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08/11/2017 | FRANCE | N°16-22213

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 08 novembre 2017, 16-22213


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Parc éolien Kergleuziou (la société) est bénéficiaire d'un permis de construire et d'un permis de construire modificatif, obtenus en 2005 et 2007 et devenus définitifs, portant sur l'édification de trois éoliennes industrielles sur le territoire de la commune de Melgven ; qu'invoquant diverses nuisances, ainsi que les risques graves pour la santé résultant de l'implantation de ces installations, Mme X... et trente autres riverains (

les riverains) ont saisi le juge des référés, sur le fondement de l'a...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Parc éolien Kergleuziou (la société) est bénéficiaire d'un permis de construire et d'un permis de construire modificatif, obtenus en 2005 et 2007 et devenus définitifs, portant sur l'édification de trois éoliennes industrielles sur le territoire de la commune de Melgven ; qu'invoquant diverses nuisances, ainsi que les risques graves pour la santé résultant de l'implantation de ces installations, Mme X... et trente autres riverains (les riverains) ont saisi le juge des référés, sur le fondement de l'article 809 du code de procédure civile, pour obtenir la suspension des travaux de construction et d'aménagement puis, ceux-ci ayant été achevés en décembre 2015, l'arrêt de l'exploitation des éoliennes litigieuses ; que la société a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les riverains font grief à l'arrêt de déclarer la juridiction judiciaire incompétente et de les renvoyer à mieux se pourvoir, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge des référés de l'ordre judiciaire est compétent pour prononcer les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l'exploitation d'une installation autorisée par l'administration et causé à des tiers, dès lors que l'autorisation administrative a été délivrée sous réserve du droit des tiers ; qu'il est constant et ressort notamment des motifs adoptés de l'ordonnance confirmée que les éoliennes en cause ont fait l'objet d'une autorisation administrative « sous réserve des droits des tiers » ; qu'en se déclarant néanmoins incompétente pour connaître de l'action de riverains tendant à faire cesser les troubles manifestement illicites causés par ces éoliennes, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que, subsidiairement, le juge des référés de l'ordre judiciaire est compétent pour prononcer les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de nuisances provoquées par l'exploitation d'une installation autorisée par l'administration, dès lors que ces mesures ne contrarient pas des prescriptions de police administrative spéciale qui auraient été édictées pour prévenir des nuisances du même type ; qu'il n'existe aucune police administrative spéciale destinée à prévenir le trouble résultant du brouillage des ondes et causé aux tiers par l'exploitation d'éoliennes ; qu'en jugeant, au contraire, que la demande des riverains tendant à faire cesser les troubles manifestement illicites résultant du brouillage des ondes causé par l'exploitation d'éoliennes, constituerait une immixtion dans l'exercice d'une police administrative spéciale, pour en déduire l'incompétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 553-1, devenu L. 515-44 du code de l'environnement que les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ayant fait l'objet de l'étude d'impact et de l'enquête publique prévues à l'article L. 553-2, dans sa rédaction en vigueur jusqu'à la publication de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, et bénéficiant d'un permis de construire, sont soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement institué par les articles L. 511-1 et suivants du même code ; que, dès lors, les tribunaux judiciaires ont compétence pour se prononcer tant sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage d'une telle installation classée que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l'avenir, à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu'elle détient ; que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose, en effet, à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter ces installations, soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ; qu'ayant relevé que l'implantation des éoliennes litigieuses avait été régulièrement autorisée, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la demande tendant à obtenir l'interdiction de l'exploitation de ces installations, au motif que leur fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage, aurait un impact négatif sur l'environnement, brouillerait la diffusion des ondes vers et depuis les habitations limitrophes et pourrait constituer un danger pour la sécurité, impliquait, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de cette police administrative spéciale ; qu'elle en a exactement déduit qu'une telle demande ne ressortissait pas à la juridiction judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile, ensemble l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu que, pour condamner in solidum les riverains au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt énonce que le fait de saisir le juge des référés judiciaire qui, en vertu de la jurisprudence du Tribunal des conflits dont ils ne pouvaient ignorer l'existence, se trouvait incompétent, constitue, de leur part, un abus de procédure ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute faisant dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum, Mme X..., M. et Mme Y..., M. Z..., M. et Mme A..., M. et Mme B..., M. et Mme C..., Mme D..., M. et Mme E..., M. et Mme F..., M. G..., M. et Mme H..., MM. Albert et René I..., M. et Mme J..., M. et Mme K..., M. et Mme L...,
M. et Mme M..., Mme N... et M. et Mme O..., à payer à la société Parc éolien Kergleusiou la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 7 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Parc éolien Kergleuziou ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

.

