LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la jonction, joint les pourvois n° 16-23.106 à 16-23.111 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 30 juin 2016), que Mme Y... et cinq autres salariés ont été engagés par la société BPI en qualité de consultant statut cadre ; que leur contrat de travail stipulait une convention de forfait en jours en application d'un accord d'entreprise sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des cadres consultants et administratifs du 19 janvier 2000 ; que les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur le premier moyen, pris en ses première à troisième branches et en sa cinquième branche, et sur le second moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens ci-après annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire inopposables aux salariés les conventions de forfait en jours et de le condamner au paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires alors, selon le moyen, qu'il résulte des stipulations de l'accord collectif d'entreprise du 19 janvier 2000 (production), que celui-ci précise la catégorie des cadres concernés par la convention de forfait en jours, prévoit les modalités de suivi de l'organisation du travail des cadres, de l'amplitude de leurs journées travaillées et de la charge de travail qui en résulte, détermine les modalités d'application des repos quotidiens et hebdomadaires, notamment à travers l'application d'un système de mesure de contrôle du nombre de jours travaillés, par saisine chaque semaine du temps de travail effectué, garantit que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assure une bonne répartition dans le temps du travail ; qu'en affirmant que cet accord collectif ne serait pas conforme aux exigences légales, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-39 du code du travail, ensemble ledit accord collectif ;
Mais attendu que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;
Et attendu qu'ayant relevé que les dispositions de l'accord d'entreprise sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des cadres consultants et administratifs du 19 janvier 2000, lesquelles se bornent à prévoir que chaque salarié saisira son temps de travail hebdomadaire dans le système de gestion des temps appelé Gestaff, qu'un état récapitulatif du temps travaillé par personne sera établi chaque mois pour le mois M-2 et remis à sa hiérarchie, qu'une présentation sera faite chaque année au comité de suivi de cet accord, que le repos entre deux journées de travail est au minimum de 11 heures consécutives, et que le salarié bénéficiera au minimum d'une journée de repos par semaine, la cour d'appel en a exactement déduit que, faute de prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs qui lui sont transmis, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ces dispositions ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et n'assurent pas une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés, et sont, par voie de conséquence, inopposables aux salariés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société BPI aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société BPI et condamne celle-ci à payer à Mmes Y..., Z..., F... et MM. C..., B... et A... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société BPI, demanderesse aux pourvois n° W 16-23.106 à B 16-23.111
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la convention de forfait en jours stipulée à son contrat de travail était inopposable à Mme Y... et d'AVOIR en conséquence condamné la société BPI au paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, ainsi qu'aux congés payés y afférents ;
AUX MOTIFS QUE : il ressort des débats que le contrat de travail de Mme Y... contient une clause instaurant un régime de forfait jours ; que Mme Y... se prévaut du caractère illicite de sa convention individuelle de forfait jours auquel s'oppose la Sas BPI, qui fait valoir que ce caractère illicite a été dégagé par une précédente décision de la cour de cassation en violation du principe de sécurité juridique affirmé par la jurisprudence tant de la cour européenne des droits de l'homme que de la cour de justice de l'Union européenne, principe qui bénéficie de la primauté sur le droit national ; que selon les termes de l'article L. 212-15-3 III du code du travail, repris après le 1er mai 2008, aux articles L. 3121-45 et suivants et l'article L. 3171-3 du code du travail, la convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de forfait en jours doit fixer le nombre de jours travaillés ; qu'il doit, en outre, préciser les modalités de décompte des journées et des demi-journées travaillées et de prise des journées et des demi-journées de repos, déterminer les conditions de contrôle de son application et prévoir des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte ; qu'en outre, l'article L. 3121-46 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, applicable en l'espèce, met à la charge de l'employeur un entretien individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention en forfait jours sur l'année ; qu'en l'espèce, le contrat de travail de Mme Y... soumet celle-ci à une convention de forfait annuel de 216 jours travaillés, en application de l'accord collectif du 19 janvier 2000 modifié par la suite, par avenant du 22 décembre 2005 ; que l'accord du 19 janvier 2000 complété par ses avenants, pour mesurer le