LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un reportage intitulé [...] a été diffusé,[...], sur la chaîne de télévision M6, ainsi que, les jours suivants, sur son site internet ; que ce reportage, consacré à l'histoire d'une jeune femme qui avait fait croire, pendant plusieurs années, sur le réseau internet, qu'elle était atteinte d'affections graves, comportait une séquence, filmée en caméra cachée, au cours de laquelle deux journalistes, se faisant passer, l'un, pour une amie de celle-ci, l'autre, pour son compagnon, consultaient M. Y..., médecin généraliste, auquel ladite jeune femme s'était adressée à plusieurs reprises ; qu'invoquant l'atteinte ainsi portée au droit dont il dispose sur son image, M. Y... a assigné la société Métropole télévision, éditrice de la chaîne de télévision M6, en réparation du préjudice en résultant ;
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que la société Métropole télévision fait grief à l'arrêt de retenir l'existence d'une atteinte au droit à l'image de M. Y... et, en conséquence, de la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il n'y a atteinte à l'image que si les traits de la personne sont reconnaissables et permettent de l'identifier ; qu'en retenant que la séquence litigieuse portait atteinte au droit de M. Y... sur son image, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que ses traits n'étaient pas reconnaissables, son visage ayant été flouté et sa voix déformée, et que les personnes qui l'avaient identifié avaient reconnu son bureau et en avaient ensuite déduit son identité ; qu'elle a, ce faisant, violé les articles 9 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que, pour retenir que M. Y... était identifiable et avait subi une atteinte à son image, la cour d'appel s'est fondée sur les témoignages de personnes de son entourage qui précisaient l'avoir identifié après avoir reconnu son bureau ; qu'en ne recherchant pas elle-même, par le visionnage de la séquence, si M. Y... était, en dépit du floutage de son image et de la déformation de sa voix, objectivement identifiable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que, même si le visage de M. Y... était masqué et sa voix déformée, il ressortait des témoignages des personnes ayant fréquenté son cabinet, en qualité d'infirmière, de déléguée médicale ou de patients, qu'elles avaient immédiatement et très clairement reconnu sa silhouette et sa physionomie, ainsi que son cabinet de consultation, de sorte que le médecin était identifiable ; que le moyen ne tend qu'à remettre en cause ces constatations et appréciations, qui sont souveraines et échappent, dès lors, au contrôle de la Cour de cassation ; qu'il ne peut être accueilli ;
Mais sur les troisième et quatrième branches du moyen :
Vu les articles 9 et 16 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ;
Attendu que, pour décider que l'atteinte au droit à l'image de M. Y... est injustifiée et lui allouer des dommages-intérêts, l'arrêt retient que la séquence litigieuse est précédée et suivie d'un commentaire en voix off de nature à dévaloriser la personne ainsi montrée au public et que, s'il est constant que le sujet est effectivement un sujet de société en ce qu'il a pour but de prévenir le public des dérives découlant de l'utilisation du réseau internet, cette présentation de l'image de M. Y... comme étant le médecin qui s'est laissé berner par sa patiente n'était pas, dans la forme qui a été adoptée, utile à l'information des téléspectateurs ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs tirés des propos tenus par les journalistes, relevant, comme tels, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais impropres à caractériser une atteinte à la dignité de la personne représentée, au sens de l'article 16 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. Y... a souffert d'une atteinte à son droit à l'image et subi un préjudice inhérent à cette atteinte et en ce qu'il condamne la société Métropole télévision à lui payer, à ce titre, une indemnité de 2 000 euros, l'arrêt rendu le 6 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Métropole télévision
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Métropole télévision à payer la somme de 2.000 euros à M. Y... ;
AUX MOTIFS QU'en application de l'article 9 du code de civil, qui dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée, la jurisprudence assure la protection du droit à l'image, droit distinct du respect dû à la vie privée, comme constituant un attribut de la personnalité, et décide qu'à défaut de possibilité d'identification de la personne représentée l'atteinte à l'image n'est pas constituée et que pour qu'elle le soit la personne doit être identifiable ; qu'il est retenu que l'utilisation dans un sens volontairement dévalorisant de l'image d'une personne justifie que soient prises par le juge toutes mesures propres à faire cesser l'atteinte ainsi portée aux droits de la personne ; que la jurisprudence admet corrélativement que le droit à l'image doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, sauf dans le cas d'une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d'une particulière gravité et dans un sens voisin, il est retenu que la liberté de communication des informations autorise la publication d'images de personnes impliquées dans un événement dont l'importance rend légitime cette divulgation pour l'information du public, étant exigé en particulier un lien direct entre les photographies publiées et l'article qu'elles illustrent ; que l'article 10 de la Convention Européenne des droits de l'homme admet que l'exercice de la liberté d'expression, comprenant la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des information ou des idées sans ingérence d'autorités publiques, peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; qu'en l'espèce l'appelante a invoqué les nécessités de l'information du public sur un sujet de société et l'adéquation de la diffusion de l'image du Dr Y... au regard de cette nécessité et a fait grief au tribunal d'avoir procédé à une analyse subjective de la possibilité d'identification du docteur Y... dans le reportage objet du litige, alors que cette juridiction aurait dû apprécier ces éléments à partir d'une analyse objective de cette possibilité d'identification par un spectateur lambda normalement attentif; que dans le même temps elle a demandé