LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Jacqueline X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 2 février 2016, qui, pour fraude fiscale, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 mai 2017, poursuivie le 18 mai 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DE LA LANCE, les observations de Me LE PRADO, de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAILLARDOT ;
Vu les mémoires en demande, en défense, et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X...a été poursuivie devant le tribunal correctionnel, du chef de fraude fiscale, pour s'être, au cours de l'année 2008, volontairement et frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement partiel de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2007 en souscrivant une déclaration d'ensemble des revenus minorée ; qu'il lui est reproché de ne pas avoir déclaré le gain provenant de la cession, réalisée en janvier 2007, de 1887 actions de sa société de production, ayant pour activité principale la promotion de spectacles, pour un montant de 2 284 800 euros ; qu'un litige est survenu avec l'administration quant à la nature de la somme dissimulée devant être taxée soit en tant que traitement ou salaire soit en tant que plus-values de cession ; que, par arrêt du 21 mai 2015, la cour administrative d'appel a retenu que c'est à tort que l'administration a considéré le prix de cession des parts comme constituant des salaires et imposé Mme X...sur le revenu en application des articles 79 et 82 du code général des impôts ; qu'à la suite de cette décision, l'administration, après dégrèvement et remboursement des impôts versés, a notifié à Mme X...de nouveaux avis d'imposition en septembre 2015 sur un autre fondement ; que, par jugement du 25 avril 2013, les juges du premier degré l'ont relaxée en retenant que l'élément intentionnel n'était pas suffisamment caractérisé ; que le procureur de la République et l'administration fiscale ont interjeté appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 du code pénal, 79, 82, 1741, 1750 du code général des impôts, 50, § I, de la loi 52-401 du 14 avril 1952, 591, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Mme X...coupable des faits de fraude fiscale qui lui étaient reprochés ;
" aux motifs que Mme X...est citée pour " s'être au cours de l'année 2008 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, volontairement et frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement partiel de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 2007 en souscrivant une déclaration d'ensemble des revenus minorée avec la circonstance que les dissimulations opérées excèdent le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros " ; qu'il s'agit, en conséquence, de la non déclaration de revenus quelqu'en soit la nature spécifique ; que l'infraction reprochée à Mme X...est suffisamment constituée ; que l'élément matériel n'est pas contestable ; qu'en effet la déclaration d'impôt pour l'année 2007 ne fait pas état de la somme de 2 266 540 euros montant de la cession de parts mobilières, soit au titre des revenus, soit au titre de plus-value ; que l'intention frauduleuse est caractérisée ; qu'en effet, la prévenue ne peut méconnaître des obligations déclaratives fiscales inhérentes aux déclarations de revenus ; qu'elle a été informée lors de l'établissement de l'acte de cession en novembre 2006 qu'elle avait la responsabilité entière de la fiscalité afférente à l'opération ; qu'en toute hypothèse, le fait de confier la gestion de ses intérêts à un tiers n'est pas exonératoire de sa responsabilité en matière fiscale ; qu'elle avait particulièrement connaissance que les fonds lui revenant de la cession n'avaient pas fait l'objet de taxation puisqu'elle effectuait elle-même, en cours de vérification et sans en aviser les contrôleurs, une déclaration d'ensemble de revenus complémentaire au titre de l'année 2007 faisant état d'une plus value de 1 981 130 euros ; que le fait qu'elle ait réglé les sommes dues à titre principal n'a pas pour effet de remettre en cause les éléments constitutifs de l'infraction à la date de sa commission ; qu'il y a lieu, en réformant le jugement déféré de retenir sa culpabilité ;
" 1°) alors que les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale ; qu'en condamnant Mme X...pour s'être frauduleusement soustraite au paiement de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2007 en souscrivant une déclaration d'ensemble de revenus minorée d'un gain de 2 266 540 euros correspondant au montant d'une cession de parts mobilières, cependant que, comme elle le soutenait, la cour administrative d'appel de Paris avait, par décision du 21 mai 2015 devenue définitive, jugé que ces sommes n'avaient pas la nature de salaire et n'étaient donc pas imposables au titre de l'impôt sur le revenu, la cour d'appel a méconnu les principes et dispositions susvisées ;
