prévoyant de répartir ces excédents entre ses sociétaires, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, après avoir énoncé que l'article 28 des statuts de la CLAMA des gorges de l'Ardèche n'autorise la répartition entre les sociétaires que des excédents de l'année écoulée, rappelé qu'aux termes de l'article 19 du règlement général de réassurance caisses locales/caisse régionales, la caisse locale dispose de ses fonds propres dans la limite de son objet, constaté que la CLAMA des gorges de l'Ardèche avait fait le choix, chaque année, de placer ses excédents sur un fonds de placement auprès de Groupama Méditerranée, l'arrêt retient que les réserves libres, constituées principalement des excédents non distribués depuis de nombreuses années, font partie des fonds propres dont la caisse locale a la propriété, qu'elles sont destinées à faire face à ses charges financières futures pour garantir la sécurité de ses sociétaires et ne peuvent plus être réparties entre eux, que des règles spécifiques régissent les caisses d'assurances mutuelles agricoles, notamment en matière de réassurance, un système pyramidal étant mis en place, que ces limitations à la liberté de disposer ont une origine légale et s'imposent à la caisse locale qui bénéficie en contrepartie de la garantie de la caisse régionale, que c'est à tort que la CLAMA des gorges de l'Ardèche invoque le bénéfice de l'article R. 322-73 du code des assurances qui ne vise que les modalités de répartition de chaque excédent annuel de recettes et ne prévoit nullement les conditions d'une répartition éventuelle ultérieure des anciens excédents de recettes placés par la caisse locale d'assurances mutuelles en réserves libres et perdant ainsi leur nature comptable d'excédent annuel de recettes ;

Que, par ces seuls motifs faisant ressortir que l'interdiction faite à la CLAMA des gorges de l'Ardèche de distribuer à ses sociétaires ses fonds propres, même sous forme de ristournes, résulte de ses propres statuts et du statut légal des caisses d'assurances mutuelles agricoles, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui, en ses première, deuxième et quatrième branches est inopérant comme s'attaquant à des motifs surabondants, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse locale d'assurances mutuelles agricoles des gorges de l'Ardèche aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Méditerranée la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la caisse locale d'assurances mutuelles agricoles des gorges de l'Ardèche (CLAMA)

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté la Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche de ses demandes tendant à la distribution de ses réserves libres à ses sociétaires et à ce que la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Méditerranée soit condamnée à lui remettre la somme de 326 119,48 €, à parfaire ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE

« SUR LA DISTRIBUTION DES RESERVES LIBRES DE LA CLAMA :

L'article L 771-1 du code rural et de la pêche maritime, ancien article L 1235 du code rural ancien, dont relève la CLAMA des Gorges de l'Ardèche, est ainsi rédigé :

"Les sociétés ou caisses d'assurance ou de réassurance mutuelles agricoles qui sont gérées el administrées gratuitement, qui n'ont en vue et qui, en fait, ne réalisent aucun bénéfice, sont affranchies des formalités de publicité prescrites par l'article L 210-4 du code de commerce" ;

L'article 19 du Règlement général de réassurance Caisses locales / Caisse Régionale (pièce n° 3), intitulé "Réserves Libres" prévoit que : "La caisse Locale a la pleine propriété des fonds propres qu'elle a constitués et elle en dispose dans la limite de son objet et dans le respect des dispositions de l'article 18 précédent" ; Ce dernier est relatif au fond de réserve et renvoie à l'article 28 des statuts de la caisse locale, en l'espèce la CLAMA de l'Ardèche, en ce qui concerne les provisions et réserves pour éventualités, dont le minimum est fixé par le conseil d'administration de la caisse régionale ;

L'article 19 de ce Règlement prévoit aussi, en son alinéa 2, que : "La Caisse Locale prend toute décision nécessaire pour gérer ses fonds propres selon les dispositions de l'article 28 de ses statuts, notamment en confiant la gestion au fonds Commun de Placement destiné à valoriser les fonds propres des Caisses locales" ;

L'article 28 des statuts de la CLAMA des Gorges de l'Ardèche (pièce n° 1) stipule : "Il sera constitué par décision de l'Assemblée Générale des provisions et réserves pour éventualités, en fonction des obligations de la Caisse, compte-tenu du minimum fixé par la Caisse de Réassurance. L'Assemblée Générale peut en outre, sur proposition du conseil d'Administration, décider la constitution de toute provisions ou réserves justifiées par les circonstances. Après prélèvement destiné à la constitution de ces provisions ou réserves, les excédents annuels peuvent être répartis entre les sociétaires suivant décision de l'Assemblée Générale, sur proposition du conseil d'Administration" ;

