LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 janvier 2016), que la société Telecom Italia, qui commercialisait des produits de télécommunication auprès du public, a confié, à partir du mois d'octobre 2005, différentes prestations de logistique à la société Primatel, dans le cadre de trois contrats successifs, le dernier à échéance du 31 décembre 2009 ; qu'en mars 2006, la société Primatel a confié à sa filiale, la société Prima tech services, la mise en place et la gestion du réseau logistique nécessaire à ces prestations et, en octobre suivant, à une autre filiale, la société Primatel services familles, l'activité de formation des personnels ; qu'après avoir informé la société Primatel, en octobre 2008, de son projet d'internaliser certaines fonctions logistiques, la société Free, venue aux droits de la société Telecom Italia, a cessé de lui confier des prestations à compter du mois de mai 2009 ; que la société Primatel a assigné la société Free en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ; que les sociétés Prima tech services et Primatel services familles sont intervenues volontairement à l'instance et ont demandé l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture de la relation commerciale ayant lié les sociétés Free et Primatel ;
Attendu que les sociétés Primatel, Prima tech services et Primatel services familles font grief à l'arrêt du rejet des demandes de dommages-intérêts formées par les deux dernières alors, selon le moyen :
1°/ qu'un tiers pouvant invoquer la rupture brutale d'une relation commerciale établie sur le fondement de la responsabilité délictuelle, dès lors que cette rupture brutale lui a causé un préjudice, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie engage sa responsabilité délictuelle à l'égard du sous-traitant de son cocontractant, quand bien même il ne l'aurait pas agréé ; qu'en rejetant les demandes de réparation dirigées par les sociétés Prima tech services et Primatel services familles contre la société Free, aux droits de la société Telecom Italia, motifs pris de ce que ces deux sous-traitants de la société Primatel, à défaut d'avoir été agréés par la société Telecom Italia, n'établissaient pas « avoir entretenu de relations directes avec cette dernière », là où les demandes des sociétés Prima tech services et Primatel services familles étaient fondées sur la faute délictuelle qu'avait commise la société Telecom Italia en rompant brutalement ses relations commerciales avec la société Primatel et tendaient à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture de cette relation, la cour d'appel qui, pour refuser d'y faire droit, s'est fondée sur des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°/ que l'agrément par le maître de l'ouvrage du sous-traitant de son cocontractant peut être aussi bien exprès que tacite ; que dans leurs conclusions, elles rappelaient que, dès 2005, la mise en place d'une structure opérationnelle constituée par les sociétés Primatel, Prima tech services et Primatel services familles afin d'assurer, en France, l'assistance et la logistique des produits de la société Telecom Italia avait été encouragée et décidée d'un commun accord avec cette dernière qui, pendant près de 4 ans, avait validé toutes leurs interventions; qu'en se bornant à relever que les sociétés Prima tech services et Primatel services familles, faute d'avoir été formellement déclarées à la société Telecom Italia, n'établissaient pas « avoir entretenu de relations directes avec cette dernière », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si la société Telecom Italia ne les avait pas tacitement acceptées comme sous-traitants de la société Primatel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article « L. 442-6-5-1° » du code de commerce ;
3°/ que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en relevant, pour les débouter de leurs demandes indemnitaires, que « le calcul du préjudice des sociétés Prima tech services et Primatel services familles, tel que présenté par le cabinet Syrec », reposait « en partie sur des éléments non prouvés » et qu'il était « pour partie relatif à l'interruption de la relation commerciale mais pas au caractère brutal de la rupture », cependant que de telles circonstances ne la dispensaient pas d'évaluer la partie du préjudice invoqué dont elle avait, par les mêmes motifs, implicitement constaté le principe et le caractère causal, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions des sociétés Primatel services familles et Prima tech services que celles-ci aient fondé leurs demandes sur l'article 1382 du code civil ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, l'absence de relations commerciales directement entretenues entre les sociétés Primatel services familles et Prima tech services et la société Free, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la deuxième branche, relative à l'existence d'un agrément tacite de ces sociétés sous-traitantes par la société Free, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé sur le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Primatel, Prima tech services et Primatel services familles aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à la société Free et rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Primatel, la société Prima tech services et la société Primatel services familles
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles de leurs demandes indemnitaires dirigées contre la société Free, aux droits de la société Telecom Italia France ;
