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08/03/2017 | FRANCE | N°15-85785

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 mars 2017, 15-85785


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
La chambre nationale des huissiers de Justice, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 8 septembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre Mme [V] [G] des chefs d'abus de confiance aggravé et banqueroute, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 janvier 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de

procédure pénale : M. Guérin, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, M. Soula...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
La chambre nationale des huissiers de Justice, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 8 septembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre Mme [V] [G] des chefs d'abus de confiance aggravé et banqueroute, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 janvier 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de Mme le conseiller de la LANCE, les observations de Me LE PRADO,de la société civile professionnelle MEIER-BOURDEAU et LÉCUYER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;

Vu les mémoires produits en demande, en défense et les observations complémentaires formulées par le demandeur après communication des conclusions de l'avocat général ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par jugement du 26 janvier 2015, Mme [G] a été, notamment, déclarée définitivement coupable du chef d'abus de confiance pour avoir, alors qu'elle était huissier de justice, détourné des fonds au préjudice de 136 clients de son étude, fonds remboursés aux clients par la caisse de garantie de la chambre nationale des huissiers de justice, et a été condamnée à payer à cette dernière des dommages- intérêts au titre de son préjudice matériel résultant de ce remboursement et de son préjudice moral résultant de l'atteinte portée à l'image de la profession, et Me [P], partie civile, liquidateur de la SCP [G]-[Y], a été déboutée de ses demandes ; que Me [P] a interjeté appel de ce jugement, ainsi que Mme [G] sur les dispositions civiles ;

En cet état ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, 2 et 8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 réglementant la profession d'huissier de justice, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, violation de l'article 1382 du code civil, défaut de motif, défaut de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de Me [Q] [P], mandataire de justice, pris en sa qualité de liquidateur de la SCP [G] [Y], et condamné Mme [G] à lui verser une somme 233 188,44 euros ;

"aux motifs que, en ce qui concerne la demande de la Chambre nationale des huissiers de justice, la cour observe que le préjudice qu'elle invoque est celui résultant des sommes qu'elle a dû verser aux clients de la SCP [G] en tant que garante légale de la responsabilité civile professionnelle des huissiers de justice ; que la cour ne peut que constater que son préjudice n'est, de ce fait, qu'indirect, les victimes directes des abus de confiance commis par Mme [G] étant les 136 clients de son étude visés dans l'acte de poursuite ainsi que la société civile professionnelle détentrice des fonds, qui seuls ont eu à déplorer le détournement de sommes leur appartenant, la Chambre nationale se bornant à remplir ses ( ... ) ; que, s'agissant de la demande indemnitaire en réparation de l'atteinte à l'image de la profession d'huissier, la cour constate que le préjudice résultant des agissements de l'un des membres de la profession d'huissier est lui aussi parfaitement indirect par rapport au délit d'abus de confiance commis pat Mme [G] ; que la cour, réformant la décision des premiers juges, rejette en conséquence l'ensemble des demandes de la Chambre nationale des huissiers de justice par application de l'article 2 du code de procédure pénale ;

"et que, s'agissant de la demande formée par Me [Q] [P], en sa qualité de liquidateur de la SCP [G] - [Y], la défense de Mme [G] en soulève l'irrecevabilité, sans expliquer en quoi l'appel de Me [P] serait selon elle, irrecevable ; que la cour constate au contraire que Mme [G] a été définitivement déclarée coupable des délits de banqueroute et d'abus de confiance et que de ce fait Me [P] est parfaitement recevable à se constituer partie civile et à interjeter appel de la décision qui a écarté ses demandes ; qu'en l'espèce, les fonds détournés par Mme [G] étaient détenus par la SCP [G] - [Y], puisque remis à titre précaire à ladite société par les débiteurs de ses clients ; qu'or, le délit d'abus de confiance cause un préjudice direct, susceptible de motiver condamnation à réparation, non seulement aux propriétaires des fonds détournés mais aussi à ses possesseurs et détenteurs ; que la société, représentée par son liquidateur, a donc subi un préjudice direct du fait des agissements de Mme [G], celle-ci détournant des fonds dont la société était régulièrement détentrice ; qu'il convient en conséquence défaire droit à la demande de réparation formée par Me [P] ; que le montant du préjudice subi par la SCP est égal au montant de la fraude, soit la somme de 233 188,41 euros, que la cour, reformant la décision des premiers juges, condamne en conséquence Mme [G] à payer à Me [P], pris en sa qualité de liquidateur de la SCP [G]-[Y], la somme de 233 188,41 euros ;

