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22/06/2017 | FRANCE | N°16-22014

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 juin 2017, 16-22014


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 6 mai 2016), que, suivant acte notarié du 26 février 1975, M. Henri X...et Mme Y..., son épouse, ont donné à leurs enfants la nue-propriété de biens immobiliers, avec clause de réserve d'usufruit ; qu'après le divorce des époux prononcé le 11 février 1976, Mme Y... a continué à bénéficier des revenus des biens immobiliers concernés ; que, le 30 août 2001, M. Henri X... a donné à son fils, M. Jean-Georges X... (les consort

s X...), un tiers de son usufruit ; qu'en février 2004, les consorts X... ont charg...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 6 mai 2016), que, suivant acte notarié du 26 février 1975, M. Henri X...et Mme Y..., son épouse, ont donné à leurs enfants la nue-propriété de biens immobiliers, avec clause de réserve d'usufruit ; qu'après le divorce des époux prononcé le 11 février 1976, Mme Y... a continué à bénéficier des revenus des biens immobiliers concernés ; que, le 30 août 2001, M. Henri X... a donné à son fils, M. Jean-Georges X... (les consorts X...), un tiers de son usufruit ; qu'en février 2004, les consorts X... ont chargé Mme Z... (l'avocate) d'assigner Mme Y... en remboursement des sommes qu'ils estimaient par elle indûment perçues, au motif que, depuis l'année 1978, elle exerçait une activité rémunérée ; que, par ordonnance du 19 juin 2008, le juge de la mise en état a constaté la péremption de l'instance ; qu'après l'échec d'une nouvelle procédure contre Mme Y..., les consorts X..., reprochant à l'avocate d'avoir laissé se périmer la première instance, l'ont assignée en responsabilité civile professionnelle et indemnisation ;

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'exception de celle d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts au profit de l'un d'eux, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge ne peut dénaturer les termes clairs et précis d'un acte ; qu'en l'espèce, l'acte de donation du 26 février 1975 stipulait à la rubrique « Réserve d'usufruit » : « (…) Il est toutefois précisé que Mme X... née Jeanne Y... sera seule bénéficiaire de cet usufruit tant qu'elle n'exercera pas en raison de l'accident dont elle vient d'être victime de profession salariée et rémunérée. A partir du jour où Mme Jeanne X... exercera de nouveau une profession salariée et rémunérée, M. Henri X... aura droit à l'usufruit exclusif des droits immobiliers ci-dessus désignés sous 2° dépendant de l'immeuble rue Mercière n° 3 (…) » ; qu'en limitant le préjudice de perte de chance subi par les consorts X... motifs pris que la clause de réserve d'usufruit litigieuse accordait l'usufruit du bien donné à Mme Y... à la seule condition qu'elle n'exerce pas d'activité rémunérée alors qu'il résultait des termes clairs et précis de l'acte litigieux que l'usufruit ne lui avait été accordé, sans qu'il puisse être fractionné dans le temps, que jusqu'à ce qu'elle reprenne une activité salariée à la suite de l'accident dont elle avait été victime, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause intitulée « réserve d'usufruit » stipulée à l'acte de donation du 26 février 1975 violant ainsi l'article 1134 du code civil devenu l'article 1103 du code civil ;

2°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant tout à la fois, d'une part, que l'usufruit avait été accordé à Mme Y... « jusqu'à ce qu'elle exerce à nouveau une profession salariée » et, d'autre part, que les termes de la convention « se bornait à conditionner la perception des loyers par l'épouse à l'absence de rémunération résultant d'une activité salariée » de telle sorte que M. Henri X... aurait pu prétendre aux loyers perçus par l'épouse durant les neuf mois en 1975 où elle avait perçu des salaires, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que tenu de respecter le principe du contradictoire, le juge ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, ni les consorts X..., ni l'avocate n'avaient soutenu dans leurs conclusions d'appel respectives que l'usufruit, qui avait été réservé exclusivement à Mme Y..., lui était dû, même après reprise d'une activité salariée, pour toutes les périodes où elle n'en exercerait plus ; qu'en soulevant d'office ce moyen, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'il résulte des constatations de la cour que Mme Y... bénéficiait de son usufruit jusqu'à ce qu'elle ait repris une activité salariée ce qu'elle avait fait à compter du 28 février 1975 : qu'en refusant d'en déduire que M. Henri X... devait récupérer le bénéfice exclusif de son usufruit à partir de cette date, de sorte que son fils et lui avaient perdu, par la faute de leur avocat qui avait laissé l'instance se périmer, une chance de percevoir les loyers de l'immeuble donné depuis le 28 février 1975, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1147 du code civil ;

