La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/05/2017 | FRANCE | N°16-14637

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 mai 2017, 16-14637


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours d'une information judiciaire ouverte le 18 juin 2002 du chef de blanchiment commis de manière habituelle, le magistrat instructeur a délivré des commissions rogatoires en exécution desquelles ont été saisis, en avril et mai 2003, une villa, ainsi que deux appartements situés à Antibes, propriété de la SCI Arcada dont les parts sont, en majorité, détenues par M. et Mme Y..., des comptes bancaires ouverts aux noms de cette société, de M. ou de Mme Y..., d

es documents de comptabilité, un appartement situé à Monaco, propriété ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours d'une information judiciaire ouverte le 18 juin 2002 du chef de blanchiment commis de manière habituelle, le magistrat instructeur a délivré des commissions rogatoires en exécution desquelles ont été saisis, en avril et mai 2003, une villa, ainsi que deux appartements situés à Antibes, propriété de la SCI Arcada dont les parts sont, en majorité, détenues par M. et Mme Y..., des comptes bancaires ouverts aux noms de cette société, de M. ou de Mme Y..., des documents de comptabilité, un appartement situé à Monaco, propriété du couple, et un véhicule, appartenant à M. Y... ; qu'une ordonnance du 1er juillet 2009 lui a restitué ses comptes personnels, ceux de la SCI Arcada, ainsi que le véhicule ; que, soutenant que les autres biens ne lui avaient pas été restitués malgré l'ordonnance de non-lieu du 24 juin 2011, M. Y... a assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice et durée excessive de la procédure ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la deuxième branche du moyen :

Vu l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Attendu que, pour rejeter les prétentions de M. Y..., l'arrêt retient qu'une ordonnance du 1er juillet 2009 a accueilli la demande de restitution d'une partie des biens, que l'ordonnance de non-lieu du 24 juin 2011 a ordonné la restitution des objets saisis, et qu'en réponse à la demande, datée du 30 novembre 2011, reçue le 27 juillet 2012, le procureur de la République a requis les fonctionnaires de police judiciaire et les services administratifs du tribunal de grande instance aux fins de mainlevée des saisies pratiquées sur la villa et les appartements d'Antibes, les documents comptables et les comptes bancaires de Mme Y... ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le délai de restitution n'était pas excessif, eu égard à l'absence de remise effective des biens invoquée par M. Y... dans ses conclusions du 19 juin 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande relative à la restitution des biens saisis, l'arrêt rendu le 26 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. Y....

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de M. Pavel Y... tendant à engager la responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice et à obtenir réparation des préjudices subis ;

Aux motifs que « par réquisitoire introductif du 18 juin 2002, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille a ouvert une information pour des faits de blanchiment commis de manière habituelle ;

Attendu qu'en exécution de commissions rogatoires délivrées par le magistrat instructeur, ont été saisis, au mois d'avril et de mai 2003, une villa, ainsi que deux appartements, propriété de la SCI Arcada, dont les parts sont essentiellement détenues par les époux Y..., situés à Antibes, des comptes bancaires ouverts au nom de cette société à la banque UEB et au nom personnel de Monsieur Pavel Y..., à l'agence BNP Paribas de Monaco, des documents de comptabilité, un appartement situé à Monaco, appartenant aux époux Y..., un véhicule Lexus, appartenant à Monsieur Y..., ainsi que plusieurs comptes ouverts par son épouse Mme B... Larina à l'agence BNP Paribas Private Bank de Monaco ;

Attendu qu'à l'issue de son audition par la juge d'instruction le 7 janvier 2009, Monsieur Pavel Y... s'est vu notifier le statut de témoin assisté ;

Qu'une ordonnance de non-lieu a été rendue à son égard le 24 juin 2011 ;

Attendu que ses comptes personnels et ceux de ma SCI Arcada, ouverts à Monaco, ainsi que le véhicule Lexus lui ont été restitués par ordonnance du 1er juillet 2009 ;

Attendu que l'appelant expose que les autres biens ne lui ont toujours pas été rendus ;

Attendu que se fondant sur les dispositions des articles 5-3 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme, et des paragraphes II et III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, invoquant la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service de la justice, la responsabilité des juges à raison de leurs fautes personnelles, ainsi que la prise à partie, Monsieur Pavel Y... réclame la condamnation de l'Agent judiciaire du Trésor à lui payer la somme de 2 874 284 €, à titre de dommages et intérêts de son préjudice économique ;

Attendu que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée par application de l'article 141-1 du code de l'organisation judiciaire que par une faute lourde ou par un déni de justice ;

Attendu que constitue une faute lourde, toute déficience caractérisée par un fait, ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ;

