Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Jean-Claude X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7e chambre, en date du 27 mai 2015, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 20 mai 2014, n° 13-82. 830), dans la procédure suivie contre MM. Laurent Y..., Patrick Z..., et la société Editions Les Arènes, du chef de diffamation publique envers un dépositaire ou agent de l'autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 décembre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, M. Buisson, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention des droits de l'homme, 23, 29, alinéa 1er, 30, 31, alinéa 1er, 42, 43 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté M. Jean-Claude X... de ses demandes formées à I'encontre de M. Laurent Y..., Patrick Z... et de la société Les éditions des arènes ;
" aux motifs que, sur l'exception de bonne foi, si les imputations diffamatoires sont réputées faites avec intention de nuire, elles peuvent être justifiées lorsque I'auteur démontre sa bonne foi ; que celle-ci suppose la poursuite d'un but légitime, une absence d'animosité personnelle, le sérieux de l'enquête et la prudence dans I'expression ; que la poursuite d'un but légitime ne fait aucun doute, s'agissant d'informer le public sur un épisode récent de l'histoire rwandaise, aux conséquences particulièrement dramatiques, et sur le rôle politico-militaire de la France dans ces événements ; que I'association de I'intitulé susmentionné avec le nom du général X... n'apparaît pas relever d'une animosité personnelle, qui n'est démontrée par aucun des éléments du dossier ; qu'il convient de noter que les conclusions de la partie civile admettent que les deux premiers critères ci-dessus " n'appellent pas de développements particuliers " ; que la partie civile indique dans ses conclusions ne pas contester que " le génocide en 1994 et la politique de la France au Rwanda relèvent du débat d'intérêt général ", proposition tellement évidente en l'espèce qu'elle se passe d'explicitation ; que restent critiqués, au vu des conclusions de la partie civile, I'absence d'éléments factuels suffisants et I'absence de prudence dans le propos ; que sur I'exigence d'une enquête sérieuse, I'accusation diffamatoire doit être appréciée non seulement au regard du libellé de l'imputation critiquée, mais également de ses éléments extrinsèques ; qu'il convient de noter que Ia vérité sur les responsabilités en matière de génocide ne se fait que sur la longue durée, les différentes parties intéressées usant de toute leurs capacités de dissimulation, de manipulation ou d'influence pour échapper à ce verdict, les manipulations de la vérité étant d'autant plus faciles en I'espèce que s'agissant des relations de la France et du Rwanda à l'époque des faits, I'actualité récente a démontré que des documents étaient toujours classifiés, sans compter bien évidemment ceux qui ont pu être détruits par les différents intervenants, dans un pays complètement bouleversé par la guerre civile ; que I'exigence d'une information fiable et précise doit s'apprécier, sauf à interdire ou restreindre de façon drastique tout débat sur des sujets d'importance cruciale sur le plan éthique ou historique, dans ce contexte ; qu'en I'espèce, I'enquête sérieuse se déduit notamment des investigations effectuées sur place par le journaliste, présent sur les lieux au début de l'opération Turquoise, de son investissement dans le suivi du traitement judiciaire ou politique des suites du génocide, lecture du dossier établi par le juge Bruguière sur I'attentat contre I'avion présidentiel rwandais, suivi des travaux de la commission parlementaire, d'audiences du tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, entretiens avec des militaires, hommes politiques ou témoins de certains aspects de cette tragédie et de son traitement subséquent sur le plan politique ou médiatique ; que le journaliste fait état au delà des éléments relevés par lui de ce qu'il estime être les ambiguïtés de I'opération Turquoise, et des positions différentes exprimées au plus haut niveau politique, I'une s'en tenant à une limitation des opérations à une action humanitaire, et I'autre visant à une assistance militaire des forces hutues, I'auteur indiquant : " l'opération Turquoise fut formatée pour répondre à ces deux cas de figure : elle se fit offensive sous couvert d'humanitaire ", I'option offensive ayant été abandonnée au profit de la création d'un zone humanitaire sûre, visant à sanctuariser la zone encore tenue par les hutus ; qu'il s'agit, compte tenu de I'extrême difficulté d'établir en I'espèce une vérité certaine, qui ne se fera jour qu'avec le temps, d'une prise de position argumentée et