5°/ qu'en décidant, pour limiter le préjudice de perte de chance des consorts X..., que Mme Y... n'avait exercé d'activité salariée rémunérée que pendant neuf mois en 1975 alors que l'usufruit avait été concédé à Mme Y... jusqu'au jour où elle reprendrait une telle activité et non pour toutes les périodes où elle n'en exercerait pas, la cour d'appel, qui a statué par des motifs totalement inopérants, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que la clause de réserve d'usufruit stipulait que Mme Y... en serait seule bénéficiaire tant qu'elle n'exercerait pas, en raison de l'accident dont elle venait d'être victime, de profession salariée et rémunérée, et qu'à partir du jour où elle exercerait de nouveau une telle profession, M. Henri X... aurait droit à l'usufruit exclusif des droits immobiliers ; que l'ambiguïté des stipulations contractuelles sur la portée desquelles les parties étaient en désaccord nécessitait de rechercher leur commune intention ; que, dès lors, c'est par une interprétation souveraine de celles-ci, exclusive de toute dénaturation, et sans se contredire, que la cour d'appel a retenu que l'usufruit exclusif de Mme Y... s'étendait à toutes les périodes où elle n'avait pas exercé, de manière stable, une activité salariée et rémunérée ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne MM. Henri et Jean-Georges X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour MM. Henri et Jean-Georges X....

IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Mme Marie-Noëlle Z... à payer à M. Henri X... la seule somme de 1. 645 € à titre de dommages-intérêts avec intérêts de retard à compter du présent arrêt et d'avoir rejeté le surplus des demandes de MM Henri et Jean-Georges X....

- AU MOTIF QUE la seule question sérieusement discutée à hauteur de la cour est celle du préjudice des appelants. Ce préjudice s'analyse en une perte de chance de voir leur action contre Mme Y... prospérer. Des justificatifs produits par MM. Henri et Jean-Georges X..., il ressort que Mme Y... était, depuis 1973, salariée de la société dont le président du conseil d'administration était son époux et qu'elle avait subi, avant l'acte du 26 février 1975, un accident l'empêchant de travailler. A la date de l'acte, elle ne percevait plus de salaire, raison pour laquelle l'usufruit de l'immeuble donné par les époux à leurs enfants lui a été attribué " jusqu'à ce qu'elle exerce de nouveau une profession salariée et rémunérée ". Les livres de payes de la société pour l'année 1975 font apparaître qu'à compter de mars 1975, Mme Y... a perçu un salaire de 1 500 francs par mois, cette rémunération n'étant, curieusement, pas versée mensuellement, mais a posteriori et sans régularité : deux mois en mars 1975, un mois en avril 1975, quatre mois en août 1975, deux mois en décembre 1975. Il n'est pas justifié du versement de salaires en 1976. Par ailleurs, après le divorce prononcé par jugement du 11 février 1976, Mme Y... a été désignée présidente du conseil d'administration de la société, en remplacement de son époux, selon délibération du conseil d'administration en date du 22 avril 1976. A compter de cette date, elle a perçu des rémunérations, mais au titre de son mandat social, et non en vertu d'un contrat de travail inexistant faute de lien de subordination. Les attestations produites par les appelants, qui font état des activités de Mme Y... au sein de la société, ne contredisent pas ce point, les témoins ignorant le statut de l'intéressée au regard du droit du travail. Enfin, aucun élément, sinon un témoignage imprécis et très insuffisant, ne démontre que Mme Y... aurait exercé une activité salariée en-dehors de la société dont elle présidait le conseil d'administration. De tout ce qui précède, il peut être déduit que :

- postérieurement au 22 avril 1976, les conditions n'étaient pas remplies pour que l'usufruit soit transféré de Mme Y... à son époux, puisque, si l'épouse percevait une rémunération, ce n'était pas, comme le prévoyait l'acte du 26 février 1975, au titre d'une activité salariée, allant de pair avec le statut protecteur attaché à la qualité de salarié,
- du 28 février 1975 au 31 décembre 1975, en revanche, Mme Y... a perçu, irrégulièrement, pendant neuf mois, des rémunérations, qui ne pouvaient être que des salaires, de la part de la société dirigée à l'époque par son époux.