la confirmation du jugement dont appel et le rejet de l'appel incident en ce que le tribunal de grande instance de Metz a rejeté cette demande sur ce fondement aux motifs qu'elle a repris dans ses écritures que le visage de M. Y... a été en permanence « flouté », sa voix modifiée (un sous-titrage ayant été mis en place pour permettre la compréhension de ses paroles) et qu'en outre aucun élément d'identification n'y est révélé (nom, prénom, initiales, adresse...) ; qu'il ressort des témoignages produits par M. Y... émanant certes de personnes ayant fréquenté son cabinet en qualité d'infirmière, de déléguée médicale ou de patients que celles-ci ont immédiatement et très clairement reconnu, même si son visage était masqué et sa voix déformée, sa silhouette et sa physionomie, de même que son cabinet de consultation, devant être observé que ces témoins ne peuvent se voir refuser la qualité de téléspectateur normalement attentif, puisque précisément pour qu'une personne soit reconnue par des tiers il faut que cette personne soit préalablement connue d'eux et que, non avertis à l'avance de ce que le médecin qu'ils connaissaient faisait partie du sujet diffusé, ils se sont bien comportés en téléspectateurs normalement attentifs ; que surtout le visionnage par les membres de la cour du CD produit aux débats concernant, non seulement la partie qui intéresse plus spécialement le docteur Y..., mais également les autres parties du sujet incriminé, permet de se convaincre d'une part que cette image de ce médecin, ainsi identifiable, est précédée et suivie d'un commentaire en voix off de nature à dévaloriser la personne ainsi montrée au public et désignée à son attention, puisque, avant que celui-ci ait pu expliquer que O.R. s'est rendue à son cabinet en lui montrant un dossier médical attestant qu'elle avait un cancer, il est dit « à aucun moment le médecin ne met en doute la véracité de la maladie d'Odile » et qu'ensuite il est ajouté « cette consultation permet à Odile d'obtenir un précieux document : ce formulaire de la sécurité sociale qui reconnaît officiellement sa maladie comme une affection de longue durée. Avec ce papier à chaque nouveau rendez-vous elle va pouvoir obtenir des dizaines de médicaments remboursés par l'assurance-maladie. » ; que s'il est constant que le sujet abordé est bien effectivement un sujet de société en ce qu'il a pour but de prévenir le public des dérives découlant de l'utilisation du réseau internet, il reste que cette présentation de l'image de M. Y... comme étant le médecin qui s'est laissé berner par sa patiente n'était pas dans la forme qui a été adoptée utile à l'information des spectateurs de l'émission, soit en diffusion ou rediffusion, soit en mode replay, la preuve en étant qu'il n'a pas été procédé de la même façon par exemple pour le pharmacien, qui a remis des médicaments à de nombreuses reprises à O.R.et les lui a même livrés à son domicile et dont le droit à l'image a été respecté dès lors que son interview prouve qu'il a consenti à être filmé et à ce que son image soit diffusée, avec cette observation que le commentaire en voix off n'est pas de nature à affecter cette image de façon péjorative ; qu'ainsi la cour juge que le docteur Y... est bien fondé à se prévaloir d'une atteinte à son image, atteinte qui génère en soi un préjudice indemnisable qui peut être réparé de façon adéquate par l'allocation de l'indemnité modique de 2000 € encore réclamée par l'intéressé en cause d'appel,
1) ALORS QU'il n'y a atteinte à l'image que si les traits de la personne sont reconnaissables et permettent de l'identifier; qu'en retenant que la séquence litigieuse portait atteinte au droit de M. Y... sur son image, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que ses traits n'étaient pas reconnaissables, son visage ayant été flouté et sa voix déformée, et que les personnes qui l'avaient identifié avaient reconnu son bureau et en avaient ensuite déduit son identité ; qu'elle a ce faisant violé les articles 9 du code civil et 10 de la convention européenne des droits de l'homme ;
2) ALORS QUE pour retenir que M. Y... était identifiable et avait subi une atteinte à son image, la cour d'appel s'est fondée sur les témoignages de personnes de son entourage qui précisaient l'avoir identifié après avoir reconnu son bureau ;qu'en ne recherchant pas elle-même, par le visionnage de la séquence, si M. Y... était, en dépit du floutage de son image et de la déformation de sa voix, objectivement identifiable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil et 10 convention européenne des droits de l'homme,
3) ALORS QUE la liberté de communication des informations autorise la publication d'images des personnes impliquées dans un événement, dans une forme librement définie par le journaliste, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ; que la cour d'appel a retenu que la séquence litigieuse n'était pas utile à l'information compte tenu de la forme, en caméra cachée, dans laquelle elle avait été filmée ; qu'en n'indiquant pas en quoi le procédé de la caméra cachée n'était pas « utile » au regard de la liberté de traitement de l'information et portait atteinte à la dignité de la personne de M. Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil et 10 convention européenne des droits de l'homme,
4) ALORS QUE la liberté de communication des informations autorise la publication d'images des personnes impliquées dans un événement, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ; que le commentaire qui introduisait en voix off la séquence litigieuse indiquait qu'« à aucun moment le médecin ne met en doute la véracité de la maladie d'Odile » et « cette consultation permet à Odile d'obtenir un précieux document : ce formulaire de la sécurité sociale qui reconnait officiellement sa malade comme une affection de longue durée. Avec ce papier à chaque nouveau rendez-vous, elle va pouvoir obtenir des dizaines de médicaments remboursés par l'assurance maladie » ; que ce commentaire se borne à un exposé objectif de la façon dont Odile a réussi à manipuler le médecin, de la même façon qu'elle a manipulé d'autres professionnels de santé sans porter de critique sur l'attitude du médecin; qu'en retenant que ce commentaire était de nature à dévaloriser l'image de M. Y... la cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 10 convention européenne des droits de l'homme.