temps de travail effectif et le dépassement du temps annuel, met en place un système de gestion des temps appelé « Gestaff » dans lequel chaque salarié doit saisir son temps de travail qui permettra l'établissement d'un état récapitulatif du temps travaillé par personne chaque mois pour le mois M-2, remis à sa hiérarchie (article 4b). Cette même disposition prévoit encore qu'une présentation sera faite chaque année au comité de suivi de cet accord ; qu'il convient de constater, en outre, que tout particulièrement les prescriptions relatives aux conditions de contrôle de l'application de l'accord collectif, aux modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, à l'amplitude de leurs journées d'activité et à la charge de travail qui en résulte touchent à la sécurité et à la santé des salariés ; qu'il résulte de sa lecture que l'accord collectif en cause ne prévoit aucune disposition relative aux conditions de contrôle de son application ainsi que des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte. Il n'est donc pas conforme à l'article L. 212-15-3 III précité ; qu'au surplus, il ressort des débats, qu'alors même que l'accord collectif en cause prévoit spécialement la mise en place du système de gestion du temps de travail Gestaff, la Sas BPI affirme que ce dispositif, qui existe, sert uniquement à la facturation de ses clients et n'a pas pour objet le décompte du temps de travail des salariés, de sorte que l'application qui est faite de l'accord collectif en cause, en ne permettant pas la mesure du temps de travail effectif des salariés de l'entreprise, n'est pas non plus conforme aux dispositions précitées ; qu'en outre, aucun élément n'est produit aux débats sur l'entretien individuel mis à la charge de l'employeur par le texte précité ; qu'il s'ensuit Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se référer à une quelconque jurisprudence, comme l'a fait le conseil des prud'hommes en cela critiqué par la Sas BPI , et sans que le principe de sécurité juridique soit atteint, l'accord collectif en cause, non conforme à la loi, est privé de tout effet à l'égard de Mme Y..., la cour n'étant pas en mesure, dans le cadre du présent litige, à en prononcer l'annulation ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le principe de sécurité juridique, qui constitue tout à la fois un principe constitutionnel en droit français, un principe fondamental du droit de l'Union européenne et un principe inhérent à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales s'oppose à toute remise en cause excessive des situations légalement acquises ; qu'en l'espèce, pour dire la convention de forfait inopposable à la salariée, la cour d'appel a fait application de la solution résultant de l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2011, confirmée par la suite par plusieurs autres arrêts, suivant laquelle toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que toutefois, cette solution ayant été adoptée par la Cour de cassation postérieurement à la date à laquelle la convention de forfait avait été en l'espèce conclue, et ce, alors qu'à l'époque où elle a été conclue, rien ne permettait de considérer qu'elle n'était pas valable, la cour d'appel a porté une atteinte excessive à la situation légalement acquise résultant du contrat de travail et a ainsi violé le principe de sécurité juridique ;
ALORS, D'AUTRE PART, ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la société BPI avait formellement invoqué, dans ses conclusions d'appel (cf. p. 5-13), le principe de sécurité juridique et l'impossibilité dont il en résultait de faire application à la convention de forfait litigieuse, de la solution résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation postérieure à sa conclusion ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à affirmer, de manière péremptoire, que « le principe de sécurité juridique n'est pas atteint », n'a pas motivé son arrêt et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'aux termes de l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 août 2008, antérieure à la conclusion de la convention de forfait litigieuse, dont il était constant et non contesté qu'elle avait été conclue le 27 octobre 2008, date à laquelle Mme Y... avait accédé, par la voie d'un avenant à son contrat de travail, au statut de cadre, l'accord collectif nécessaire à la conclusion préalable d'une convention de forfait en jours doit seulement déterminer les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions ; qu'en outre, et selon la jurisprudence précitée, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; qu'en faisant application des dispositions de l'article L. 212-15-3 III du code du travail aux motifs que celles-ci auraient été reprises, après le 1er mai 2008, aux articles L. 3121-45 et suivants du code du travail et L. 3171-3 dudit code quand ces dispositions, qui ont été modifiées par la loi du 20 août 2008, n'étaient plus applicables au litige, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-9 du code du travail, ensemble l'article 2 du code civil ;
