LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Sophie X...,
- Marianne Y..., épouse X...,
- Bernard X..., parties civiles,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de DOUAI, en date du 15 février 2017, qui, dans l'information suivie contre M. Romuald Z..., des chefs de viol et agressions sexuelles aggravés, a déclaré irrecevable leur appel de l'ordonnance du juge d'instruction le renvoyant devant le tribunal des enfants statuant en matière criminelle ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 20 et 24 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, préliminaire, 186, 186-3, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'appel irrecevable ;
" aux motifs qu'aux termes de l'article 24 de l'ordonnance du 2 février 1945, les dispositions des articles 185 à 187 du code de procédure pénale sont applicables aux ordonnances du juge d'instruction spécialement chargé des affaires des mineurs ; qu'il résulte de l'article 186, alinéa 2, du code de procédure pénale, que la partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils ; que, dans son mémoire, la partie civile se borne à soutenir que les faits de viols ont été commis alors que la personne mise en examen était âgée de plus de 16 ans, de sorte que seule la cour d'assises pour mineurs est compétente pour en connaître ; qu'il n'est pas allégué par la partie civile que le juge d'instruction aurait omis de statuer sur des faits dont il aurait été régulièrement saisi ; que le renvoi de M. Romuald Z...devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle laisse intact le droit de la partie civile d'obtenir réparation de son préjudice devant cette juridiction de jugement ; que l'ordonnance attaquée n'est qu'indicative de juridiction ; que la partie civile conserve le droit de contester la date des faits de viol retenue par l'ordonnance de renvoi devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle ainsi que la compétence de cette juridiction, au regard de cette date ; que dans l'hypothèse où le tribunal des enfants s'estimerait incompétent en raison de l'âge de M. Z... à la date des faits de viol, et où, par suite, il existerait entre l'ordonnance attaquée et cette décision, une contradiction entraînant un conflit négatif de juridiction, il appartiendrait au procureur de la République de saisir la chambre criminelle aux fins de règlement de juges ; qu'ainsi, les droits de la partie civile restent préservés dans la suite de la procédure ; qu'en vertu des articles 186-3 du code de procédure pénale et 24 de l'ordonnance du 2 février 1945, la partie civile peut interjeter appel des ordonnances prévues par le premier alinéa de l'article 179 dans le cas où elle estime que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel ou le tribunal pour enfants constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises ; que l'article 186-3 précité a pour objet d'apporter une exception limitée au principe général selon lequel les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel ou le tribunal pour enfants ne sont pas susceptibles d'appel par les parties, dans le seul cas où une partie estime que le juge d'instruction a correctionnalisé des faits de nature criminelle ; que ce droit d'appel ainsi encadré a pour contrepartie l'interdiction pour les juridictions correctionnelles de revenir sur une telle correctionnalisation ; qu'en l'espèce, et conformément à la demande de la partie civile, le juge d'instruction n'a pas correctionnalisé les faits de viols pour lesquels M. Z... a été mis en examen ; que celui-ci est renvoyé devant le tribunal pour enfants du chef de viols ; que la compétence du tribunal des enfants résulte non pas de la nature délictuelle des faits mais de l'âge du mis en examen à la date de commission de ces derniers ; que dès lors, l'appelant ne peut utilement fonder la recevabilité de son appel sur l'article 186-3 du code de procédure pénale ; qu'il y a lieu en conséquence de déclarer irrecevable l'appel formé par l'avocat des parties civiles ;
" 1°) alors que l'appel est toujours recevable en cas d'excès de pouvoir ; que l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante détermine, dans l'intérêt des mineurs, des règles impératives qui ne comportent aucune dérogation ; que, selon l'article 20 de cette ordonnance, le mineur âgé de seize ans au moins, accusé de crime, sera jugé par la cour d'assises des mineurs, laquelle peut également connaître des crimes et délits commis par le mineur avant d'avoir atteint l'âge de seize ans révolus lorsqu'ils forment avec le crime principalement poursuivi un ensemble connexe ou indivisible ; que commet un excès de pouvoir le juge d'instruction qui ordonne le renvoi devant le tribunal pour enfants à raison de faits qualifiés crimes, commis par un mineur de seize ans au moins, dont seule la cour d'assises des mineurs peut connaître ; qu'en cas de doute sur le point de savoir si des faits criminels connexes à d'autres faits ont été commis avant ou après l'âge de 16 ans, seule la cour d'assises, ayant plénitude de juridiction pour le tout, doit être saisie ; qu'en ordonnant le renvoi de M. Z..., ayant eu 16 ans le 18 janvier 2001, devant le tribunal pour enfants, pour des faits d'agression sexuelle commis à Douai et Aubais, entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2001, ainsi que pour des faits de viol commis à Douai et Aubais, entre le 1er janvier 1998 et le 17 janvier 2001, aux motifs que « dans le doute et compte tenu du flou des souvenirs des protagonistes, il conviendra de retenir une date antérieure aux 16 ans et d'admettre que ce viol a pu se dérouler tant à Douai qu'à Aubais, sachant que la plaignante a cependant toujours désigné plus formellement cette dernière ville », le juge d'instruction a excédé ses pouvoirs, de sorte que l'appel était recevable ;
