LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu les articles L. 141-1 et R. 141-11 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) peuvent livrer leur concours à des opérations immobilières portant sur les biens d'autrui et relatives au louage à bail rural au bénéfice d'agriculteurs, en vue d'une installation ou d'un remaniement parcellaire de leur exploitation, et que le processus d'attribution en jouissance donne lieu à la consultation du comité technique départemental et des commissaires du gouvernement exerçant leurs fonctions au sein de la société ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 22 septembre 2015), que plusieurs propriétaires ont donné mandat à la SAFER Bourgogne Franche-Comté de trouver un preneur en vue de la location de parcelles ; qu'au cours de l'instruction des candidatures, le comité technique départemental a donné un avis favorable à l'attribution du fonds à MM. Xavier Y... et Aurélien A..., sous réserve d'un engagement d'échange au profit de M. Sébastien Y... ; que, par lettre du 25 avril 2012, la SAFER a fait connaître à celui-ci que sa candidature n'était pas retenue et que la location serait attribuée au Z... Y... A... à condition que ce dernier réalise un échange parcellaire avec lui ; que, MM. Xavier Y... et A... ayant refusé de procéder à la permutation, M. Sébastien Y... a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en réalisation de cet engagement et paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que, pour rejeter ses demandes, l'arrêt retient que le comité technique départemental n'est intervenu qu'à titre consultatif, de sorte que l'absence d'échange ne peut être constitutive d'une violation d'une décision prise par la SAFER et s'imposant aux tiers ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, pour la réalisation de ses missions d'intérêt général, une SAFER peut se livrer à des opérations d'entremise en vue du louage de parcelles agricoles et qu'elle peut, sur avis de ses organes consultatifs et de contrôle, subordonner l'attribution de la location à des conditions qui s'imposent au candidat retenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne le Z... Y... A..., M. Xavier Y... et M. A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Z... Y... A..., de M. Xavier Y... et de M. A... et les condamne in solidum à payer à M. Sébastien Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept avril deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Sébastien Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté toutes les demandes de M. Sébastien Y...,
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L. 411-39 du code rural, pendant la durée du bail le preneur peut effectuer les échanges ou locations qui ont pour conséquence d'assurer une meilleure exploitation, les échanges ne pouvant porter que sur la jouissance ; qu'ainsi que l'a rappelé le premier juge ces dispositions n'imposent en rien au preneur de procéder à des échanges qui restent soumis au libre accord des parties ; que M. Sébastien Y... fait en premier lieu valoir qu'il bénéficiait d'un échange préalable à la décision prise par la SAFER d'attribuer les terres aux Z... Y... A... et que l'échange doit être maintenu ; qu'or, l'accord en jouissance résultait d'un accord avec l'ancien exploitant des terrains et avait fait naître entre les parties des obligations qui ont pris fin à la date de la cessation de l'exploitation ; qu'il soutient ensuite que MM. Xavier Y... et Aurélien A... ont accepté l'échange qu'il avait demandé ; qu'or, il ne résulte d'aucun acte, émanant de ces derniers, qu'ils s'étaient formellement engagés auprès de M. Sébastien Y... à procéder à un échange de parcelles ou auprès de la SAFER lors de leur candidature pour exploiter les parcelles, la mention figurant à l'avis donné par le comité technique étant insuffisante pour en constituer la preuve ; qu'en outre, l'acte de vente en date du 30 juillet 2012, relatif à l'acquisition de l'exploitation par le Z... Y... A... ainsi que les baux ruraux conclus avec les propriétaires des parcelles ne contiennent aucune clause quelconque relative à l'échange ; qu'il résulte uniquement des explications des parties qu'un échange a été négocié puisqu'un projet a été établi par la chambre d'agriculture du Doubs mais qu'il n'a pas abouti ; que par ailleurs, les attestations produites par M. Sébastien Y... font certes apparaitre que les intimés avaient envisagé de procéder à cet échange mais il