Moyens produits par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme X..., M. et Mme Y..., M. Z..., M. et Mme A..., M. et Mme B..., M. et Mme C..., Mme D..., M. et Mme E..., M. et Mme F..., M. G..., M. et Mme H..., MM. Albert et René I..., M. et Mme J..., M. et Mme K..., M. et Mme L..., M. et Mme M..., Mme N... et M. et Mme O....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Quimper ayant déclaré la juridiction judiciaire incompétente au profit de la juridiction administrative et renvoyé les demandeurs à mieux se pourvoir ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur la compétence du juge des référés du tribunal de grande instance :
L'action en référé qui tend exclusivement à obtenir l'interdiction de l'implantation ou de l'exploitation d'une installation soumise à autorisation mais régulièrement autorisée sur une propriété privée ou sur le domaine public aux motifs que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage, aurait un impact négatif sur l'environnement et brouillerait la diffusion des ondes vers et depuis les habitations limitrophes voire même pourrait constituer un danger pour la sécurité implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière.
Aussi, la demande de faire cesser un trouble manifestement excessif fondée sur des nuisances de ce type échappe à la compétence du juge judiciaire, et ce même si une action au fond est parallèlement intentée pour contester la validité de baux emphytéotiques souscrits par les propriétaires des parcelles sur lesquelles sont édifiées les éoliennes au bénéfice de la société d'exploitation de ces installations.
Aussi, l'ordonnance du juge des référés s'étant déclaré incompétent au profit de la juridiction administrative sera confirmée » ;

ALORS QUE 1°), le juge des référés de l'ordre judiciaire est compétent pour prononcer les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l'exploitation d'une installation autorisée par l'administration et causé à des tiers, dès lors que l'autorisation administrative a été délivrée sous réserve du droit des tiers ; qu'il est constant et ressort notamment des motifs adoptés de l'ordonnance confirmée (p. 7) que les éoliennes en cause ont fait l'objet d'une autorisation administrative « sous réserve des droits des tiers » ; qu'en se déclarant néanmoins incompétente pour connaître de l'action de riverains tendant à faire cesser les troubles manifestement illicites causés par ces éoliennes, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

ALORS QUE 2°), subsidiairement, le juge des référés de l'ordre judiciaire est compétent pour prononcer les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de nuisances provoquées par l'exploitation d'une installation autorisée par l'administration, dès lors que ces mesures ne contrarient pas des prescriptions de police administrative spéciale qui auraient été édictées pour prévenir des nuisances du même type ; qu'il n'existe aucune police administrative spéciale destinée à prévenir le trouble résultant du brouillage des ondes et causé aux tiers par l'exploitation d'éoliennes ; qu'en jugeant au contraire que la demande des riverains tendant à faire cesser les troubles manifestement illicites résultant du brouillage des ondes causé par l'exploitation d'éoliennes, constituerait une immixtion dans l'exercice d'une police administrative spéciale, pour en déduire l'incompétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné in solidum les exposants à payer à la société Parc Eolien Kergleuziou la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « - sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
La société "parc éolien Kergleusiou" ne peut, à l'occasion d'une action en référé exercée certes de manière téméraire par les demandeurs puis les appelants, réclamer l'indemnisation de son préjudice pour une dizaine années de procédures lancées par ceux-ci pour tenter de faire échouer l'implantation du parc éolien près de chez eux.
En revanche, le fait de saisir le juge des référés judiciaire qui, en vertu de la jurisprudence du tribunal des conflits dont ils ne pouvaient ignorer l'existence, se trouvait compétent, constitue de la part des demandeurs puis appelants un abus de procédure dont l'indemnisation sera fixée tant en première instance qu'en appel à 5.000€ » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « (…) le fait de saisir le juge des référés en invoquant une procédure au fond qui n'existe pas, faute de placet, à la date des débats et qui serait en toute hypothèse indifférente à l'appréciation de l'application de l'article 809 du code de procédure civile visé par les demandeurs, en demandant une suspension de travaux jusqu'à l'issue de cette procédure au fond inexistante, et en n'alléguant aucun autre moyen que ceux entrant dans le champ des prérogatives de puissance publique de l'autorité administrative et écartés définitivement par le juge administratif procède d'un abus de droit qui justifie l'allocation à la société Parc Eolien Kergleuziou de la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de l'entrave à la poursuite du projet de construction.
L'équité commande que la somme de 3 100 € soit accordée à ta société Parc Eolien Kergieuziou en application de l'article 700 du code de procédure civile » ;

ALORS QUE 1°), la cassation à intervenir sur le premier moyen, qui reproche à l'arrêt d'avoir déclaré les juridictions judiciaires incompétentes, entrainera la cassation de l'arrêt en ce qu'il a condamné les exposants à des dommages et intérêts pour procédure abusive, et ce en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile ;

ALORS, subsidiairement, QUE 2°), une partie ne peut être condamnée à payer à son adversaire des dommages et intérêts pour procédure abusive qu'à la condition d'avoir commis une faute ayant fait dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice ; qu'en se bornant à relever, pour condamner les exposants à payer à la société Parc Eolien Kergleziou la somme de 5.000 euros pour procédure abusive à son égard, qu'ils ne pouvaient ignorer que le juge judiciaire était incompétent en vertu d'une jurisprudence du tribunal des conflits applicable aux antennes-relais, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute des exposants faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, a violé l'article 32-1 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-22213
Date de la décision : 08/11/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 07 juin 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 08 nov. 2017, pourvoi n°16-22213


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.22213
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