LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 avril 2015), que, le 15 novembre 1976, Jean-Roch Y..., décédé le [...] , avait créé avec son épouse, Jeanne E..., décédée le [...] , et son petit-fils, M. Charles Y..., le groupement foncier agricole Domaine La Font du loup (le GFA), chacun d'eux et M. A... Y..., frère de Jean-Roch Y..., se voyant attribuer des parts sociales ; que Mme G... F... Y..., petite-fille de Jean-Roch Y..., devenue membre du GFA par l'effet de la dévolution successorale, a engagé une action aux fins, notamment, de voir dissoudre celui-ci et, subsidiairement, autoriser son retrait du capital social du GFA ; que ses frères, MM. A... et Thibault Y..., ont sollicité, à leur tour, leur retrait dudit groupement ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt d'accueillir les demandes de retrait du capital social, alors, selon le moyen, qu'à défaut de précision dans les statuts d'un groupement foncier agricole des conditions dans lesquelles un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, son retrait ne peut être autorisé que par une décision unanime des autres associés ; que ce droit spécial, qui prime sur le droit commun, exclut la possibilité d'un retrait judiciairement autorisé pour justes motifs ; qu'en autorisant, pour cause de mésentente, le retrait du capital social du GFA de Mme G... F... Y..., et de MM. B... et Thibault Y... au motif que ceux-ci avaient seulement hérité de leurs parts sociales et que l'interdiction qui serait faite à l'héritier de se retirer d'un groupement foncier agricole sans l'autorisation de celui avec lequel il ne veut pas être associé constituerait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, la cour d'appel a violé les articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 544, 1845 et 1869 du code civil, L. 322-23 du code rural et de la pêche maritime ;
Mais attendu que, si l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales permet à l'Etat de limiter le droit d'accès à un tribunal dans un but légitime, c'est à la condition que la substance même de ce droit n'en soit pas atteinte ; qu'un tel principe justifie que l'associé d'un groupement foncier agricole puisse solliciter judiciairement son retrait, nonobstant les dispositions de l'article L. 322-23 du code rural et de la pêche maritime, à charge pour le juge saisi d'opérer un contrôle de proportionnalité entre l'objectif poursuivi par la limitation légale du droit de retrait et le respect du droit de propriété de l'associé retrayant ; que, par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef ;
Sur la seconde branche du moyen :
Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt de statuer comme il le fait, alors, selon le moyen, que l'appréciation de la proportionnalité et partant de la légitimité de l'atteinte au droit de propriété implique une mise en perspective et en balance de cette atteinte et de l'objectif poursuivi dans l'intérêt général ; qu'en se bornant à affirmer que l'interdiction qui serait faite à l'héritier de parts sociales d'un groupement foncier agricole de solliciter et d'obtenir un retrait judiciaire constituerait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété sans exposer ni considérer les objectifs de politique agricole poursuivis par cette interdiction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 544, 1845 et 1869 du code civil, L. 322-23 du code rural et de la pêche maritime ;
Mais attendu que ce grief, en ce qu'il invoque les objectifs de politique agricole poursuivis par l'article L. 322-23 du code rural et de la pêche maritime, est nouveau et mélangé de fait, et comme tel irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le groupement foncier agricole Domaine La Font du loup aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à MM. A... et Thibault Y... la somme globale de 2 000 euros, ainsi qu'à la SCP Odent et Poulet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Domaine La Font du loup
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR autorisé le retrait du capital social du Groupement Foncier Agricole du domaine de « La Font du Loup » de Mme G... F... Y..., de M. B... Y... et de M. Thibault Y... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'affectio societatis ne peut résulter que d'une manifestation de volonté de l'associé ; la participation au contrat social ne peut être imposée, fût-ce par voie successorale, à celui qui n'a aucune intention d'y concourir ; l'interdiction qui serait faite à l'héritier de se retirer d'un GFA sans l'autorisation de celui avec lequel il ne vaut pas être associé constituerait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété ; dès lors, la circonstance que les statuts du GFA Domaine La Font du Loup ne prévoient pas la faculté de retrait ne fait pas obstacle à ce que les héritiers qui n'en sont devenus membres que par l'effet de la dévolution successorale exercent le droit de retrait qu'ils tiennent de l'article 1869 du code civil dont le tribunal a fait l'exacte application en l'état des relations gravement conflictuelles qui opposent G... F... Y..., B... Y... et Thibault Y... à Charles Y..., gérant du GFA, et à leurs autres cohéritiers ; le jugement doit être confirmé » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Hélène F... Y... et ses deux frères B... et Thibault Y... sollicitent subsidiairement leur retrait du capital social du Groupement Foncier Agricole « La Font du Loup » ; aux termes de l'article 1869 du code civil, « sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice. A moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9 (3ème alinéa), l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4 » ; si les statuts du GFA ne prévoient pas le retrait d'un associé, le juge peut autoriser le retrait d'un associé pour de « justes motifs » par décision de justice ; en l'espèce, le conflit opposant Hélène F... Y... et ses frères à Charles Y... et ses filles (notamment Anne-Charlotte Y... qui gère avec son époux le domaine), ainsi qu'aux autres défendeurs, dépasse le cadre d'une simple mésentente familiale justifiant un retrait pour convenance personnelle ; au contraire, les reproches et rancoeurs accumulés de part et d'autre rendent aujourd'hui impossible la reprise de relations normalisées entre les différentes associés, augmentant le risque de blocage, voire de paralysie dans le fonctionnement et la gestion courante du GFA ; en conséquence, il y a lieu d'autoriser au regard de ce juste motif, le retrait G... F... Y..., de B... Y... et de Thibault Y..., qui le sollicitent, par voie de conclusions, et ce, afin d'assurer la pérennité du GFA » ;
1°) ALORS QU'à défaut de précision dans les statuts d'un groupement foncier agricole (GFA) des conditions dans lesquelles un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, son retrait ne peut être autorisé que par une décision unanime des autres associés ; que ce droit spécial, qui prime sur le droit commun, exclut la possibilité d'un retrait judiciairement autorisé pour justes motifs ; qu'en autorisant, pour cause de mésentente, le retrait du capital social du Groupement Foncier Agricole du domaine de « La Font du Loup » de Hélène Y..., de B... Y... et de Thibault Y... au motif que ceux-ci avaient seulement hérité de leurs parts sociales et que l'interdiction qui serait faite à l'héritier de se retirer d'un GFA sans l'autorisation de celui avec lequel il ne veut pas être associé constituerait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, la cour d'appel a violé les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 544, 1845 et 1869 du code civil, L. 322-23 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS subsidiairement QUE l'appréciation de la proportionnalité et partant de la légitimité de l'atteinte au droit de propriété implique une mise en perspective et en balance de cette atteinte et de l'objectif poursuivi dans l'intérêt général ; qu'en se bornant à affirmer que l'interdiction qui serait faite à l'héritier de parts sociales d'un GFA de solliciter et d'obtenir un retrait judiciaire constituerait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété sans exposer ni considérer les objectifs de politique agricole poursuivis par cette interdiction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 544, 1845 et 1869 du code civil, L. 322-23 du code rural et de la pêche maritime.