Attendu que Monsieur Pavel Y... affirme, sans le démontrer que les actes d'instruction étaient globalement espacés d'un délai d'un an, alors que l'ordonnance de non-lieu, seule pièce du dossier pénal versée à la procédure révèle au contraire que de nombreux actes ont été régulièrement réalisés au cours d'information ;

Que ceux-ci sont consignés dans la notice du cabinet d'instruction produite aux débats ;

Attendu que des commissions rogatoires, notamment internationales, ont été délivrées et que plusieurs expertises financières ont été diligentées, en 2005 et 2007, outre des expertises en matière informatique ;

Qu'il a été procédé à plusieurs interrogatoires ;

Attendu que le déni de justice est établi en cas de refus de répondre aux requêtes ou la négligence à juger une affaire en l'état de l'être ;

Attendu que sur la requête en restitution déposée le 21 avril 2009 par Monsieur Pavel Y..., le juge d'instruction a communiqué, le 23 avril 2009 le dossier au ministère public qui a pris ses réquisitions le 24 avril 2009 et qu'il a statué par ordonnance du 1er juillet 2009, faisant droit à la demande pour une partie des biens saisis ;

Attendu que la requête aux fins de restitution et la mainlevée de saisie établie à l'intention du service exécution des peines du parquet de Marseille datée du 30 novembre 2011 porte un tampon d'arrivée du 27 juillet 2012 ;

Que sur cette demande, le parquet a pris des réquisitions adressées aux services de police judiciaire, ainsi qu'aux services administratifs du tribunal de grande instance de Marseille, pour que soit réalisée la mainlevée des saisies pratiquées sur la villa et les appartements d'Antibes, sur les documents de comptabilité des sociétés et sur les comptes bancaires de Madame B... Marina à Monaco ;

Attendu que les autres copies de requêtes aux fins de mainlevée de saisie ou de saisine directe qui auraient été adressées aux magistrats instructeurs ou, au président de la chambre d'instruction, produits devant la cour par l'appelant, ne comportent pas le tampon du greffe ou le récépissé de la poste attestant de leur réception ;

Qu'elles ne figurent pas sur la notice d'instruction ;

Attendu que l'ordonnance de non-lieu rendue le 24 juin 2011 a ordonné la restitution des objets saisis ;

Que l'absence de réponse à des requêtes, ne peut donc être valablement invoquée ;

Attendu que la notion de déni de justice englobe également tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridique de l'individu, notamment lorsqu'il n'est pas statué sur une accusation dans un délai raisonnable ;

Attendu qu'il peut être invoqué par tout usager du service public de la justice ;

Que cette qualité est conférée, non seulement aux parties à l'instance, mais aussi à toute personne directement concernée par la procédure à l'occasion de laquelle elle prétend avoir subi un dommage ;

Attendu qu'il peut être invoqué par tout usager du service public de la justice ;

Que cette qualité est conférée, non seulement aux parties à l'instance, mais aussi à toute personne directement concernée par la procédure à l'occasion de laquelle elle prétend avoir subi un dommage ;

Attendu que sous réserve de la preuve de la propriété des biens, dont la restitution a été réclamée, Monsieur Pavel Y... peut revendiquer cette qualité dès lors qu'il a été directement concerné d'une quelconque manière par la procédure pénale à l'occasion de laquelle ont été pratiquées des saisies à son encontre au cours de l'année 2003 ;

Qu'il est donc recevable à agir en indemnisation de mesures à caractère coercitif ayant eu pour conséquence de priver la jouissance de ses biens ;

Attendu que la durée susceptible d'être objectivement longue ne constitue pas, à elle seule, la démonstration d'un caractère fautif et anormal du déroulement de l'instance ;

Attendu qu'elle s'apprécie au regard des circonstances propres à chaque dossier, en prenant en considération, en particulier, la nature de l'affaire, son degré de complexité et le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure, ainsi que les mesures prises par les autorités compétentes ;

Attendu qu'en l'espèce le dossier portait sur des faits de blanchiment habituel commis par des mis en cause de nationalité étrangère, domiciliés temporairement en France, ayant créé notamment sur le territoire national, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, au moins 13 sociétés, dont au moins deux sociétés offshore ;

Que des comptes bancaires étaient ouverts aux Pays-Bas et à Curaçao ;

Que des commissions rogatoires internationales ont été adressées aux autorités judiciaires de trois pays différents ;

Attendu que le juge d'instruction français n'a aucun pouvoir de contrôle sur la qualité, le nombre et la date des actes d'investigation réalisés sur commission rogatoire dans des Etats étrangers qui dépendent du bon vouloir de ces derniers ;