ALORS, TOUJOURS SUBSIDIAIREMENT, QU'il résulte des stipulations de l'accord collectif d'entreprise du 19 janvier 2000 (production), que celui-ci précise la catégorie des cadres concernés par la convention de forfait en jours, prévoit les modalités de suivi de l'organisation du travail des cadres, de l'amplitude de leurs journées travaillées et de la charge de travail qui en résulte, détermine les modalités d'application des repos quotidiens et hebdomadaires, notamment à travers l'application d'un système de mesure de contrôle du nombre de jours travaillés, par saisine chaque semaine du temps de travail effectué, garantit que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assure une bonne répartition dans le temps du travail ; qu'en affirmant que cet accord collectif ne serait pas conforme aux exigences légales, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-39 du code du travail, ensemble ledit accord collectif ;
ALORS, EN OUTRE, QUE dans ses conclusions d'appel (cf. 17 et suiv.), la société BPI soutenait que le système GestAff, s'il servait à l'établissement des notes d'honoraires des clients, permettait également de mesurer le temps de travail des salariés ; que la cour d'appel, qui a énoncé qu'elle aurait soutenu que ce système servait « uniquement » à la facturation des clients et non au décompte du temps de travail, a dénaturé ses conclusions et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société BPI au paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, ainsi qu'aux congés payés y afférents ;
AUX MOTIFS QUE il résulte de tout ce qui précède que Mme Y... à laquelle ne peut être opposée une convention de forfait en jours valable, est soumise au régime de droit commun de la durée légale du travail et en particulier au régime des heures supplémentaires ; qu'en application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en outre, l'absence d'autorisation préalable des heures supplémentaires n'exclut pas en soi un accord tacite de l'employeur ; qu'en l'espèce, Mme Y... produit aux débats un décompte des heures supplémentaires qu'elle soutient avoir effectuées sur la période de janvier 2010 à juin 2013 ; qu'elle précise que ce décompte provient de la base Gestaff qui constitue l'outil de gestion du temps de travail de l'entreprise, celui-ci ne retenant que le temps de travail effectif à l'exclusion des temps non constitutifs de travail effectif (maladie, congés, repos,...) ; qu'elle ajoute que seules huit heures par jour ont été déclarées car Gestaff ne permettait pas la déclaration d'un nombre supérieur d'heures travaillées ; qu'ainsi Mme Y... ne réclame-t-elle en paiement que les heures supplémentaires comprises entre la 36ème et la 40ème heures ; que la cour relève que, contrairement à ce que soutient l'employeur, le récapitulatif ainsi réalisé prend en compte les jours d'absence de Mme Y..., notamment au titre des RTT et que, issu de l'outil de gestion spécialement mis en place par l'accord collectif, il apparaît suffisamment fiable pour être retenu, nonobstant les affirmations non prouvées de l'employeur, selon lesquelles cet outil n'aurait pas été utilisé à des fins de décompte du temps de travail ; que par ces éléments précis, Mme Y... étaye sa demande ; qu'il appartient dès lors à l'employeur d'apporter à la cour tout élément de nature à quantifier le travail effectif réalisé par Mme Y..., il convient de constater que la Sas BPI ne produit aux débats aucun document permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié, documents que l'article L. 3171-3 du code du travail lui fait obligation de tenir ; que la cour relève, en outre, que caractérise le manque de sérieux de l'employeur, le fait pour lui de se prévaloir, sans la produire, au motif que cette opération est complexe, d'une pièce intitulée "statistiques", seule selon lui, de nature à établir la réalité du temps de travail effectif réalisé par Mme Y..., alors que la question du temps de travail est dans les débats depuis trois ans que la juridiction sociale est saisie ; qu'il s'ensuit que la cour retient les informations livrées par l'outil de gestion Gestaff qui ne sont pas sérieusement contestées par l'appelante et sur la base desquelles la cour a la conviction que Mme Y... a accompli les heures supplémentaires revendiquées en relevant, au surplus, que l'utilisation qui est faite de l'outil Gestaff ne permet pas aux salariés de l'entreprise de déclarer un nombre d'heures travaillées supérieur à 8, ce qui n'est pas conforme aux textes précités ;
ALORS QUE si la preuve des heures supplémentaires n'incombe spécialement à aucune des parties, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments précis permettant à l'employeur d'y répondre ; qu'en se fondant sur les décomptes produits par la salariée qui ne faisaient pourtant état que d'un nombre global d'heures travaillées par mois, ce qui n'était pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel a violé l'article L. 3174-1 du code du travail ;
ALORS, A TOUT LE MOINS, QU'en considérant que ces décomptes pouvaient étayer la demande de la salariée, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation du principe suivant lequel le juge ne peut dénaturer les écrits ;
ALORS, ENFIN, QU'en affirmant que l'employeur n'était pas en mesure d'établir le temps de travail réalisé par les salariés dès lors que le logiciel Gestaff ne permettrait pas de saisir plus de huit heures de travail par jour en se fondant, pour ce faire, sur les seules affirmations de la salariée et sans vérifier si, comme l'employeur le soutenait, les salariés, qui devaient saisir au minimum huit heures de travail par jour, pouvaient saisir jusqu'à 13 heures de temps de travail quotidien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3174-1 du code du travail.