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12/10/2017 | FRANCE | N°16-23982

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 12 octobre 2017, 16-23982


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 21 juin 2016), que M. et Mme E... ont conclu avec la société Architecture concept et partners (la société ACP) un contrat d'architecte comprenant une mission de maîtrise d'oeuvre complète et portant sur le réaménagement d'un bâtiment existant en logement indépendant ; qu'insatisfaite de la conception et du co

ût de l'ouvrage, la SCI Eugénie et Edmond (la SCI), constituée par M. et Mme E..., ...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 21 juin 2016), que M. et Mme E... ont conclu avec la société Architecture concept et partners (la société ACP) un contrat d'architecte comprenant une mission de maîtrise d'oeuvre complète et portant sur le réaménagement d'un bâtiment existant en logement indépendant ; qu'insatisfaite de la conception et du coût de l'ouvrage, la SCI Eugénie et Edmond (la SCI), constituée par M. et Mme E..., a, après expertise, assigné la société ACP en indemnisation ;

Attendu que, pour rejeter des demandes d'indemnisation, l'arrêt retient que la destination locative de l'immeuble n'était pas dans le champ contractuel et que les normes d'accessibilité aux handicapés ne s'appliquent que lorsque l'ouvrage, individuel ou collectif, est destiné à la location ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombe à l'architecte chargé d'une opération de construction ou de réhabilitation de se renseigner sur la destination de l'immeuble au regard des normes d'accessibilité aux personnes handicapées, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Eugenie et Edmond en paiement au titre de la non-conformité du bien aux règles d'accessibilité des personnes handicapées, de la perte locative, des honoraires réglés à la société Socotec et de la perte d'exploitation, l'arrêt rendu le 21 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne la société Architecture Concept et Partners aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Architecture Concept et Partners et la condamne à payer à la société Eugenie et Edmond la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Eugénie et Edmond

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la SCI Eugénie et Edmond de sa demande en paiement des sommes de 41 441,40 euros au titre de la non-conformité du bien aux règles d'accessibilité des personnes handicapées, de 40 000 euros au titre de la perte locative du logement F3 et de 667,37 euros au titre des honoraires réglés à la société Socotec ; et de l'avoir déboutée de sa demande en paiement de la somme de 67 100 euros, à parfaire au jour de la décision, au titre de la perte d'exploitation

AUX MOTIFS PROPRES QU' il n'est fait mention de ce que l'ouvrage était destiné à la location dans aucune pièce contractuelle ou présentée comme telle, en particulier dans l'approche estimative du 21 novembre 2007 dont se prévaut la SCI appelante ; que l'ouvrage est défini dans le contrat d'architecte et dans la demande de permis de construire qui ont été établis au nom des époux E... comme consistant dans le « réaménagement d'un bâtiment existant en logement indépendant », étant précisé que le bâtiment existant était une grange ; qu'il n'a été fait état d'une non-conformité aux normes d'accessibilité aux handicapés ni lors de la réception du chantier qui ne comporte aucune réserve à ce titre, ni à aucun moment des opérations d'expertise judiciaire ; que c'est par conséquent à bon droit que le premier juge a retenu que cette destination locative n'était pas dans le « champ contractuel », de telle sorte que la SCI Eugénie et Edmond qui a été constituée par les époux E... après la signature du contrat d'architecte n'était pas fondée en ses demandes relatives à des travaux de mise aux normes d'accessibilité aux handicapés, normes qui ne s'appliquent que lorsque l'ouvrage, individuel ou collectif, est destiné à la location ; que pour la même raison, la SCI n'est pas fondée en ses demandes afférentes : à la perte de valeur locative du logement F3 dont les travaux de mise aux normes en matière d'accessibilité aux handicapés auraient réduit la surface habitable et aux honoraires de la société Socotec qui a établi le 26 juillet 2012, hors exécution des marchés, une vérification de l'accessibilité aux personnes handicapées ;

ET QUE la demande de dommages et intérêts de 67 100 euros au titre d'une perte d'exploitation est infondée dès lors qu'aucune des clauses du contrat ne stipulait que l'ouvrage était destiné à la location et qu'en toute hypothèse, ce dernier pouvait être utilisé dès le 20 octobre 2009 ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE en vertu de l'article R. 111-18-4 du code de la construction et de l'habitation, des normes d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite sont imposées aux maisons individuelles construites pour être louée à l'exclusion de celles dont le propriétaire se réserve l'usage personnel ; que dès lors, pour être opposable au maître d'oeuvre, la destination locative de l'immeuble doit être entrée dans le champ contractuel ; que le contrat de maîtrise d'oeuvre est totalement taisant sur ce point de même que le permis de construire qui vise le « réaménagement d'un bâtiment existant en logement indépendant » ; qu'il en est de même du document précontractuel établi le 21 novembre 2007 dénommé « approche estimative » visant un « réaménagement d'un ensemble immobilier existant (trois corps de bâtiment) en logements indépendants » ; que par ailleurs, la SCI Eugénie et Edmond n'a jamais évoqué le manquement du maître d'oeuvre à la réglementation concernant les normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite devant l'expert avant son rapport déposé le 17 avril 2012, à la suite d'un pré-rapport ; que la question de la destination locative a pourtant sans doute été posée, puisque l'expert en page 6 de son rapport précise « l'habitation (destinée à la location) en fin de chantier » ; toutefois, il n'a pas été discuté contradictoirement devant l'expert, la question de l'application de cette règlementation à la transformation d'un logement unique dans un bâtiment ancien par changement de destination ; qu'en outre, à la suite du dépôt du rapport d'expertise judiciaire, le maître de l'ouvrage a signé le procès-verbal de de réception des travaux avec réserves le 15 mars 2012 et a signé le procès-verbal de levée des réserves le 30 juillet 2012, soit postérieurement au rapport de la Socotec du 26 juillet 2012, qui signalait douze points de non concordance à la législation sur l'accessibilité des lieux aux personnes à mobilité réduite par application des articles R. 111-18 à R. 111-18-7 ; que la réception des travaux couvre les vices et les défauts de conformité apparents de sorte que le maître de l'ouvrage n'est pas fondé aujourd'hui à invoquer la responsabilité du maître d'oeuvre pour une erreur de conception apparente, s'agissant de l'application des normes liées à la destination de l'ouvrage qui au surplus n'est pas entrée dans le champ contractuel ;

