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06/07/2017 | FRANCE | N°16-16651

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 06 juillet 2017, 16-16651


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26, II, de cette même loi et l'article 2224 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... et Mme Y... ont travaillé dans l'établissement de la société Valéo systèmes thermiques (la société) situé à La Suze-sur-Sarthe, lequel a été inscrit, pour la période de 1960 à 1992, sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cess

ation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA) par arrêté ministériel du 3 juille...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26, II, de cette même loi et l'article 2224 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... et Mme Y... ont travaillé dans l'établissement de la société Valéo systèmes thermiques (la société) situé à La Suze-sur-Sarthe, lequel a été inscrit, pour la période de 1960 à 1992, sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA) par arrêté ministériel du 3 juillet 2000 ; que ces salariées ont saisi la juridiction prud'homale le 27 décembre 2010 pour obtenir réparation notamment d'un préjudice d'anxiété ;

Attendu que pour déclarer prescrite l'action en indemnisation de ces salariées, l'arrêt retient que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ne laissait place à aucun doute en ce qui concerne les dangers de ce matériau, qu'il ne peut dès lors être valablement soutenu par une personne ayant travaillé dans l'un de ces établissements qu'elle ignorait les dangers de l'amiante après cette date, et que l'argument de la date de l'arrêté permettant aux salariés de bénéficier de l'ACAATA n'est pas davantage pertinent, de sorte que l'action qu'ils auraient pu engager en réparation du préjudice résultant des risques que fait peser sur eux l'exposition à ce matériau ou à ses poussières était prescrite le 17 août 2007 ;

Attendu, cependant, que le délai de prescription des actions personnelles ou mobilières ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que les salariées avaient eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'activité de la société sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'ACAATA, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'action de Mme X... et celle de Mme Y... sont, chacune, atteintes par la prescription, l'arrêt rendu le 3 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Valéo systèmes thermiques aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de cette société et la condamne à payer à Mmes X... et Y... la somme globale de 1 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mmes X... et Y....

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'action en réparation du préjudice d'anxiété de Mme Marie-France X... et de Mme Christine Y..., sont, chacune, atteintes par la prescription ;