n'en résulte pas pour autant une acceptation sans réserve de l'offre faite par ce dernier ; que dans ces conditions, il ne peut être tiré aucune conséquence de ce que MM. Xavier Y... et Aurélien A... ont expliqué le refus de l'échange par l'opposition des bailleurs puisque l'existence de ce désaccord emporte l'absence de consentement à l'opération d'échange ; que M. Sébastien Y... soutient enfin que MM. Xavier Y... et Aurélien A... ont accepté l'échange « compte tenu de la décision prise par la SAFER qui a attribué au Z... Y... A... l'ensemble du foncier proposé à la location, à condition qu'il réalise un échange parcellaire avec lui » ; qu'or la SAFER a été saisie par les bailleurs, sur le fondement d'un mandat donné par les propriétaires de terrains pour la recherche d'un preneur et le comité technique départemental de cette structure, en donnant un avis sur l'attribution à MM. Xavier Y... et Aurélien A... avec un échange parcellaire avec M. Sébastien Y..., n'est intervenu qu'à titre consultatif, de sorte que l'absence d'échange ne peut être constitutif d'une violation d'un décision prise par la SAFER, s'imposant aux tiers ; que l'existence d'un échange entre les parties n'est donc pas établie ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE s'agissant de l'exploitation des parcelles litigieuses, qui pour certaines était assurée par M. Sébastien Y... au titre d'un échange non écrit réalisé avec d'autres ayants droit précédant les consorts Xavier Y... et Aurélien A..., force est de relever qu'aucun des contrats de baux à ferme énoncés dans l'exposé du litige ne mentionne à la charge des parties signataires, l'existence d'une ou plusieurs stipulations d'échanges de parcelles à exécuter au profit de M. Sébastien Y... et que ce dernier pourrait invoquer en tant que bénéficiaire, soit sur le fondement de l'article 1121 du code civil, soit comme situation de fait de nature à fonder l'application d'une règle juridique lui conférant le droit qu'il invoque (voir jurisprudence sur cette notion) ; qu'en outre, aucun autre acte écrit et signé des preneurs, qu'il soit de nature synallagmatique ou unilatéral, ne comporte un ou plusieurs engagements d'échanges au profit de M. Sébastien Y... ; qu'enfin aucun élément au dossier ne permet de caractériser l'existence d'un engagement verbal d'échanges contracté entre MM. Xavier Y... A... et M. Sébastien Y... ; que l'obligation pour les preneurs de procéder à un échange avec M. Sébastien Y... lors des conclusions des six contrats de baux à ferme signés le 25 avril 2012, et que celui-là érige en condition résolutoire, n'est donc jamais entré dans un quelconque champ contractuel bailleurs-preneurs ; que M. Sébastien Y... n'a donc aucun droit à faire valoir en conséquence ; que s'il est vrai que la SAFER a dans un courrier du 25 avril 2012 (dénommé avis) écrit à M. Sébastien Y... que « le comité technique a attribué au Z... A...-Y... l'ensemble du foncier à la location, à condition qu'il réalise un échange parcellaire d'environ 11 ha 09 a 40 ca à votre profit », cette insertion n'a aucun effet juridique dès lors qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne donne à cet avis une force contraignante, à savoir devant obligatoirement s'imposer aux parties au moment de la conclusion d'un contrat de bail à ferme ; qu'il sera utilement ajouté que si les termes de ce courrier laissent présumer qu'un engagement d'échanges a été pris par M. Xavier Y... et M. Aurélien A... envers la SAFER au cours de la mission d'intermédiation locative, la certitude de cet engagement ne peut cependant se déduire des seules énonciations de cet avis ; qu'en tout état de cause cet avis ne peut en rien être opposable aux bailleurs et aux preneurs dans la mesure où aucune clause aux contrats signés le 25 avril 2012 ne l'érige en une quelconque condition, soit nécessaire à la validité des consentements, soit résolutoire ; qu'enfin sur ce dernier point, il ne peut être sérieusement soutenu qu'une telle condition serait sousentendue en l'espèce ; que pour conclure, en ce qui concerne l'article L. 411-39 du code rural, il n'impose en rien aux preneurs d'effectuer des échanges de parcelles dans les conditions actuelles ; qu'en effet le texte énonce expressément et clairement « (
) le preneur peut (
) », insertion excluant d'évidence une quelconque obligation incombant aux preneurs ;