" 2) alors que l'article 1741 du code général des impôts punit quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse ; que devant la cour d'appel, Mme X...faisait valoir que par « arrêt du 21 mai 2015, la cour administrative d'appel avait annulé le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 26 mars 2014, au motif que " c'est à tort que le service a regardé la somme de 2 266 450 euros qui correspondait à une partie du prix de cession par Mme X...à la société LNIH des parts de société JLP et qu'il a imposé à l'impôt sur le revenu en application des dispositions des articles 79 et 82 du code général des impôts " [de sorte que] l'administration fiscale ne pouvait imposer les sommes perçues sur le fondement de l'impôt sur le revenu » ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire des écritures de Mme X...duquel il résultait que, s'agissant de sommes dont elle n'était pas redevable envers l'administration fiscale, aucune fraude fiscale ne pouvait lui être reprochée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 3) alors que Mme X...faisait valoir que, « tant la procédure fiscale que l'enquête préliminaire démontrent au contraire que Mme Y...ne s'est pas inquiétée précisément de l'acquittement d'impôt suite à la cession intervenue dans la mesure où elle pensait légitimement que les impôts dus avaient été prélevés à la source » ; qu'en s'abstenant de rechercher si la croyance, chez Mme X..., d'un prélèvement à la source de la somme litigieuse était à même d'établir l'absence d'élément intentionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 4) alors que Mme X...faisait ainsi valoir qu'elle avait « expliqué aux services de police que son comptable, M. Z..., était parfaitement informé de ce versement. Mme Y... ne s'occupe pas personnellement d'établir ses déclarations et c'est M. Z... qui s'en charge pour elle depuis 35 ans » ; que pour déclarer Mme X...coupable de la fraude fiscale qui lui était reprochée, la cour d'appel a énoncé que « le fait de confier la gestion de ses intérêts à un tiers n'est pas exonératoire de sa responsabilité en matière fiscale » ; qu'en se déterminant ainsi, quand la délégation de la tâche de déclaration à son comptable était de nature à priver l'infraction de tout élément moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 5) alors que la demanderesse avait fait valoir que « Mme Y... n'a jamais eu son attention attirée sur le fait qu'elle devait se charger personnellement de déclarer les impôts dus. Elle s'était entourée de toutes les personnes compétentes pour que les démarches administratives et fiscales soient effectuées ; ce qu'elle a toujours légitimement pensé comme fait, correctement, en temps et en heure » ; que la cour d'appel n'a pourtant pas recherché si le fait que l'opération ait été prise en charge par les avocats de l'acquéreur n'était pas de nature à établir l'absence d'intention de Mme X...; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 6) alors que Mme X...faisait valoir devant la cour d'appel, outre l'imprécision de la clause 9 du contrat, que cette clause avait « été rédigée deux mois avant la signature du contrat définitif du 3 janvier 2007 qui est venu comme se substituer aux précédents contrats puisque caractérisant l'aboutissement des discussions » ; qu'en se bornant à énoncer que Mme X...avait été informée « lors de l'établissement de l'acte de cession en novembre 2006 qu'elle avait la responsabilité entière de la fiscalité afférente à l'opération » sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé par la demanderesse dans ses écritures d'appel, si le contrat de cession définitif du 3 janvier 2007 n'avait pas remis en cause le contrat du 14 novembre 2006 quant aux obligations fiscales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés susvisés ;
" 7) alors que Mme X...avait fait valoir, devant la cour d'appel, que si « sa volonté avait été de dissimuler ces revenus, il lui aurait été très facile de demander à LNIH de verser les fonds sur son compte américain plutôt que sur son compte français ouvert à la BNP, ce qu'elle n'a pas fait » ; qu'en s'abstenant de rechercher si cet élément n'était pas de nature à établir l'absence d'intention de Mme X..., la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale " ;