1°/ ALORS QUE les maisons individuelles construites ou réhabilitées en vertu d'un permis dont la demande a été déposée avant le 1er janvier 2007 doivent, en principe, répondre aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées, hormis par exception, lorsque le bien est destiné à l'usage exclusif de son propriétaire ; que la cour d'appel, en exonérant l'architecte de toute responsabilité, lorsque ce dernier avait livré un ouvrage qui ne respectait pas les normes d'accessibilité aux personnes handicapées, sans relever que le bien aurait été destiné à l'usage exclusif de son propriétaire et serait ainsi entré dans le champ d'application de l'exception au principe, a violé les articles R. 111-18-4, 111-18-5 et R. 111-18-6 du code de la construction et de l'habitation ;

2°/ ALORS QUE tout professionnel de la construction est tenu, avant réception, d'une obligation d'information et de conseil envers le maître de l'ouvrage ; que la cour d'appel a débouté le maître de l'ouvrage de sa demande indemnitaire, bien qu'il ressorte des motifs de l'arrêt que l'architecte n'a pas délivré l'information relative aux normes d'accessibilité aux handicapés applicables aux logements d'habitation construits ou réhabilités pour être donnés à bail ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a refusé de tirer les conséquences de ses constatations, desquelles il s'évinçait que l'architecte avait manqué à son obligation, et violé l'article 1147 du code civil ;

3°/ ALORS QUE l'architecte est tenu à l'égard du maître de l'ouvrage d'une obligation d'information relative aux normes réglementaires que doit respecter l'ouvrage en fonction de sa destination ; que l'exécution de cette obligation implique que l'architecte s'enquiert de la destination de l'ouvrage ; qu'en retenant, pour écarter la responsabilité de l'architecte, que la destination locative de l'ouvrage n'était pas entrée dans le champ contractuel, lorsqu'il lui appartenait de rechercher si, cependant, la SARL ACP s'était enquise de la destination de l'immeuble afin d'informer la SCI Eugénie et Edmond de l'obligation dans laquelle elle se trouvait, dès lors qu'elle avait destiné l'ouvrage à la location, de respecter les normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

4°/ ALORS QUE la réception de l'ouvrage laisse subsister la responsabilité contractuelle de l'architecte au titre de son manquement à l'obligation d'information et de conseil ayant causé au maître de l'ouvrage un préjudice ne formant pas un dommage à l'ouvrage et ne rendant pas celui-ci impropre à une destination n'ayant pas été prévue au contrat ; que la cour d'appel, pour écarter toute responsabilité de l'architecte du chef de son manquement à l'obligation de conseil et d'information sur la mise aux normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite d'un logement destiné à la location, a retenu que le maître de l'ouvrage avait signé le procès-verbal de levée des réserves le 30 juillet 2012, soit postérieurement au rapport de la Socotec du 26 juillet 2012, qui signalait douze points de non concordance à la législation sur l'accessibilité des lieux aux personnes à mobilité réduite et que cette réception couvrait les vices et les défauts de conformité apparents, de sorte que le maître de l'ouvrage n'était plus fondé à invoquer la responsabilité du maître d'oeuvre pour une erreur de conception apparente ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil par refus d'application ;

5°/ ALORS QUE l'auteur d'une faute doit réparer tous les préjudices qui en ont résulté pour le créancier ; que la cour d'appel, pour débouter la SCI Eugénie et Edmond de sa demande au titre de la perte d'exploitation subie entre la fin du chantier et le moment de la mise en conformité de l'ouvrage avec les normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, a retenu que ce dernier « pouvait être utilisé dès le 20 octobre 2009 », c'est-à-dire dès la fin du chantier ; qu'en statuant par un tel motif, lorsqu'elle avait par ailleurs constaté que le maître de l'ouvrage destinait l'habitation à la location en fin de chantier, ce dont il se déduisait qu'en raison de la faute de l'architecte, il n'avait pas pu louer le bien et avait ainsi subi une perte d'exploitation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et violé l'article 1147 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 16-23982
Date de la décision : 12/10/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

ARCHITECTE ENTREPRENEUR - Responsabilité - Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage - Obligation de conseil - Etendue - Détermination - Portée

ARCHITECTE ENTREPRENEUR - Responsabilité - Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage - Obligation de conseil - Applications diverses - Destination de l'ouvrage au regard des normes d'accessibilité aux personnes handicapées

Il incombe à l'architecte chargé d'une opération de construction ou de réhabilitation de se renseigner sur la destination de l'immeuble au regard des normes d'accessibilité aux personnes handicapées


Références :

article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, 21 juin 2016

Sur l'étendue du devoir de conseil du maître d'oeuvre, à rapprocher :3e Civ., 2 juin 2016, pourvoi n° 15-16981, Bull. 2016, III, n° 71 (rejet), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 12 oct. 2017, pourvoi n°16-23982, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Boulloche, SCP Bénabent et Jéhannin

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.23982
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