" 2°) alors qu'en s'abstenant de vérifier, comme elle y était invitée, si les faits de viol n'avaient pas été commis à une date où M. Z... était âgé de plus de 16 ans, la chambre de l'instruction, qui s'est interdit de vérifier l'excès de pouvoir du juge d'instruction, a privé sa décision de base légale ;
" 3°) alors que, selon les articles 186-3 du code de procédure pénale et 24 de l'ordonnance du 2 février 1945, la partie civile peut interjeter appel des ordonnances de renvoi devant le tribunal pour enfants dans le cas où elle estime que les faits renvoyés constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises des mineurs ; qu'est dès lors recevable l'appel de la partie civile qui fait valoir que les faits renvoyés constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises des mineurs, et non d'un renvoi devant le tribunal pour enfants, fût-ce en raison, non d'une disqualification des faits, mais d'une limitation de la période de prévention prenant pour date butoir, sans rapport avec les faits eux-mêmes, la veille du seizième anniversaire de la personne mise en examen ; qu'en déclarant cet appel irrecevable, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 186-3 du code de procédure pénale et 20 de l'ordonnance du 2 février 1945 ;
" 4°) alors qu'aux termes de l'article 186 alinéa 2 du code de procédure pénale, « la partie civile peut interjeter appel des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils » ; que fait grief aux intérêts civils de la partie civile l'ordonnance portant renvoi devant le tribunal pour enfants d'un mineur de 16 ans pour viol commis « entre le 1er janvier 1998 et le 17 janvier 2001 », soit avant ses 16 ans, alors que le viol a été commis après le 17 janvier 2001 ; qu'en effet, le tribunal pour enfants saisi uniquement d'un viol inexistant, acquitterait le prévenu, sans pouvoir se déclarer incompétent, ni que la partie civile puisse contraindre le parquet à mieux se pourvoir au sujet d'un viol commis après le 17 janvier 2001 ; que l'appel était donc recevable " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 2 décembre 2010, Mme Sophie X..., âgée de 18 ans pour être née le 23 novembre 1992, a porté plainte contre son cousin et parrain, M. Romuald Z..., né le 18 janvier 1985, en raison d'agressions sexuelles que celui-ci lui aurait fait subir chaque été lorsqu'elle passait ses vacances à Aubais alors qu'elle avait entre 6 ans et demi et 8 ans et demi (soit de 1999 à 2001), et du viol dont elle disait avoir été victime à une reprise, les derniers faits remontant, selon elle, à la période à laquelle M. Z... avait noué une relation avec une jeune fille alors qu'il était âgé de 16 ans ; que M. Z..., qui n'a pas contesté les faits, a déclaré ne pas se souvenir de la date précise des faits de viol ; qu'au terme de l'information, le juge d'instruction a renvoyé M. Z... devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle, après avoir relevé qu'il n'était pas certain que les faits de viol aient été commis alors que l'auteur était âgé de plus de 16 ans ; que Mme X... et ses parents, Marianne et Bernard X..., ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour déclarer cet appel irrecevable, l'arrêt énonce que, selon l'article 24 de l'ordonnance du 2 février 1945, les dispositions des articles 185 à 187 du code de procédure pénale sont applicables aux ordonnances du juge d'instruction spécialement chargé des affaires des mineurs ; que les juges retiennent que l'article 186-3 dudit code exclut toute possibilité d'appel contre les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel sauf lorsque des faits de viols ont été correctionnalisés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, qu'il n'est pas allégué que le juge d'instruction ait omis de statuer sur des faits dont il aurait été régulièrement saisi et que le renvoi devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle laisse intact le droit de la partie civile d'obtenir réparation de son préjudice ; qu'ils ajoutent que, dans l'hypothèse où le tribunal des enfants s'estimerait incompétent en raison de l'âge de M. Z... à la date des faits de viol, il existerait, entre l'ordonnance attaquée et cette décision, une contradiction entraînant un conflit négatif de juridiction et un règlement de juges ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'ordonnance du magistrat instructeur renvoyant un mineur devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle ne tranche à l'égard de celui-ci aucune question de compétence et ne contient aucune disposition définitive de nature à s'imposer au tribunal saisi de l'accusation, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen et l'ordonnance n'est pas susceptible de recours ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Guérin, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, Bonnal, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.