"alors que n'éprouve aucun préjudice l'étude d'huissiers titulaire des comptes-clients détournés par son associé au préjudice de ses clients qui ont déjà été remboursés par la Chambre nationale des huissiers de justice ; qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de Me [Q] [P], pris en sa qualité de liquidateur de la SCP [G]-[Y], sur les poursuites dirigées contre Me [V] [G] du chef d'abus de confiance et en condamnant celle-ci à lui verser une somme de 233 188,44 euros correspondant au montant des sommes détournées par elle au préjudice de ses clients déjà indemnisés de leur préjudice par la Chambre nationale des huissiers de justice, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées" ;

Attendu que la demanderesse, partie civile, est sans qualité pour contester la recevabilité de la constitution d'une autre partie civile et l'indemnisation allouée à celle-ci ;

D'où il suit que le moyen est irrecevable ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, 2 et 8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 réglementant la profession d'huissier de justice, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, violation de l'article 1382 du code civil, défaut de motif, défaut de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit que la constitution de partie civile de la Chambre nationale des huissiers de justice était recevable mais non fondée ;

"aux motifs que, en ce qui concerne la demande de la Chambre nationale des huissiers de justice, la cour observe que le préjudice qu'elle invoque est celui résultant des sommes qu'elle a dû verser aux clients de la SCP [G] en tant que garante légale de la responsabilité civile professionnelle des huissiers de justice ; que la cour ne peut que constater que son préjudice n'est, de ce fait, qu'indirect, les victimes directes des abus de confiance commis par Mme [V] [G] étant les 136 clients de son étude visés dans l'acte de poursuite ainsi que la société civile professionnelle détentrice des fonds, qui seuls ont eu à déplorer le détournement de sommes leur appartenant, la Chambre nationale se bornant à remplir ses (…) ; que, s'agissant de la demande indemnitaire en réparation de l'atteinte à l'image de la profession d'huissier, la cour constate que le préjudice résultant des agissements de l'un des membres de la profession d'huissier est lui aussi parfaitement indirect par rapport au délit d'abus du confiance commis pat Mme [G] ; que la cour, réformant la décision des premiers juges, rejette en conséquence l'ensemble des demandes de la Chambre nationale des huissiers de justice par application de l'article 2 du code de procédure pénale ;

"et que, s'agissant de la demande formée par Me [Q] [P], en sa qualité de liquidateur de la SCP [G] - [Y], la défense de Mme [G] en soulève l'irrecevabilité, sans expliquer en quoi l'appel de Me [P] serait selon elle, irrecevable ; que la cour constate au contraire que Mme [G] a été définitivement déclarée coupable des délits de banqueroute et d'abus de confiance et que de ce fait Me [P] est parfaitement recevable à se constituer partie civile et à interjeter appel de la décision qui a écarté ses demandes ; qu'en l'espèce, les fonds détournés par Mme [G] étaient détenus par la SCP [G] - [Y], puisque remis à titre précaire à ladite société par les débiteurs de ses clients ; qu'or, le délit d'abus de confiance cause un préjudice direct, susceptible de motiver condamnation à réparation, non seulement aux propriétaires des fonds détournés mais aussi à ses possesseurs et détenteurs ; que la société, représentée par son liquidateur, a donc subi un préjudice direct du fait des agissements de Mme [G], celle-ci détournant des fonds dont la société était régulièrement détentrice ; qu'il convient en conséquence défaire droit à la demande de réparation formée par Me [P] ; que le montant du préjudice subi par la SCP est égal au montant de la fraude, soit la somme de 233 188,41 euros ; que la cour, reformant la décision des premiers juges, condamne en conséquence Mme [G] à payer à Me [P], pris en sa qualité de liquidateur de la SCP [G] - [Y], la somme de 233 188,41 euros ;