étayée, conforme aux exigences de la liberté d'expression dans le cadre d'un débat d'intérêt général ; qu'il convient, d'ailleurs, de noter que la partie civile ne met pas en cause le contenu de I'ouvrage (qui est pour I'essentiel la reproduction de celui paru en 2004, qui n'avait pas suscité de procédure, notamment de diffamation), mais sa seule première de couverture, à travers I'association entre son nom et la mention : complices de I'inavouable la France au Rwanda ; que parmi les rectifications apportées à I'ouvrage initial dans l'introduction du nouveau, I'une d'entre elles concerne le comportement de I'armée française, et notamment, I'inertie du commandement de I'opération Turquoise lors des événements de Biserero, dont M. Z... fait une relation ; que le commentaire de M. Z... s'interrogeant sur ce retard d'intervention mentionne " la réalité des faits... met directement en cause le commandement de Turquoise et les ordres opérationnels reçus ", avant d'expliciter, notamment, à travers le témoignage d'un militaire ayant décidé de désobéir aux ordres les conditions du sauvetage de 800 tutsis dans cette vallée de Biserero où plusieurs milliers d'entre eux avaient déjà été massacrés, la fin de I'introduction indiquant que " la tragédie de Biserero fait aujourd'hui, I'objet d'une instruction ouverte en novembre 2005 à la suite du dépôt de plaintes contre X au tribunal des armées pour complicité de génocide ou crimes contre I'humanité " et que divers acteurs ou témoins de cet épisode avaient été entendus par la police judiciaire sur demande du juge d'instruction et concluant que la volonté d'occultation de cet épisode était indéniable, qu'il s'agit là d'éléments factuels précis, mettant en cause M. X... en tant que commandant en chef de I'opération Turquoise ; que I'absence d'interrogation-du général M. X..., dont les positions étaient à I'avance connues en sa qualité de président de I'association France Turquoise (il convient, d'ailleurs, de noter que les prévenus citent une déclaration de M. X... dans un entretien accordé au journal Paris Match, en date du 11 avril 2010, non démentie par I'intéressé, dans lequel celui ci indique : " on nous accuse d'avoir mis du temps pour sauver des Tutsis réfugiés dans la région de Biserero. Je suis le premier à le regretter "), n'était pas de nature à apporter d'élément nouveau quant à cette information ; que si la cour, à laquelle il n'appartient pas d'établir de responsabilités dans cette affaire, est bien consciente des énormes difficultés d'interprétation des situations en cas d'intervention de forces militaires dans un pays ravagé par la guerre civile et le génocide, et des prises de décisions consécutives, il apparaît, s'agissant du général M. X..., dont les responsabilités de commandant en chef de I'opération Turquoise et sa manière de les assumer, les prises de position dans le cadre de I'association France Turquoise dont il est le président, doivent dans le cadre d'un débat d'intérêt général pouvoir être questionnées plus librement dans un sens conforme aux exigences de la liberté d'expression, que l'imputation litigieuse, dont la formulation, certes appuyée compte tenu de la situation en cause mais néanmoins atténuée compte tenu de I'extrême gravité des faits, démontre une certaine prudence dans I'expression, reposait, compte tenu des éléments ci dessus relevés, sur une base factuelle suffisante, que le bénéfice de la bonne foi doit être accordé aux prévenus ;
" 1°) alors que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte qu'il appartient à I'auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; qu'en se bornant, pour retenir la bonne foi de M. Z..., à énoncer qu'il avait mené une enquête sérieuse sur le génocide du Rwanda, lequel présentait un évident caractère d'intérêt général, et que cette enquête avait permis de mettre en cause le commandement de l'opération Turquoise et les ordres opérationnels reçus, sans constater que la mise en cause de M. X..., auquel M. Z... avait imputé des faits de complicité de génocide au Rwanda à titre personnel, découlait elle-même des résultats spécifiques de I'enquête ainsi menée, ni indiquer sur quels éléments l'auteur avait pu légitimement se fonder pour imputer ces faits à M. X..., la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs généraux impropres à caractériser la bonne foi de M. Z... s'agissant des faits imputés à titre personnel à M. X..., n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte qu'il appartient à I'auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; que n'est pas de bonne foi, I'auteur d'imputations diffamatoires, qui dispose de la faculté d'entendre préalablement celui visé par lesdits propos, afin de recueillir sa version