La cour considère que c'est par des motifs exacts en fait et fondés en droit, hormis la référence superfétatoire à l'article L 322-26-5 du code des assurances, que le tribunal de grande instance de Montpellier, dans son jugement prononcé le 16 décembre 2014, a pertinemment répondu aux moyens soulevés devant lui et repris en appel par les parties, en retenant notamment que :

- les "réserves libres" figurant dans la comptabilité de la CLAMA des Gorges de l'Ardèche au bilan établi le 31 décembre 2012, d'un montant total de 422.787,25 euros, font partie des fonds propres dont la caisse locale a La pleine propriété et sont constitués principalement des excédents annuels résiduels non distribués au fil du temps, qui ont pour contrepartie à l'actif du bilan les immobilisations financières, placements de la caisse locale auprès de la caisse régionale de réassurance Groupama Sud,

- l'article 28 des statuts de la CLAMA n'autorise la répartition entre les sociétaires de la caisse locale que des excédents annuels, calculés par hypothèse chaque année et figurant au compte de résultat, si celle-ci a été décidée par l'assemblée générale, saisie de cette proposition par le conseil d'administration, pour l'exercice comptable concerné,

- dès lors que ces excédents annuels ont, au contraire, été affectés par l'assemblée générale, chaque année, dans les réserves pour éventualités ou le report à nouveau figurant au passif du bilan de la caisse locale sous la rubrique "Capitaux Propres", les sommes ne peuvent plus être réparties entre les sociétaires, même sous forme de ristournes ;

A ces justes motifs que la cour adopte expressément, il convient seulement d'ajouter que conformément à l'article 28 de ses statuts, la CLAMA de l'Ardèche, était fondée, lors de son assignation du 24 juillet 2013, à solliciter le reversement par Groupama Sud de la somme de 6.710,25 euros, montant de l'excédent annuel comptable réalisé au 31 décembre 2012, selon son dernier bilan et compte de résultat mais à condition toutefois de justifier d'une décision en ce sens prise par l'assemblée générale annuelle de ses sociétaires, sur proposition de son conseil d'administration, ce qu'elle n'a pas fait ni ne fait devant la cour d'appel ;

La CLAMA ne produit, ni même n'invoque non plus aucune décision de son assemblée générale prise sur proposition de son conseil d'administration, prévoyant de répartir entre ses sociétaires les excédents annuels de recettes réalisés ultérieurement, en 2013, 2014 ou 2015 ;

La cour ajoute aussi que la prétention de la CLAMA de distribuer, même sous forme de ristournes à ses sociétaires, des sommes mises en réserves libres pour éventualités, résultant notamment sinon exclusivement de plusieurs excédents annuels successifs de son exploitation, d'un montant substantiel actualisé par elle à la somme de 326.119,48 euros au 31 décembre 2013, contreviendrait aussi à son statut légal issu de l'article L 771-1 du code rural et de la pêche maritime ; Il dispose que les caisses d'assurance mutuelles agricoles doivent être gérées et administrées gratuitement el n'avoir en vue ni ne réaliser, en fait, aucun bénéfice ;

Or ceci constitue une limite de son objet, tel que visé à l'article 19 du règlement général de réassurance caisses locales / caisse régionale, susvisé, nonobstant le droit de propriété de ses fonds propres, qu'elle invoque aussi ; Cette dérogation légale s'applique au droit de propriété de ces sommes, argué par la CLAMA de l'Ardèche au visa de l'article 544 du code civil ;

Cela reviendrait en effet à réaliser en fait, de façon indirecte en cumulant des sommes placées en réserves pour éventualités durant plusieurs années, un bénéfice, destiné à être redistribué aux sociétaires une année donnée ; Cela ne peut donc être l'objet des réserves libres de cette caisse, qui sont destinées à faire face à ses charges financières futures, prévisibles ou non, dans le cadre de son fonctionnement normal, au profit de l 'ensemble de ses sociétaires mutualistes, selon la survenance d'éventualités prévues par ce texte ;

C'est à tort également que la CLAMA invoque le bénéfice des dispositions de l'article R 322-73 du code des assurances, ainsi libellé :