Aux motifs propres que « les appelantes fondent leur appel sur le seul article L.442-6-I 5° du code de commerce, l'intimée invoquant des fautes de la société Primatel lors de l'exécution du contrat pour justifier la résiliation du contrat (…) ; Prima Tech Services et Primatel Services Familles sollicitent l'indemnisation du préjudice qu'elles auraient subi du fait de la rupture des relations entre Primatel et Free aux motifs qu'elles auraient été créées comme filiales ad hoc dans le cadre de l'exécution des contrats conclus entre Primatel et Telecom Italia. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a été retenu que la notion de relations commerciale ne peut s'entendre que de relations effectivement et réellement entretenues entre des personnes morales ou physiques et que ceci exclut que ces relations puissent être appréciées de manière globale au niveau d'un groupe de personnes juridiquement distinctes les unes des autres, et indépendantes. Primatel n'a pas respecté les dispositions de l'article XIX du contrat de décembre 2007 qui l'obligeait à soumettre à l'agrément de Telecom Italia France ses sous-traitants. Ceux-ci ne justifient pas avoir entretenu de relations directes avec cette dernière ce qui implique le rejet de leurs demandes d'indemnisation » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que « les sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles filiales à 100% de Primatel, dont l'activité était dédiée aux contrats successifs de leur maison mère avec Telecom Italia France, s'estiment victimes indirectes de la rupture des relations entre Free et Primatel et réclament indemnisation de leur propre préjudice; que Free déclare ne pas connaître ces sociétés, qui sont peut-être sous-traitantes de Primatel mais n'ont pas été soumises à son agrément en cette qualité en application de l'article XIX du contrat de décembre 2007 la liant à Primatel; que les sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles fondent également leurs prétentions sur l'application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, qui sanctionne la rupture brutale d'une relation commerciale établie effectivement et réellement entretenues entre des personnes morales ou physiques, et que ceci exclut que ces relations puissent être appréciées de manière globale au niveau d'un groupe de personnes juridiquement distinctes les unes des autres, et indépendantes, quand bien même celles-ci partageraient des caractères communs ou des dirigeants communs; que dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que les sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles, quoique sous-traitantes de Primatel, n'avaient pas été déclarées 7. formellement à Télécom Italia France, en violation de l'article XIX du contrat de décembre 2007; qu'en conséquence, Telecom Italia France était censée ignorer leur intervention, qui découlait de modalités d'organisation propres à Primatel et de sa responsabilité; qu'a fortiori elle n'entretenait pas de relations commerciales avec elles; qu'en l'absence de relations commerciales entre deux parties, les dispositions de l'article L. 442-6-5-1° du code de commerce ne peuvent trouver à s'appliquer, et qu'il revient aux sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles, si elles estiment avoir subi un préjudice, de se retourner, le cas échéant, contre leur donneur d'ordres Primatel ; qu'au surplus, le calcul du préjudice des sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles, tel que présenté par le cabinet Syrec, repose en partie sur des éléments non prouvés, et est pour partie relatif à l'interruption de la relation commerciale mais pas au caractère brutal de la rupture » ;
Alors, d'une part, qu'un tiers pouvant invoquer la rupture brutale d'une relation commerciale établie sur le fondement de la responsabilité délictuelle, dès lors que cette rupture brutale lui a causé un préjudice, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie engage sa responsabilité délictuelle à l'égard du soustraitant de son cocontractant, quand bien même il ne l'aurait pas agréé; qu'en rejetant les demandes de réparation dirigées par les sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles contre la société Free, aux droits de la société Telecom Italia, motifs pris de ce que ces deux sous-traitants de la société Primatel, à défaut d'avoir été agréés par la société Telecom Italia, n'établissaient pas « avoir entretenu de relations directes avec cette dernière », là où les demandes des sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles étaient fondées sur la faute délictuelle qu'avait commise la société Telecom Italia en rompant brutalement ses relations commerciales avec la société Primatel et tendaient à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture de cette relation, la cour d'appel qui, pour refuser d'y faire droit, s'est fondée sur des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
Alors, d'autre part, et subsidiairement, que l'agrément par le maître de l'ouvrage du sous-traitant de son cocontractant peut être aussi bien exprès que tacite ; que dans leurs conclusions (p. 16, § 4.2, p. 20, § 5.2), les exposantes rappelaient que, dès 2005, la mise en place d'une structure opérationnelle constituée par les sociétés Primatel, Prima Tech Services et Primatel Services Familles afin d'assurer, en France, l'assistance et la logistique des produits de la société Télecom Italia avait été encouragée et décidée d'un commun accord avec cette dernière qui, pendant près de 4 ans, avait validé toutes leurs interventions; qu'en se bornant à relever que les sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles France, faute d'avoir été formellement déclarées à la société Telecom Italia, n'établissaient pas « avoir entretenu de relations directes avec cette dernière », sans rechercher, ainsi qu'elle 8. y était expressément invitée, si la société Telecom Italia ne les avait pas tacitement acceptées comme sous-traitants de la société Primatel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 442-6-5-1° du code de commerce ;
Alors, enfin, que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en relevant, pour les débouter de leurs demandes indemnitaires, que « le calcul du préjudice des sociétés Prima Tech Services et Primatel Services Familles, tel que présenté par le cabinet Syrec », reposait « en partie sur des éléments non prouvés » et qu'il était « pour partie relatif à l'interruption de la relation commerciale mais pas au caractère brutal de la rupture », cependant que de telles circonstances ne la dispensaient pas d'évaluer la partie du préjudice invoqué dont elle avait, par les mêmes motifs, implicitement constaté le principe et le caractère causal, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil.