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16/03/2017 | FRANCE | N°16-10704

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 16 mars 2017, 16-10704


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 693 et 694 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 17 novembre 2015), que, par acte du 21 janvier 2002, [Z] [P], en restant propriétaire de la parcelle limitrophe cadastrée AK [Cadastre 2] sur laquelle est construit un bâtiment, a vendu à M. et Mme [H] une parcelle cadastrée AK [Cadastre 1] constituée pour partie d'une courette ; qu'après le décès de [Z] [P], par acte du 31 décembre 2010, la parcelle cadastrée AK [Cadastre 2] a

été acquise par la SCI La Cloison (la SCI), qui a assigné M. et Mme [H] en reconn...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 693 et 694 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 17 novembre 2015), que, par acte du 21 janvier 2002, [Z] [P], en restant propriétaire de la parcelle limitrophe cadastrée AK [Cadastre 2] sur laquelle est construit un bâtiment, a vendu à M. et Mme [H] une parcelle cadastrée AK [Cadastre 1] constituée pour partie d'une courette ; qu'après le décès de [Z] [P], par acte du 31 décembre 2010, la parcelle cadastrée AK [Cadastre 2] a été acquise par la SCI La Cloison (la SCI), qui a assigné M. et Mme [H] en reconnaissance d'une servitude par destination du père de famille sur la courette ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la clause déniant l'existence de toute servitude dans l'acte du 21 janvier 2002 est dépourvue de toute ambiguïté et ne se trouve contredite par aucune énonciation de cet acte, qu'il n'a été fait aucun aménagement spécifique dans la courette afin de matérialiser le droit de passage réclamé par la SCI, que la présence d'une porte au rez-du-sol, ainsi que d'un escalier permettant l'accès à l'immeuble cadastré section AK n° [Cadastre 2], ne caractérise pas un aménagement au sens de l'article 693 du code civil et ce, d'autant que ces ouvertures préexistaient à la division du fonds ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs erronés tirés de l'antériorité des aménagements par rapport à la division du fonds, sans caractériser en quoi la présence d'une porte et d'un escalier dans le bâtiment ne constituait pas un signe apparent de servitude au moment de la division du fonds par une propriétaire unique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne M. et Mme [H] aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme [H] et les condamne à payer à la SCI La Cloison la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société La Cloison.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande de la SCI LA CLOISON tendant à voir reconnaître l'existence d'une servitude de passage au profit de sa parcelle AK [Cadastre 2] sur la cour de la parcelle AK [Cadastre 1] appartenant à M. et Mme [H] ;

AUX MOTIFS QUE « premièrement, aux termes de l'article 693 du code civil, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; qu'il est constant en l'espèce que, suivant acte notarié du 21 janvier 2002, Mme [Z] [P] a vendu aux époux [H] un immeuble situé sur la commune d' [Adresse 3] (25) cadastré section AK n° [Cadastre 1] d'une contenance de 31 centiares ; qu'il résulte de l'acte de vente que cette parcelle procédait de la division d'un parcelle cadastrée section AK n° [Cadastre 3] dont l'autre partie, cadastrée section AK no [Cadastre 2], était restée la propriété de la venderesse ; qu'il est également constant que suivant acte notarié du 31 décembre 2010 Mme [Z] [P] a cédé à la SCI La Cloison, le fonds cadastré section AK n° [Cadastre 2] ; que l'acte de vente précise que la séparation des immeubles cadastrés section AK n° [Cadastre 1] et AK n° [Cadastre 2] est constituée par une courette ouverte sur le passage public ; qu'au vu de ces premières constatations, il y a lieu de juger que la condition posée par l'article 693 du code précité est satisfaite ;
qu'ensuite, l'article 694 du code civil dispose : "Si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné" ; qu'il résulte de cette disposition qu'une servitude par destination du père de famille ne peut être consacrée que si les parties n'ont pas manifesté, expressément ou tacitement, une volonté contraire à la présomption légale attachée à l'état de fait ; qu'il incombe par ailleurs à celui qui invoque l'existence d'une servitude constituée par destination du père de famille de produire l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux fonds et de démontrer que celui-ci ne contient aucune disposition contraire à l'existence de cette servitude ; que dans la présente affaire l'acte de vente de la parcelle cadastrée section AK no [Cadastre 1] contient dans le paragraphe "servitudes" la déclaration suivante : "le vendeur déclare qu'il n'a créé aucune servitude sur l'immeuble vendu et qu'à sa connaissance il n'en existe pas d'autres que celles pouvant résulter de la situation des lieux" ; que pour ôter tout effet probant à cette énonciation, les premiers juges l'ont qualifiée de simple "clause de style" ; qu'une telle considération ne saurait entraîner l'adhésion de la cour ; qu'en effet la standardisation des actes notariés ne doit pas conduire à les vider de toute substance au seul motif que la rédaction adoptée est stéréotypée ; qu'il s'ensuivrait pour les parties une insécurité juridique peu compatible avec l'efficacité conférée par l'article 1319 du code civil aux actes authentiques ; qu'il convient de constater que la clause litigieuse est dépourvue de toute équivoque et de toute ambiguïté et qu'elle ne se trouve contredite par aucune autre énonciation de l'acte ; qu'elle est par ailleurs expressément rappelée dans l'acte de vente du 31 décembre 2010 ; qu'enfin, en application des dispositions susvisées, la SCI La Cloison se devait aussi d'établir que la propriétaire d'origine avait procédé à un aménagement constitutif d'une servitude, traduisant son intention non équivoque de créer un service foncier ; qu'il y a lieu de constater qu'il n'a été fait aucun aménagement spécifique dans la courette afin de matérialiser le droit de passage réclamé par la SCI La Cloison ; que la présence d'une porte au rez-du-sol ainsi que d'un escalier permettant l'accès à l'immeuble cadastré section AK n° [Cadastre 2] ne caractérise pas un aménagement au sens de l'article 693 du code civil, et ce, d'autant que ces ouvertures préexistaient à la division du fonds ; que pour contourner cette difficulté, la SCI La Cloison verse à son dossier trois attestations destinées à démontrer que Mme [Z] [P] utilisait régulièrement la courette pour se rendre à sa chaufferie et à sa cave ; que deux de ces attestations doivent être jugées dépourvues d'effet probant dès lors que les faits qui y sont consignés ne sont pas datés ; que s'agissant de la troisième, si elle évoque en effet des passages réguliers de Mme [Z] [P] dans la courette, elle les limite à la période partant de l'année 2006 jusqu'au décès de cette dernière ; que dès lors la démonstration n'est pas faite de l'usage de la courette par Mme [Z] [P], tant avant la division du fonds originaire qu'après la cession de la courette aux époux [H] ; qu'il suit de ce qui précède que la SCI La Cloison ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une servitude par destination du père de famille grevant la courette appartenant aux époux [H] au profit de son fonds cadastré section AK n° [Cadastre 2] » (arrêt, p. 4-6) ;