"Il ne peut être procédé à des répartitions d'excédents de recettes qu'après constitution des réserves et provisions prescrites par les lois et règlements en vigueur, après amortissement intégral des dépenses d 'établissement et après que les dispositions réglementaires concernant la marge de solvabilité et la solvabilité ajustée aient été satisfaites. Le report de charge constitué en vertu de l'article R 331-5-4 est déduit des excédents de recettes à répartir ainsi établie.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut s'opposer à une affectation aux réserves libres." ;

En effet, ce texte ne vise que les modalités de répartition de chaque excédent annuel de recettes et ne prévoit nullement des conditions de répartition éventuelle ultérieure des anciens excédents de recettes placés par la caisse locale d'assurances mutuelles en réserves libres pour éventualités ; Celles-ci perdent ainsi leur nature comptable d'excédent annuel de recettes, quittant le compte de résultat pour le bilan comptable, à cette occasion ;

Il ne peut non plus être soutenu valablement que les dispositions nouvelles de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 interdisant le partage des réserves obligatoires et leur distribution aux sociétaires, autoriseraient "a contrario" et implicitement, de façon rétroactive en outre, la distribution des réserves libres à ces mêmes sociétaires ;

Contrairement aussi à ce que soutient en appel la CLAMA, l'impossibilité pour elle de répartir le montant de ses réserves libres pour éventualités entre ses sociétaires n'équivaut ni à une spoliation dont elle serait la victime ni à une impossibilité de disposer de ces sommes ; Elle demeure en effet libre, s'ils ne sont pas par ailleurs indisponibles pour une autre raison, de les affecter à d'autres placements financiers prévus (Fond Commun de Placement Groupama Sud, OPCVM ou valeurs immobilières) dont elle percevra les dividendes ou intérêts, de les affecter au paiement de certaines de ses charges éventuelles survenues ou de les utiliser pour la constitution de futures réserves obligatoires, notamment ;

La cour précise enfin que ces dispositions légales ou conventionnelles susvisées n'attentent en rien à la liberté syndicale revendiquée par la CLAMA des Gorges de l'Ardèche, au motif que son statut relève aussi de l'article L 2131-2 du code du travail, ainsi rédigé :

"Les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l 'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement" ;

L'interdiction de distribuer à ses sociétaires mutualistes des fonds propres placés par elle en réserves libres pour éventualités n'entrave en rien la liberté de constitution ou de fonctionnement de la CLAMA des Gorges de l'Ardèche sous forme de syndicat professionnel, en effet ;

Il convient donc de confirmer le jugement déféré » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE

« La Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche fait valoir son droit de propriété pour légitimer sa demande de pouvoir disposer librement de ses fonds propres par répartition sous forme de ristourne de ses excédents annuels en invoquant l'article 28 de ses statuts qui stipule :

"Il sera constitué par décision de l'Assemblée Générale des provisions et réserves pour éventualités, en fonction des obligations de la Caisse, compte tenu du minimum fixé par la Caisse de Réassurance. L'Assemblée Générale peut en outre, sur proposition du Conseil d'Administration, décider la constitution de toutes provisions ou réserves justifiées par les circonstances.

Après prélèvement destiné à la constitution de ces provisions ou réserves, les excédents annuels peuvent être répartis entre les sociétaires suivant décision de l'Assemblée Générale, sur proposition du Conseil d'Administration." ;

Elle invoque aussi l'article 19 du "Règlement général de réassurance Caisses Locales / Caisse régionale" qui s'intitule réserves libres et qui prévoit : "La Caisse Locale a la pleine propriété des fonds propres qu'elle a constitués et elle en dispose dans la limite de son objet et dans le respect de l'application de l'article 18 précédent (...)",

L'article 18 s'intitule fonds de réserve et renvoie à l'article 26 des statuts de la Caisse Locale en ce qui concerne les provisions et réserves pour éventualité dont le minimum est fixé par le Conseil d'Administration de la caisse régionale ;

Il résulte des pièces produites que la Caisse locale d 'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche que sont inscrites au passif de son bilan au 31 décembre 2009 :

- des "capitaux propres" pour un montant total de 395.279,40 euros se décomposant comme suit :

* Réserves 375.694,24 euros

* Report à nouveau 3.464,16 euros

* Résultat de l'exercice 16.121,00 euros

- des ''provisions techniques" pour un montant de 2.510.672,40 euros ;

Au bilan au 31 décembre 2012, on trouve au passif :

- des "capitaux propres" pour un montant total de 422.767,25 euros se décomposant comme suit :

* Réserves obligatoires 8.428 euros

* Réserves disponibles 326.119,48 euros

* Réserves stratégiques 81.529,87 euros

* Autres Réserves 0,00 euro

* Report à nouveau 0,00 euro

* Résultat de l'exercice 6.710,25 euros

- des ''provisions techniques" pour un montant de 4.945.193,77 euros ;