1°) ALORS QU'une SAFER peut, pour la réalisation de ses missions d'intérêt général définies à l'article L. 141-1, I du code rural et de la pêche maritime, se livrer ou prêter son concours, en vertu d'un mandat écrit, à des opérations d'entremise relatives au louage régi par le livre IV au bénéfice d'exploitants au titre d'une installation, d'un maintien, d'un agrandissement ou d'un remaniement parcellaire de leur exploitation; qu'en application des articles R. 141-5 et R. 141-11 du code rural et de la pêche maritime, le comité technique départemental donne obligatoirement son avis sur les projets de louage lesquels sont ensuite soumis, avec cet avis, à l'approbation du commissaire du gouvernement ; que la SAFER peut, sur avis du comité technique départemental, subordonner l'attribution de la location à des conditions dont le respect s'impose à l'attributaire ; qu'en l'espèce, le comité technique de la SAFER Bourgogne Franche-Comté a donné le 16 avril 2012 un avis favorable à l'attribution en location d'un ensemble foncier d'une superficie de 11 ha 67 a 77 ca à MM. Aurélien A... et Xavier Y... pour conforter la reprise d'une exploitation dans un cadre sociétal sous la condition d'un « engagement d'échange d'une surface de 11 ha 09 a 40 ca (terrains communaux actuellement loués à Monsieur Sébastien Y...) au profit de Monsieur Sébastien Y... » ;
que par une lettre datée du 25 avril 2012, la SAFER Bourgogne Franche-Comté a fait part à M. Sébastien Y... de sa décision, conforme à l'avis du comité technique, de ne pas retenir sa candidature et d'attribuer au Z... A...-Y... l'ensemble du foncier proposé à la location, à condition qu'il réalise un échange parcellaire d'environ 11 ha 09 a 40 ca à son profit ; qu'en déboutant M. Sébastien Y... de ses demandes aux motifs inopérants qu'aucun acte n'établissait que les attributaires de la location s'étaient formellement engagés auprès de M. Sébastien Y... ou de la SAFER à procéder à un échange de parcelles, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1, R. 141-5, R. 141-11 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE par une lettre datée du 25 avril 2012, la SAFER Bourgogne Franche-Comté a indiqué à M. Sébastien Y... que, sur avis du comité technique du 16 avril 2012, sa candidature n'était pas retenue, que l'ensemble foncier proposé à la location était attribué au Z... A...-Y... à condition qu'il réalise un échange parcellaire d'environ 11 ha 09 a 40 ca à son profit et qu'il disposait d'un délai maximum de quinze jours à compter de l'envoi de cette notification pour faire connaître par écrit les éléments nouveaux et importants qui pourraient justifier un réexamen de sa candidature ; qu'en relevant que l'attribution de la location au Z... A...-Y... avec échange de parcelles au profit de M. Sébastien Y... n'émanait que d'un avis consultatif du comité technique départemental et que l'absence d'échange ne pouvait être constitutif d'une violation d'une décision prise par la SAFER, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1, R. 141-5, R. 141-11 du code rural et de la pêche maritime ;
3°) ALORS QUE la lettre adressée par la SAFER à M. Y... le 25 avril 2012 ne mentionne nulle part qu'il ne s'agit que d'un simple « avis » ; qu'en retenant, à supposer les motifs du jugement adoptés, que le courrier en date du 25 avril 2012 était dénommé « avis » et n'avait donc aucune force contraignante devant obligatoirement s'imposer aux parties, la cour d'appel a dénaturé cette lettre et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause et l'article 1134 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté toutes les demandes de M. Sébastien Y...,
AUX MOTIFS QU'en l'absence de toute relation contractuelle entre la SAFER et MM. Xavier Y... et Aurélien A... cette demande ne saurait prospérer ;
1°) ALORS QU'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen emportera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt en ce qu'il a également débouté M. Y... de sa demande de dommages et intérêts ;
2°) ALORS QU'en ne respectant pas l'engagement de procéder à l'échange de parcelles avec M. Sébastien Y... auquel la SAFER Bourgogne Franche-Comté a subordonné l'attribution à leur profit de la location de l'ensemble foncier situé à [...], les attributaires ont causé un préjudice à M. Sébastien Y... dont ils lui doivent réparation ; qu'en déboutant M. Sébastien Y... de sa demande de dommages et intérêts au motif inopérant de l'absence de lien contractuel entre la SAFER et MM. Xavier Y... et Aurélien A..., la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.