des faits, et qui s'en abstient délibérément ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors légalement décider que les propos litigieux avaient été tenus de bonne foi, au motif inopérant que la position de M. X... sur les faits étaient connus à l'avance, après avoir constaté que M. Z... s'était sciemment abstenu de l'interroger préalablement sur les faits " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication du livre intitulé " Complices de l'inavouable-la France au Rwanda ", comportant, en page de couverture, parmi une trentaine de noms, le général X..., celui-ci, estimant que ce rapprochement dans ladite page de couverture, lui imputait explicitement d'être l'un des complices du génocide survenu au Rwanda, alors qu'il avait assuré le commandement de l'opération Turquoise, a fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un dépositaire ou agent de l'autorité publique, M. Y..., éditeur de l'ouvrage, M. Z..., son auteur, ainsi que la société éditrice ; que les premiers juges ont renvoyé les prévenus des fins de la poursuite et débouté la partie civile de ses demandes ; que cette dernière a seule relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, par substitution de motifs, en ses seules dispositions civiles, l'arrêt attaqué énonce, sur le sens et la portée des propos incriminés, que la composition de la page de couverture, qui agrège le nom et le grade de la partie civile au titre de l'ouvrage, insinue que cette dernière n'est pas mise en cause comme complice du génocide survenu au Rwanda, mais comme " complice de l'inavouable ", cette expression étant entendue par l'auteur comme renvoyant à " une politique secrète qui fut menée par Paris au Rwanda de 1990 à 1994... décidée par quelques-uns, qui agirent en dehors de toute règle, hors de tout débat et au prix d'importantes entorses à la légalité républicaine ", la suite du commentaire qualifiant cette politique " d'erreur criminelle " mettant en cause une trentaine de responsables et qu'une telle allégation constitue une diffamation ;
Que, sur l'exception de bonne foi, les juges exposent que, s'agissant d'informer le public sur un épisode récent de l'histoire rwandaise aux conséquences dramatiques et sur le rôle de la France, le but légitime de l'article et l'absence d'animosité personnelle de son auteur ne sont pas discutés par la partie civile, qui invoque en revanche le défaut d'éléments factuels suffisants et de prudence dans les propos ; qu'ils relèvent que l'enquête sérieuse menée par le journaliste, présent sur les lieux au début de l'opération Turquoise, se déduit des investigations sur place, du suivi du traitement judiciaire ou politique des suites du génocide et des travaux de la commission parlementaire, d'audiences du tribunal pénal international, et d'entretiens avec des militaires, des hommes politiques et des témoins ; qu'au delà de ces éléments, l'auteur de l'ouvrage fait état d'une prise de position argumentée et étayée sur le rôle de l'opération Turquoise ; que les juges retiennent que le journaliste mentionne l'inertie du commandement de l'opération Turquoise lors des événements survenus à Biserero, qu'il s'interroge sur son retard d'intervention avant d'expliciter, notamment à travers le témoignage d'un militaire présent sur les lieux, ayant décidé de désobéir aux ordres, les conditions du sauvetage de huit cents Tutsis après le massacre de plusieurs milliers d'entre eux, la fin de l'introduction de l'ouvrage précisant que cet événement fait l'objet d'une information judiciaire en cours à la suite de dépôt de plaintes pour complicité de génocide et crimes contre l'humanité et que divers acteurs et témoins entendus ont conclu à une volonté d'occultation ; qu'ils ajoutent qu'un entretien avec la partie civile, par ailleurs président de l'association France Turquoise, cependant que les prévenus ont cité un extrait de ses déclarations au journal Paris Match, non démenties par l'intéressé, n'était pas de nature à apporter d'élément nouveau ; qu'ils relèvent, s'agissant du général X..., que ses responsabilités en tant que commandant en chef de l'opération Turquoise et sa manière de les assumer, ses prises de position au sein de l'association France Turquoise dont il est le président, doivent, dans le cadre d'un débat d'intérêt général, pouvoir être questionnées plus librement dans un sens conforme aux exigences de la liberté d'expression ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent une forme de prudence dans l'expression et l'existence d'une base factuelle suffisante, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ; D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept février deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.