Attendu que le courrier adressé, le 31 juillet 2002, par l'attaché de sécurité intérieure adjoint affecté au service de coopération technique de police internationale de l'ambassade de France à Moscou, au magistrat instructeur français, révèle les difficultés rencontrées pour poursuivre l'enquête en Russie ;

Attendu que l'Etat ne peut être tenu pour responsable des éventuelles carences de l'expert judiciaire qui a la qualité de collaborateur du service public ;

Attendu que l'opacité de la complexité des montages financiers a justifié des ordonnances de prorogation du délai de dépôt du rapport d'expertise initiale, ainsi que des expertises complémentaires ;

Attendu qu'il appartenait à l'appelant de réclamer la restitution des biens saisis à tout moment, comme le prévoit l'article 99 du code de procédure pénale ;

Attendu que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ;

Que Monsieur Y... n'a pas relevé appel contre l'ordonnance de refus de restitution rendue le 11 mars 2009 ;

Attendu qu'il n'a demandé à être entendu qu'à la fin de l'année 2008, alors que les textes du code de procédure pénale lui permettaient de réclamer sa confrontation avec les personnes le mettant en cause à tout moment ;

Attendu qu'il apparaît, au vu de l'ensemble de ces éléments que la durée de la procédure ne résulte pas l'inertie des juges, comme le soutient Monsieur Y..., mais des diverses ramifications de l'affaire, avec la participation de nombreux intervenants, exigeant des vérifications et recoupements multiples, dans plusieurs pays étrangers ;

Que l'existence d'une faute lourde de l'Etat n'est donc pas établie en l'espèce ;

Qu'aucun déni de justice n'est caractérisé dans le cadre de l'instruction pénale litigieuse ».

Alors que, d'une part, tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu, comprenant le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable, constitue un déni de justice engageant la responsabilité de l'Etat ; que dans le cadre d'une information ouverte depuis 2002, ce n'est que le 16 janvier 2009 que l'exposant, dont les biens avaient été saisis en avril et mai 2003, a été entendu pour la première fois par le magistrat instructeur, au surplus à sa demande, avant d'être placé sous le statut de témoin assisté et de bénéficier d'une ordonnance de non-lieu le 24 juin 2011 ; qu'en se fondant sur la complexité de l'affaire pour justifier la durée de la procédure, quand cette circonstance était insusceptible de justifier à elle seule la longueur de la procédure, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales, préliminaire du code de procédure pénale et L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Alors que, d'autre part, un retard excessif dans l'exécution d'une décision de justice définitive et le refus de répondre aux requêtes constituent un déni de justice engageant la responsabilité de l'Etat ; qu'en l'espèce, nonobstant l'ordonnance de non-lieu du 24 juin 2011 ayant ordonné la restitution des biens saisis, l'exposant a dû le 27 juillet 2012 saisir le service d'exécution des peines du parquet de Marseille d'une requête aux fins de restitution et de mainlevée des saisies ; qu'au jour de dépôt des conclusions devant la cour d'appel le 19 juin 2015, certains biens n'avaient toujours pas été restitués à l'exposant ; qu'en jugeant qu'aucun déni de justice n'était caractérisé, quand un délai de plus de trois ans pour exécuter une décision de restitution est manifestement excessif, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales, préliminaire du code de procédure pénale et L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Alors qu'enfin, constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; qu'en l'espèce, l'exposant soulignait dans ses conclusions responsives et récapitulatives un certain nombre d'anomalies dans la conduite de l'information ; qu'en retenant, pour écarter l'existence de toute faute lourde, que le juge d'instruction n'avait aucun pouvoir sur la qualité, le nombre et la dates des actes d'investigations réalisés sur commission rogatoire dans des Etats étrangers et qu'il appartenait à l'exposant de réclamer la restitution des biens saisis et de demander à être entendu, quand il incombe pourtant au juge d'instruction de veiller au bon déroulement de l'information dont il est chargé et de s'assurer qu'elle n'excède pas un délai raisonnable, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire et 220 du code de procédure pénale.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-14637
Date de la décision : 17/05/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

ETAT - Responsabilité - Fonctionnement défectueux du service de la justice - Activité juridictionnelle - Conditions - Biens saisis - Délai de restitution - Caractérisation - Recherche par le juge de la date effective de remise des biens

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6, § 1 - Délai raisonnable - Exigence - Violation - Défaut - Applications diverses

Lorsqu'il est soutenu, sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, que le délai de restitution des biens saisis est excessif, il appartient au juge de rechercher la date de remise effective des biens


Références :

article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 26 janvier 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 17 mai. 2017, pourvoi n°16-14637, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Foussard et Froger, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.14637
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award