AUX MOTIFS QUE Mme Marie-France X... a quitté la société Valeo le 31 mars 1973 et Mme Christine Y..., le 30 avril 1966 ; qu'à l'époque, la prescription applicable pour le type d'action qu'elles ont engagé ici était la prescription trentenaire ; que l'action de Mme X... aurait ainsi été prescrite le 31 mars 2003 et celle de Mme Y..., le 30 avril 1996 ; que Mmes X... et Y... ont saisi le conseil de prud'hommes le 27 décembre 2010 ; qu'aux termes de l'article 2224 du code civil, tel qu'il résulte de la loi du 17 juin 2008 : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » ; que la loi du 17 juin 2008 a prévu des mesures transitoires, en son article 26 : « I - Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. II- Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. III - Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation (…) » ; que dans le cas d'espèce, l'application de la loi a eu pour effet de réduire la durée de la prescription ; qu'il convient dès lors de définir le jour où Mme X... ou Mme Y... ont connu ou auraient dû connaître les faits permettant d'exercer l'action en cause, à savoir la réclamation d'un préjudice d'anxiété ; que le conseil de prud'hommes a fixé cette date en janvier 1997, en considérant que c'était la date à laquelle « la fibre a été définitivement interdite» et que si l'employeur avait pu connaître les risques liés à l'amiante avant cette date, tel n'était pas le cas des salariés, qui n'avaient «pu prendre réellement la mesure du danger auquel ils avaient été exposés en travaillant sur des matériaux contenant de l'amiante que de façon progressive » ; que les éléments soumis à l'attention de la cour conduisent à faire notamment les observations suivantes : la société justifie que, le 7 décembre 1976, un tract a été diffusé par une organisation syndicale à l'ensemble des usines du groupe, et notamment celle de Suze sur Sarthe, qui fait référence à un « magnifique mouvement de solidarité » ayant suivi « la mise à pied infligée par la Direction, à l'encontre de (M. P. Délégué du Personnel) » ; que la cour relève, ainsi que l'a conclu la société Ferodo, que M. P. avait refusé de balayer un atelier en s'appuyant sur le décret du 10 juillet 1913, lequel prévoyait que le balayage des ateliers devait s'effectuer en dehors des heures de travail ; que le tract précise, entre parenthèses : «Nous sommes payés pour connaître le danger des poussières d'amiante » ; que certes, à cette date, Mmes X... et Y... avaient quitté l'entreprise ; mais, le décret du 17 août 1977, relatif aux mesures d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, est fréquemment utilisé par les sociétés ayant travaillé l'amiante (la cour note que ce n'est pas ce qui est en cause ici) ou utilisé des matériaux contenant de l'amiante (ce qui fut le cas dans l'usine de Suze sur Sarthe) pour affirmer qu'avant cette date, les dangers de l'amiante n'étaient pas clairement identifiés et connus ; qu'il est constant que cette réglementation a été adoptée après qu'une large consultation avait été organisée par les pouvoirs publics auprès des syndicats de salariés comme des entreprises utilisant de l'amiante ou des matériaux amiantés ; que l'article 9 du décret stipule que l'employeur « est tenu de remettre des consignes écrites à toute personne affectée aux travaux (l'exposant à l'inhalation de poussières d'amiante) de manière à l'informer des risques auxquels peut l'exposer son travail et des précautions à prendre pour éviter ces risques » ; que la défense de Mmes X... et Y... soutient, à cet égard, que l'employeur, contrairement aux obligations qui lui étaient faites par ce décret n'a effectué aucune mesure d'empoussièrement dans l'usine ;
que de plus, l'argument de la défense de ces deux salariées, selon lequel, le préjudice d'anxiété n'ayant été reconnu par la Cour de cassation que le 11 mai 2010, leur action n'est pas prescrite, doit être écarté ; qu'en effet, ce n'est pas cette décision qui crée la situation en raison de laquelle la personne concernée estime subir un préjudice ; pour que ce préjudice puisse exister, il faut que la situation susceptible de l'engendrer ait elle-même existé ; qu'en l'espèce, il est constant que plus de trente ans se sont écoulés entre le dernier moment à partir duquel la situation ayant pu engendrer le préjudice a existé et le moment où Mmes X... et Y... ont voulu faire reconnaître ce préjudice et en être indemnisées ; qu'il demeure que le décret du 17 août 1977 ne laissait place à aucun doute en ce qui concerne les dangers de l'amiante ; que l'argument de la date de l'arrêté permettant aux salariés de bénéficier de l'ACAATA n'est donc pas davantage pertinent, que la cour considère ainsi qu'il ne peut être valablement soutenu par une personne travaillant ou ayant travaillé, comme en l'espèce, dans une telle entreprise, qu'elle ignorait les dangers de l'amiante après cette date ; qu'il résulte de ce qui précède que ni Mme X... ni Mme Y... ne peuvent raisonnablement alléguer qu'à compter du décret du 17 août 1977 au plus tard, elles ignoraient les dangers potentiels résultant de la poussière d'amiante ; que l'action qu'elles auraient pu engager en réparation du préjudice résultant des risques que fait peser sur elles l'exposition à ce matériau ou à ses poussières était donc prescrite le 17 août 2007 ; que l'application de la loi du 17 juin 2008 ne peut avoir pour effet de prolonger la durée totale de la prescription prévue par la loi antérieure ; que Mmes X... et Y... ayant saisi le conseil de prud'hommes en 2010, leur action est prescrite ;

1°- ALORS QUE le délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété court à compter du jour où le salarié a connaissance du risque à l'origine de son anxiété c'est à dire à la date de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'activité de l'employeur sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante – Acaata- ; qu'en l'espèce, l'établissement de la Suze-sur-Sarthe, au sein duquel ont travaillé Mme X... et Y..., respectivement jusqu'en 1973 et 1966, a été inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l' Acaata par arrêté du 3 juillet 2000, pour la période allant de 1960 à 1992 ; qu'en écartant cette date, comme date de connaissance du risque, et en retenant celle du décret du 17 août 1977 relatif à des mesures d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'amiante pour en déduire que les salariées ne pouvaient ignorer les dangers de l'amiante après ce décret et déclarer prescrite leur action du fait qu'elles ont saisi le conseil de prud'hommes en 2010, la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26 II de cette même loi et l'article 2224 du code civil ;

2°- ALORS qu'il s'ensuit que, le délai de prescription de l'action des salariées en réparation du préjudice d'anxiété ayant commencé à courir à compter du 3 juillet 2000 à une période où l'action était soumise à la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil, les dispositions de l'article 26 II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 qui a réduit le délai de prescription à cinq ans avaient vocation à s'appliquer, ce dont il s'évince que l'action des salariées n'était pas prescrite lorsqu'elles ont saisi le conseil de prud'hommes en 2010 ; qu'en jugeant le contraire et en écartant l'application de la loi du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26 II de cette même loi et l'article 2224 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-16651
Date de la décision : 06/07/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 03 mars 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 06 jui. 2017, pourvoi n°16-16651


Composition du Tribunal
Président : Mme Guyot (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.16651
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