"1°) alors, en tout état de cause, que la Chambre nationale des huissiers de justice peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ; qu'elle peut donc se constituer partie civile pour demander la condamnation d'un huissier de justice, prévenu du chef d'abus de confiance pour avoir détourné les fonds de ses clients, à l'indemniser de son préjudice indirect résultant de l'atteinte à l'image et à la considération de la profession d'huissier causée par ces agissements ; qu'en retenant, pour écarter la demande de la Chambre nationale des huissiers de justice en condamnation de Mme [G] à lui verser une somme d'un euro symbolique en réparation de l'atteinte portée à l'image de la profession d'huissier par suite des détournement commis par elle au préjudice direct de ses clients, que ce préjudice n'était qu'un préjudice indirect par rapport au délit d'abus de confiance commis par elle, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées ;

"2°) alors que la Chambre nationale des huissiers de justice peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ; que la Chambre nationale des huissiers de justice qui, en exécution de son obligation légale de garantie de responsabilité professionnelle de ses membres, rembourse aux clients d'un huissier de justice les sommes qu'il a détournées à leur préjudice, éprouve un préjudice indirect dont elle peut demander réparation à cet huissier en se constituant partie civile dans le cadre des poursuites exercées contre lui du chef d'abus de confiance ; que n'éprouve en revanche aucun préjudice l'étude d'huissiers titulaire des comptes-clients détournés par son associé au préjudice de ses clients qui ont déjà été remboursés par la Chambre nationale des huissiers de justice ; qu'en retenant, pour écarter la demande de la Chambre nationale des huissiers de justice en condamnation de Mme [G] à lui verser une somme de 233 188,41 euros correspondant au montant des sommes qu'elle avait détournées au préjudice de ses clients et que la caisse de garantie de ladite Chambre avait remboursée à ces derniers en vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 réglementant la profession d'huissier de justice, que seuls ces clients et la société civile professionnelle détentrice des fonds détournés étaient victimes directes de l'abus de confiance commis et que la Chambre nationale n'était qu'une victime indirecte de cette infraction puisqu'elle était tenue par la loi d'indemniser les victimes des agissements de Mme [G], la cour d'appel, qui a par ailleurs condamné Mme [G] à verser au liquidateur de cette société la somme correspondant aux sommes détournées sur lesquelles il ne disposait d'aucun droit, a méconnu les dispositions susvisées" ;

Sur le moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu que, pour infirmer le jugement et débouter la chambre nationale des huissiers de justice de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice matériel, la cour d'appel retient que le préjudice qu'elle invoque résulte des sommes qu'elle a dû verser aux clients de la SCP [G] en tant que garante légale de la responsabilité civile professionnelle des huissiers de justice, que ce préjudice n'est qu'indirect, les victimes directes étant les 136 clients de l'étude ainsi que la société civile professionnelle détentrice des fonds, la chambre nationale se bornant à remplir ses obligations ;

Attendu qu'en statuant ainsi, si c'est à tort qu'elle a retenu, comme motif de rejet de la demande, le caractère indirect du préjudice, lequel étant indemnisable en application de l'article 8 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, modifié par la loi du 28 mars 2011, et dès lors que, d'une part, le délit imputé à la prévenue n'a pas causé à la partie civile de préjudice matériel, distinct de celui subi par les clients de l'étude, susceptible de constituer une atteinte à l'intérêt collectif de la profession et, d'autre part, aucune disposition n'autorise la chambre nationale des huissiers de justice à se constituer partie civile pour obtenir le remboursement des sommes exposées en exécution de ses obligations légales, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le grief ne saurait être accueilli ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 8 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, modifié par la loi du 28 mars 2011 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que la chambre nationale des huissiers de justice peut exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et débouter la chambre nationale des huissiers de justice de sa demande en réparation de l'atteinte à l'image de la profession, la cour d'appel retient que ce préjudice résultant des agissements de l'un des membres de la profession d'huissier est parfaitement indirect par rapport au délit d'abus de confiance commis ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la chambre nationale des huissiers de justice peut solliciter l'indemnisation d'un préjudice moral indirect porté à l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 8 septembre 2015, mais en ses seules dispositions ayant débouté la chambre nationale des huissiers de justice de sa demande en réparation de son préjudice moral, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit mars deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-85785
Date de la décision : 08/03/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 08 septembre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 mar. 2017, pourvoi n°15-85785


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:15.85785
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