Attendu que, pour écarter les arguments de la prévenue, qui faisait valoir que l'impôt, objet de la fraude fiscale, avait été annulé par la cour administrative d'appel et qu'il n'y avait aucune intention frauduleuse de sa part, et la déclarer coupable des faits reprochés, l'arrêt énonce que la prévention vise la non-déclaration de revenus quelle qu'en soit la nature spécifique, que l'élément matériel n'est pas contestable, que la déclaration d'impôt pour l'année 2007 ne fait pas état de la somme de 2 266 540 euros montant de cession de parts mobilières, soit au titre des revenus, soit au titre de plus-value, que l'intention frauduleuse est caractérisée, que la prévenue ne peut méconnaître ses obligations déclaratives fiscales de revenus ou s'exonérer de sa responsabilité en confiant leur gestion à un tiers, que lors de l'établissement de l'acte de cession en novembre 2006, elle a été informée de son entière responsabilité quant à la fiscalité afférente à l'opération, et qu'elle savait que le prix de cession n'avait pas été taxé, ayant d'elle-même, sans informer le contrôleur, effectué en juin 2010 une déclaration de revenus complémentaires faisant état d'une plus value taxable, accompagnée d'un règlement des impôts dus à ce titre ;
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que, dans sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a décidé que l'article 1729 du code général des impôts ainsi que les mots " soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt " figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code sont conformes à la Constitution sous trois réserves, notamment celle énonçant, au paragraphe 13 de sa décision, que les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts " ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale " ;
Que, cependant, la décision de la cour administrative d'appel du 21 mai 2015 n'a pas déchargé la prévenue de toute imposition sur les sommes en cause ; que si elle l'a en effet déclarée non redevable de l'impôt calculé sur le prix de cession des parts de sa société regardé comme un salaire, par application des articles 79 et 82 du code général des impôts relatifs aux traitements et salaires, elle n'a pas remis en cause le manquement à l'obligation déclarative au titre des revenus imposables de ce prix de cession en tant que plus-values de cession à titre onéreux, par application des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts ;
Attendu qu'en conséquence, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'infraction de fraude fiscale constituée par la minoration des sommes déclarées restait caractérisée ;
Que les griefs invoqués ne sont donc pas fondés ;
Sur le moyen, pris en ses autres branches :
Attendu que les énonciations de l'arrêt mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale dont elle a déclaré la prévenue coupable ; que ces griefs ne font que remettre en question l'appréciation souveraine des juges du fond et doivent être écartés ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 15. 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, 111-3, 112-1 du code pénal, 1741, 1750 du code général des impôts, 50, § I, de la loi 52-401 du 14 avril 1952, 591, 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Mme X...à une peine de 50 000 euros d'amende ;
" aux motifs qu'il y a lieu, au vu de l'importance des droits éludés, de prononcer à son encontre une condamnation à payer une amende de 50 000 euros qui tient compte des charges et des ressources de l'intéressée ;
" alors que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; que dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, applicable à l'époque des faits, l'article 1741 du code général des impôts prévoyait une peine d'amende d'un maximum de 37 500 euros, au titre du délit de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, ou de dissimulation de sommes sujettes à l'impôt, la peine d'amende n'étant portée à 75 000 euros que dans l'hypothèse où les faits auraient été réalisés ou facilités au moyen d'achats ou de ventes sans factures ou bien encore de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou lorsqu'ils ont eu pour objet d'obtenir de l'Etat des remboursements injustifiés ; qu'en l'espèce, dès lors qu'il n'était pas imputé à Mme X...l'une de ces circonstances aggravantes, le maximum encouru par elle de la peine d'amende était de 37 500 euros ; qu'en la condamnant à une peine de 50 000 euros, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Vu l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu que, selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré Mme X...coupable de fraude fiscale pour des faits commis en 2008, l'arrêt la condamne à 50 000 euros d'amende ;
Mais attendu qu'en prononçant une peine qui excède le maximum de 37 500 euros prévu par l'article 1741 du code général des impôts, dans sa version en vigueur à la date des faits, la cour d'appel a méconnu les textes et principe ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 2 février 2016, mais en sa seule disposition relative au montant de l'amende prononcée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
FIXE à 37 500 euros le montant de l'amende prononcée contre Mme X...;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit juin deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.