ALORS QUE, premièrement, une clause est dite de style lorsque sa présence à un acte juridique ne s'explique que par l'usage de l'y faire figurer dans la pratique contractuelle et que, pour cette raison, elle ne traduit rien de la volonté réelle des parties ; que fait partie des clauses de style nées de la pratique notariale la stipulation selon laquelle le vendeur déclare qu'il n'a créé aucune servitude sur l'immeuble vendu et qu'à sa connaissance il n'en existe pas d'autres que celles pouvant résulter de la situation des lieux ; que par suite, dès lors que les juges sont saisis du moyen consistant à soutenir que cette stipulation ne constituait qu'une clause de style, il leur appartient de vérifier, avant d'en opposer l'existence aux parties à l'instance, si cette stipulation traduisait bien la volonté des parties à l'acte de vente ; qu'en se bornant en l'espèce à opposer l'absence d'ambiguïté de cette stipulation ou encore l'absence de contradiction avec d'autres énonciations de l'acte, sans s'assurer, comme il lui était demandé, si, en dépit de sa clarté, cette stipulation exprimait bien l'intention véritable des parties à l'acte de vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 694 du même Code ;

ALORS QUE, deuxièmement, la présence d'une porte d'accès ou encore d'un escalier dans le mur d'un bâtiment est susceptible de constituer un aménagement révélant l'existence d'une servitude de passage par destination du père de famille lors de la division du fonds ; qu'en affirmant par principe le contraire, sans procéder à aucune recherche sur le point de savoir si cette porte ou cet escalier pouvaient révéler en l'espèce l'existence d'une servitude de passage par destination du père de famille, la cour d'appel a également privé sa décision de base légale au regard des articles 693 et 694 du Code civil ;

ALORS QUE, troisièmement, il y a servitude par destination du père de famille lorsqu'il est établi que les aménagements existants sur les deux fonds résultant de la division d'un même terrain ont été réalisés avant cette division par le propriétaire commun de ces deux fonds ; que par hypothèse, ces aménagements doivent avoir été réalisés avant la division des deux fonds, ou à tout le moins concomitamment à cette division ; qu'en opposant encore que les ouvertures pratiquées dans le mur du bâtiment de la SCI LA CLOISON et donnant sur la cour des époux [H] préexistaient à la division du fonds, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant une nouvelle fois sa décision de toute base légale au regard des articles 693 et 694 du Code civil ;

ET ALORS QUE, quatrièmement, il suffit, pour établir l'existence d'une servitude par destination du père de famille, de démontrer que le précédent propriétaire est à l'origine d'un aménagement entre les deux parties de son fonds, et que cet aménagement constitue un signe apparent de servitude après division de ce fonds ; qu'à cet égard, le fait que ce propriétaire utilisait lui-même les ouvertures qu'il avait créés dans son bâtiment pour y accéder à partir de sa cour est de nature à démontrer sa volonté de créer ainsi un passage entre ces deux parties de sa propriété ; qu'il importe peu, dans ce cadre, de savoir si ces passages étaient antérieurs ou postérieurs à la division de son fonds, le propriétaire ayant pu ménager cet accès pour une utilisation future ou encore, à l'inverse, pour une utilisation immédiate à laquelle il a ultérieurement renoncé ; qu'en l'espèce, la SCI LA CLOISON produisait plusieurs attestations destinées à établir que Mme [P], propriétaire originaire des deux fonds, empruntait elle-même les passages qu'elle avait créés entre ceux-ci ; qu'en opposant que ces attestations étaient dépourvues de toute force probante pour cette seule raison qu'elles ne permettaient pas d'établir que Mme [P] empruntait ce passage avant comme après la division de sa propriété, la cour d'appel a, à cet égard également, privé sa décision de base légale au regard des articles 693 et 694 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 16-10704
Date de la décision : 16/03/2017
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Besançon, 17 novembre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 16 mar. 2017, pourvoi n°16-10704


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Gaschignard, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.10704
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