L'intention des parties de procurer à l'épouse un revenu au moins égal au montant des loyers de l'immeuble donné aux enfants ne ressort pas des termes de la convention, qui se borne à conditionner la perception des loyers par l'épouse à l'absence de rémunération résultant d'une activité salariée. Il s'ensuit que M. Henri X... aurait pu prétendre aux loyers perçus par l'épouse durant les neuf mois en 1975 où elle a perçu des salaires, soit, selon ses propres calculs (pièce n° 9 produite par les appelants) : 1 500 x 9 = 13 500 francs (2 057 euros). La perte de chance de percevoir cette somme, du fait de la faute imputable à Mme Marie-Noëlle Z..., est estimée par la cour à 80 %. L'intimée sera donc condamnée à payer la somme de 2 057 x 80 %, soit 1 645 euros, à M. Henri X..., seul celuici et non M. Jean-Georges X... pouvant prétendre à la réversion de l'usufruit sur la période prise en compte. Le surplus des demandes des appelants, notamment au titre de loyers futurs, n'est pas fondé. Le préjudice moral invoqué par MM. Henri et Jean-Georges X... n'étant pas établi, leurs demandes à ce titre seront rejetées.

- ALORS QUE D'UNE PART le juge ne peut dénaturer les termes clairs et précis d'un acte ; qu'en l'espèce, l'acte de donation du 26 février 1975 stipulait à la rubrique « Réserve d'usufruit » : « (…) Il est toutefois précisé que Mme X... née Jeanne Y... sera seule bénéficiaire de cet usufruit tant qu'elle n'exercera pas en raison de l'accident dont elle vient d'être victime de profession salariée et rémunérée. A partir du jour où Mme Jeanne X... exercera de nouveau une profession salariée et rémunérée, M. Henri X... aura droit à l'usufruit exclusif des droits immobiliers ci-dessus désignés sous 2° dépendant de l'immeuble rue Mercière n° 3 (…) » ; qu'en limitant le préjudice de perte de chance subi par les consorts X... motifs pris que la clause de réserve d'usufruit litigieuse accordait l'usufruit du bien donné à Mme Y... à la seule condition qu'elle n'exerce pas d'activité rémunérée alors qu'il résultait des termes clairs et précis de l'acte litigieux que l'usufruit ne lui avait été accordé, sans qu'il puisse être fractionné dans le temps, que jusqu'à ce qu'elle reprenne une activité salariée à la suite de l'accident dont elle avait été victime, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause intitulée « réserve d'usufruit » stipulée à l'acte de donation du 26 février 1975 violant ainsi l'article 1134 du code civil devenu l'article 1103 du code civil ;

- ALORS QUE D'AUTRE PART la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant tout à la fois d'une part que l'usufruit avait été accordé à Mme Y... « jusqu'à ce qu'elle exerce à nouveau une profession salariée » (cf arrêt p 4 § 8) et d'autre part que les termes de la convention « se bornait à conditionner la perception des loyers par l'épouse à l'absence de rémunération résultant d'une activité salariée » de telle sorte que M. Henri X... aurait pu prétendre aux loyers perçus par l'épouse durant les 9 mois en 1975 où elle avait perçu des salaires (cf arrêt p 5 § 5 et 6), la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

- ALORS QUE DE TROISIEME PART tenu de respecter le principe du contradictoire, le juge ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, ni les consorts X..., ni Maitre Z... n'avaient soutenu dans leurs conclusions d'appel respectives que l'usufruit, qui avait été réservé exclusivement à Mme Y..., lui était dû, même après reprise d'une activité salariée, pour toutes les périodes où elle n'en exercerait plus ; qu'en soulevant d'office ce moyen, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- ALORS QUE DE QUATRIEME PART il résulte des constatations de la cour que Mme Y... bénéficiait de son usufruit jusqu'à ce qu'elle ait repris une activité salariée ce qu'elle avait fait à compter du 28 février 1975 : qu'en refusant d'en déduire que M. Henri X... devait récupérer le bénéfice exclusif de son usufruit à partir de cette date, de sorte que son fils et lui avaient perdu, par la faute de leur avocat qui avait laissé l'instance se périmer, une chance de percevoir les loyers de l'immeuble donné depuis le 28 février 1975, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1147 du code civil.

- ALORS QU'ENFIN en décidant, pour limiter le préjudice de perte de chance des consorts X..., que Mme Y... n'avait exercé d'activité salariée rémunérée que pendant neuf mois en 1975 alors que l'usufruit avait été concédé à Mme Y... jusqu'au jour où elle reprendrait une telle activité et non pour toutes les périodes où elle n'en exercerait pas, la cour d'appel, qui a statué par des motifs totalement inopérants, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle au regard de l'article 1147 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-22014
Date de la décision : 22/06/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 06 mai 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 22 jui. 2017, pourvoi n°16-22014


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché, SCP Odent et Poulet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.22014
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