LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 22 septembre 2015), que la SCI Palissy (la SCI) a donné à bail commercial en renouvellement à la société Mazars Besançon (la société Mazars) un immeuble à usage de bureaux à compter du 1er septembre 2007 ; que, le 27 juin 2011, la société locataire a signifié à la SCI un congé à effet au 31 décembre 2011, en application des articles L. 145-4 et L. 145-9 du code de commerce ; que, le 21 décembre 2011, la société Mazars a assigné la SCI en rétractation de ce congé et en requalification de la convention en bail professionnel ; qu'en cours d'instance, la société locataire a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 24 octobre 2012, délivré à la SCI un congé, au visa de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 ;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de dire que le congé est régulier ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la société Mazars exerçait, dans les lieux donnés à bail à usage de bureaux, une activité libérale d'expertise comptable, par nature civile, sous la forme d'une société commerciale et relevé, d'une part, que, par les références multiples du bail aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, soit pour en rappeler les termes, soit pour en exclure l'application au bail, les parties avaient manifesté de façon non équivoque leur volonté de soumettre leur convention à certaines règles du statut des baux commerciaux, d'autre part, qu'aucune stipulation contractuelle ni aucune pièce versée aux débats ne démontraient que la société locataire aurait renoncé expressément aux dispositions d'ordre public de l'article 57A de la loi du 23 décembre 1986 permettant au locataire de donner congé à tout moment, sous réserve d'un préavis de six mois, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir que le congé délivré le 24 octobre 2012 était valable et que la société Mazars était redevable des loyers et charges jusqu'au 25 avril 2013 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCI Palissy aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCI Palissy et la condamne à payer à la société Mazars Besançon la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour la société Palissy.
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé régulier le congé délivré par la société Mazars Besançon par lettre recommandée avec avis de réception du 24 octobre 2012 à effet au 25 avril 2013 à 24 heures et dit, en conséquence, d'avoir décidé que la société Mazars Besançon n'est redevable envers la SCI Palissy des loyers et charges locatives que jusqu'au 25 avril 2013 inclus ;
AUX MOTIFS D'ABORD QUE la SAS Mazars Besançon, dont l'activité mentionnée dans l'extrait Kbis du 22 juillet 2011 versé aux débats est l'expertise comptable et le commissariat aux comptes, prétend que le bail litigieux ne saurait être soumis au statut des baux commerciaux en l'absence de toute activité commerciale exercée dans les lieux et qu'il doit être qualifié de bail professionnel relevant des dispositions de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ; que, forte de cet argument, elle soutient que le congé donné à la SCI Palissy par lettre recommandée avec avis de réception du 24 octobre 2012 doit recevoir effet six mois après sa réception par la bailleresse et qu'elle n'est plus assujettie à aucune obligation contractuellement postérieurement à cette date ; qu'en réponse, la SCI Palissy affirme que la commune intention des parties a été de soumettre expressément le bail au statut des baux commerciaux, soulignant surabondamment que le preneur aurait progressivement développé dans les lieux une activité de nature commerciale sous une enseigne Aimagest ;
AUX MOTIFS ENSUITE QUE la liberté contractuelle permettait aux parties, avant même la réforme résultant de la loi du 4 août 2008 qui a modifié la rédaction des articles L. 145-1 et L. 145-2 du code de commerce, de choisir les règles applicables au bail qui les liait pourvu que, ce faisant, elles n'éludent pas l'application d'un autre statut locatif à caractère d'ordre public tel, notamment, celui des baux ruraux ou des baux à usage d'habitation ; qu'elles pouvaient par conséquent convenir d'assujettir leur bail au statut des baux commerciaux, quand bien même le locataire n'aurait exercé aucune activité commerciale, à la condition d'exprimer leur volonté de manière non équivoque ; qu'en l'espèce, s'il est établi que le preneur exerce dans les lieux une activité libérale d'expertise comptable, donc civile mais sous la forme d'une société commerciale, et que le bail litigieux porte sur un local à usage de bureaux, il comporte plusieurs stipulations attestant d'un caractère commercial dans l'esprit des parties ; qu'ainsi, le bail consenti à la SA SERECO par la SCI Palissy le 16 décembre 1996 porte l'intitulé exprès de « bail commercial soumis au décret du 30 septembre 1953 » et rappelle en page 2 que « le bailleur donne à bail à loyer, à titre commercial, conformément aux dispositions du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, au preneur qui accepte, les biens et droits immobiliers ci-dessous désignés » ; qu'il prévoit en outre que « conformément aux dispositions de l'article 3-1 du décret du 30 septembre 195, le preneur aura la faculté de donner congé à l'expiration de chaque période triennale (…) la partie devant alors donner congé à l'autre partie par acte extrajudiciaire au moins six mois avant l'expiration de la période triennale en cours » ; qu'il a en outre été conclu pour une durée de neuf ans et précise enfin que le preneur ne pourra céder son droit au présent bail si ce n'est au profit de son successeur dans la même activité, sous réserve du consentement écrit de la bailleresse ; qu'à l'inverse, le bail écarte certaines dispositions du décret du 30 septembre 1953 qu'il énonce expressément ; qu'il stipule ainsi que la sous-location non autorisée ne sera pas opposable à la bailleresse et comportera renonciation expresse du sous-locataire à se prévaloir du renouvellement de la sous-location par application des dispositions du décret du 30 septembre 1983 ; qu'il fixe encore une révision conventionnelle du loyer au 1er janvier de chaque année en fonction de la variation de l'indice INSEE du coût de la construction, par dérogation à la révision triennale légal prévue par les articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 ; que l'avenant audit bail intervenu le 21 décembre 2006 entre la bailleresse et la SAS SERECO Mazars (anciennement dénommée SERECO), prévoit expressément que les parties entendent formaliser la reconduction du bail à loyer à titre commercial à compter du 1er janvier 2006 pour se terminer le 31 décembre 2014, moyennant un loyer annuel de 174.900 € HT, toutes autres clauses, charges et conditions du bail liant les parties demeurant inchangées ; que les parties ont donc expressément réitéré leur volonté d'étendre certaines dispositions du statut précité à leur relation contractuelle ; que par ces références multiples aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, soit pour en rappeler les termes, soit pour en exclure l'application au bail, les parties ont manifesté de façon non équivoque leur volonté de soumettre leur convention à certaines règles du statut des baux commerciaux ; qu'en vertu des stipulations contractuelles, qui font implicitement référence aux prescriptions de forme édictées à l'article L. 145-9 du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur, le congé émanant du preneur doit être délivré par acte extrajudiciaire au plus tard six mois avant l'expiration de la période triennale en cours ;
ET AUX MOTIFS ENFIN QUE la SAS Mazars Besançon prétend cependant à titre subsidiaire que la soumission du bail au statut des baux commerciaux ne peut avoir pour effet de déroger aux dispositions d'ordre public de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, applicables aux baux professionnels ; qu'en vertu de ce texte déclaré d'ordre public par l'article 46 de la même loi, le preneur d'un bail professionnel peut à tout moment notifier au bailleur, par acte extrajudiciaire ou lettre recommandée avec avis de réception, son intention de quitter les lieux en observant un préavis de six mois ; que s'agissant incontestablement d'une disposition d'ordre public de protection, il était admis avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, que le preneur pouvait renoncer à son bénéfice à la double condition que cette renonciation porte sur un droit acquis et procède d'une volonté non équivoque ; qu'en l'espèce, aucune stipulation du bail ou de l'avenant, ni aucune des pièces versées aux débats, ne démontrent qu'après en avoir concrètement bénéficié (avantage acquis) la SAS Mazars Besançon aurait renoncé expressément, et de façon non équivoque, à cette disposition protectrice de l'article 57 A ; que dans ces circonstances, l'appelante fait à bon droit valoir que la soumission du bail litigieux à certaines dispositions du statut des baux commerciaux n'a pu faire obstacle à l'application de ce texte relatif aux modalités de non-renouvellement du bail ; que le congé délivré le 24 octobre 2012 par lettre recommandée avec avis de réception prenant effet à l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa réception a produit valablement effet, dès lors qu'il observe les modalités prescrites par ce texte d'ordre public ; que c'est donc à tort que le premier juge a retenu qu'à défaut de congé valablement délivré en application de l'article L. 145-9 du code de commerce, le bail s'était poursuivi jusqu'à la fin de la période triennale alors en cours, soit jusqu'au 31 décembre 2014, et que la SAS Mazars Besançon était redevable des loyers et charges locatives jusqu'à cette date ; que le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et le congé délivré par lettre recommandée avec avis de réception du 24 octobre 2012 jugé régulier ; qu'en revanche, il sera retenu que la résiliation du bail est intervenue le 25 avril 2013, soit à l'expiration d'un délai de six mois à réception du pli recommandé par les deux cogérants, signataires de l'avis de réception ;
ALORS QUE, d'une part, l'article 57 A de la loi n° 86-1286 du 23 décembre 1986 a un domaine spécifique qui ne concerne que les baux à usage exclusivement professionnel ; que ce texte n'est corrélativement applicable qu'au preneur qui n'exerce dans les lieux qu'une activité exclusivement civile à l'exclusion de toute activité présentant un caractère commercial ; qu'en se bornant à relever que l'appelante exerçait dans les lieux l'activité civile d'expertise comptable et de commissariat aux comptes, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée par la SCI Palissy (cf. ses dernières écritures, pp. 4 à 7), si en complément de cette activité civile, la société preneuse n'avait pas développé, à travers notamment sa filiale Aimagest Consultants hébergée dans les locaux donnés à bail, une activité commerciale de conseils en organisation et en informatique et de développement et de commercialisation de logiciels et de programmes informatiques, la cour prive sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
ET ALORS QUE, d'autre part, les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les prétentions dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve produits par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en se bornant à viser l'extrait Kbis de la société Mazars Besançon mentionnant l'exercice d'une activité civile d'expert-comptable et de commissaire aux comptes (arrêt p. 3 pénultième alinéa) et en passant corrélativement sous silence l'ensemble des pièces invoquées et produites par la société Palissy pour établir qu'était également exercée dans les locaux donnés à bail une activité commerciale à travers diverses identités dépendant du groupe Mazars, soit notamment l'organigramme du groupe SERECO faisant apparaître dès février 2002 la création du département Aimagest (pièce n° 8 de l'intimée), l'extrait Kbis de la société Aimagest Consultants (pièce n° 2) mentionnant l'exercice par celle-ci, à l'adresse des locaux donnés à bail, d'une activité de conception, édition et commercialisation de systèmes informatiques, matériels et logiciels, l'extrait Lbis de la société Mazars exerçant l'activité de prestations de services pour entreprises et collectivités locales dans l'organisation, l'informatique, la communication, la restructuration et le marketing, ce également à l'adresse des locaux donnés à bail (pièce n° 18), les statuts de la société Aimagest Consultants (pièce n° 29), la plaquette publicitaire Aimagest 2002 (pièce n° 17), la cour méconnaît les exigences des articles 455 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violés.