Il n'est pas contesté que la Caisse Locale a toujours constitué des réserves suffisantes en fonction des sommes fixées par la Caisse régionale, ainsi que des ''provisions techniques" qui sont distinctes des fonds propres ;

Le poste "réserves", qui est décliné en plusieurs catégories dans le bilan de l'année 2013, dont "réserves disponibles" correspond aux "réserves libres"
prévues l'article 19 du Règlement général de réassurance Caisses Locales / Caisse régionale ;

Ces "réserves libres" font partie des fonds propres dont la Caisse Locale a la pleine propriété, et sont constituées principalement des excédents non distribués depuis de nombreuses années ; ils ont pour contrepartie à l'actif du bilan les immobilisations financières, placements de la Caisse Locale auprès de la Caisse Régionale Groupama Sud ;

La Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche souhaite distribuer ces réserves sous forme de ristourne à ses adhérents en invoquant à la fois son droit de disposition des excédents annuels et son droit de propriété sur ces sommes ;

L'article 28 de ses statuts stipule "(...) Après prélèvement destiné à la constitution de ces provisions ou réserves (obligatoires visés à l'alinéa 1), les excédents annuels peuvent être répartis entre les sociétaires suivant décision de l'Assemblée Générale, sur proposition du Conseil d'Administration" ;

L'excédent est un terme comptable désignant la différence entre les recettes et les dépenses ; il est calculé chaque année et figure au compte de résultat de l'entreprise ;

La faculté de répartir l'excédent annuel entre les sociétaires s'apparente à celle de répartir le bénéfice aux actionnaires dans les sociétés commerciales, et, si cetle faculté n'est pas utilisée, les sommes excédentaires sont conservées dans l'entreprise et apparaissent soit en "report à nouveau", soit dans les "réserves" figurant au passif du bilan de la Caisse Locale dans la rubrique "capitaux propres" ;

La Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche, qui considère qu'elle peut répartir entre les sociétaires ses réserves car elles sont constituées par la somme des excédents annuels qui n'ont pas été distribués et donc faire application de l'article 28 de ses statuts pour les excédents cumulés de toutes les années antérieures, doit être déboutée de sa demande à ce titre ;

En effet, il résulte de ce texte que seuls les excédents annuels résiduels après affectation aux postes de provisions et réserves (objet de l'alinéa 1er), peuvent être répartis entre les sociétaires, par décision de l'assemblée générale sur proposition du conseil d'administration (alinéa 2) ;

Ni cet article, ni aucun autre des statuts, n'évoque la possibilité d'une distribution des provisions (constituées en prévision de la réalisation de risques) et réserves (constituées pour garantir la sécurité des sociétaires) ; D'ailleurs, même en cas de dissolution (article 36 des statuts), la caisse locale ne peut disposer librement au profit de ses sociétaires de son actif net (dont les immobilisations financières qui sont la contrepartie des réserves et provisions inscrites au passif), qui revient à la Caisse de Réassurance ;

La Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche fait ensuite valoir son droit de propriété sur ses "réserves", en vertu de l'article 544 du code civil pour en disposer comme elle le souhaite ;

Il convient cependant de rappeler le système pyramidal mis en place et les règles spécifiques qui régissent les caisses d'assurance mutuelles agricoles, notamment en matière de réassurance, et plus précisément l'article 19 du Règlement général de réassurance Caisses Locales / Caisse régionale qui s'intitule réserves libres et prévoit : "La Caisse Locale a la pleine propriété des fonds propres qu'elle a constitués et elle en dispose dans la limite de son objet (...)" ;

En l'espèce, la Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche a fait le choix d'employer ses réserves en les affectant à des fonds de placement, dont la majorité auprès de Groupama Sud, ce qui apparaît à l'actif de son bilan au poste "immobilisations financières" ;

[...] La loi relative à l'économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 a de plus clarifié cette question en indiquant que pour les sociétés d'assurance relevant du code des assurances "les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent être distribuées" ;

Ces limitations à la seule liberté de disposer, qui n'est que l'une des composantes du droit de propriété, ont une origine légale, et s'imposent donc à la Caisse Locale, qui bénéficie, en contrepartie, de la garantie de la Caisse Régionale ;

Il convient en conséquence de débouter la Caisse locale d'assurance mutuelle agricole des Gorges de l'Ardèche de ses demandes » ;

1) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer ni les termes clairs et précis, ni la portée d'un contrat, auquel sont assimilés les statuts d'une caisse d'assurance mutuelle agricole ; qu'en l'espèce, l'article 28, alinéa 2, des statuts de la CLAMA des Gorges de l'Ardèche prévoit qu'« après prélèvement destiné à la constitution de ces provisions ou réserves [les provisions ou réserves obligatoires visées à l'alinéa 1er], les excédents annuels peuvent être répartis entre les sociétaires suivant décision de l'assemblée générale, sur proposition du conseil d'administration » ; qu'en affirmant que ce texte n'autorisait la répartition entre les sociétaires de la caisse que des excédents de l'année écoulée figurant au compte de résultat, mais non des excédents des années antérieures affectés dans les réserves libres, et figurant alors au passif du bilan sous la rubrique « capitaux propres », cependant que cet article vise « les excédents annuels » au pluriel et ne procède à aucune distinction entre les excédents de l'année écoulée et ceux des années précédentes, ces derniers auraient-ils été affectés dans les réserves libres, la cour d'appel, qui a dénaturé la portée de l'article 28 des statuts de la CLAMA des Gorges de l'Ardèche, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenu l'article 1103 du code civil) ;

2) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la distribution par la CLAMA des Gorges de l'Ardèche à ses sociétaires, même sous forme de ristournes, des sommes affectées en réserves libres, résultant des excédents annuels successifs de son exploitation, caractériserait une distribution de bénéfices contrevenant à son statut légal et à son objet non commercial, ce qui autoriserait à déroger au principe de libre disposition par les caisses locales de leurs fonds propres, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

3) ALORS QUE le bénéfice correspondant à un gain pécuniaire ou matériel ajoutant à la fortune de celui qui le perçoit, la distribution par une caisse d'assurance mutuelle d'une réserve n'a pas le caractère légal d'un partage de bénéfices, lorsqu'elle correspond au remboursement, suivant un mode particulier défini par les statuts, d'une partie des sommes perçues exclusivement en vue d'assurer son fonctionnement, et qui se sont ultérieurement révélées supérieures à ses besoins ; que la ristourne consiste à reverser à l'adhérent d'une société ou caisse d'assurance mutuelle une partie de sa cotisation, lorsque le montant des cotisations a dépassé les engagements de la société ou de la caisse ; qu'en affirmant néanmoins que la distribution par la CLAMA des Gorges de l'Ardèche à ses sociétaires, même sous forme de ristournes, des sommes affectées en réserves libres, résultant des excédents annuels successifs de son exploitation, caractériserait une distribution de bénéfices contrevenant à son statut légal et à son objet non commercial, ce qui autorisait à déroger au principe de libre disposition par les caisses locales de leurs fonds propres, la cour d'appel a violé les articles 544 du code civil et 19 du règlement général de réassurance caisses locales / caisse régionale ;

4) ALORS QUE la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; que les limitations qui peuvent être apportées aux conditions d'exercice du droit de propriété dans l'intérêt général ne sauraient revêtir un caractère de gravité tel, que son sens et sa portée s'en trouveraient dénaturés ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que l'interdiction faite à la CLAMA des Gorges de l'Ardèche de répartir entre ses sociétaires le montant de ses réserves libres, même sous forme de ristournes, n'équivalait ni à une spoliation dont elle serait victime, ni à une impossibilité de disposer de ces sommes, qu'elle demeurait libre d'effectuer sur ses fonds propres un certain nombre d'actes d'administration, tels que les affecter à d'autres placements prévus dont elle percevra les dividendes ou intérêts, les affecter au paiement de certaines de ses charges éventuelles survenues, ou les utiliser pour la constitution de futures réserves obligatoires, la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants à d'exclure que l'atteinte portée au droit de la CLAMA des Gorges de l'Ardèche de disposer de ses biens dénaturait le sens et la portée mêmes de son droit de propriété, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et 544 du code civil ;

5) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la CLAMA des Gorges de l'Ardèche, bien que fondée à solliciter le reversement par la CRAMA Méditerranée des sommes correspondant à ses excédents annuels de recettes réalisés à compter de l'exercice clos le 31 décembre 2012, ne justifiait pas des décisions prises par son assemblée générale sur proposition de son conseil d'administration prévoyant de répartir ces excédents entre ses sociétaires, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 16-27508
Date de la décision : 14/12/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 03 mai 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 14 déc. 2017, pourvoi n°16-27508


Composition du Tribunal
Président : Mme Flise (président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.27508
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