LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article L. 137-2 du code de la consommation, alors applicable ;
Attendu, qu'en application du premier de ces textes, toutes actions dérivant d'un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit ; qu'aux termes du second, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ;
Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Dieppe, 7 août 2015), rendu en dernier ressort, que, par acte du 15 janvier 2015, la société Seminor, propriétaire d'un logement social donné à bail à M. et Mme X..., les a assignés, après la libération des lieux, en paiement d'une somme au titre des réparations locatives ;
Attendu que, pour déclarer prescrite l'action de la bailleresse, le jugement retient que le professionnel au sens du code de la consommation doit être entendu comme toute personne physique et morale agissant dans le cadre d'une activité professionnelle, que la bailleresse, bien que soumise à la législation relative aux bailleurs sociaux, est une société commerciale qui doit être considérée comme un professionnel de la location de logements, que, si la loi du 24 mars 2014 a réduit le délai de prescription à trois ans, rien dans cette loi ne fait obstacle à l'application du délai plus court de l'article L. 137-2 du code de la consommation dès lors que le bailleur est un professionnel et que le dernier paiement des locataires a eu lieu en juillet 2012 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le bail d'habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation, de sorte que la prescription édictée par l'article 7-1 de cette loi est seule applicable à l'action en recouvrement des réparations locatives et des loyers impayés, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application et le second par fausse application ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 août 2015 par le tribunal d'instance de Dieppe ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Rouen ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Seminor ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delaporte et Briard, avocat aux Conseils, pour la société Seminor.
Il est fait grief au jugement attaqué, rendu en dernier ressort, d'avoir déclaré irrecevable car prescrite l'action de la société Seminor tendant à voir condamner M. et Mme X..., solidairement, au paiement de la somme de 485, 93 euros au titre des réparations locatives, avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2014, avec capitalisation pour une année entière en application de l'article 1154 du code civil, ainsi qu'aux dépens et à la somme de 700 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Aux motifs qu'« en application de l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparait pas, le tribunal ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée ; qu'en application de l'article L. 141-4 du code de la consommation, le juge peut relever d'office tout moyen tiré de ce même code ; qu'en application de l'article L. 137-2 du code de la consommation, l'action des professionnels pour les biens et services qu'ils fournissent au consommateur se prescrit par deux ans ; qu'ainsi qu'il ressort des recommandations 00-01 et 80-04 de la commission des clauses abusives, citées dans l'article du Prof. SAUPHANOR-BROUILLAUD (La mobilisation possible du droit de la consommation au profit des demandeurs DALO, novembre 2013, copie au dossier SEMINOR) sur lequel s'appuie la SEMINOR, le code de la consommation peut trouver à s'appliquer de façon cumulative avec la loi du 6 juillet 1989, dès lors que ses conditions d'application sont remplies ; que si la loi dite ALUR a réduit le délai de prescription en matière de baux d'habitation à trois ans, rien dans cette loi ne fait obstacle à l'application d'un délai plus court dès lors que le bailleur est un professionnel ; que si le code de la consommation définit le consommateur comme étant une personne n'agissant pas pour les besoins de son activité professionnelle et ne donne pas de définition précise du professionnel, ce dernier doit être entendu, à l'inverse, comme toute personne physique et morale agissant dans le cadre d'une activité professionnelle ; que la SEMINOR indique, de façon pertinente, qu'il ressort du considérant 29 de la directive n° 1011/ 83/ CE sur les droits du consommateur, que : Les services sociaux présentent des caractéristiques fondamentalement différentes qui transparaissent dans la législation spécifique au secteur, en partie au niveau de l'Union et en partie au niveau national. Les services sociaux comprennent, d'une part, les services aux personnes particulièrement défavorisées ou à faibles revenus ainsi que les services aux personnes et aux familles qui ont besoin d'aide pour accomplir des tâches quotidiennes courantes et, d'autre part, les services fournis à toutes les personnes qui ont un besoin particulier d'aide, de soutien, de protection ou d'encouragement au cours d'une phase déterminée de leur vie. Les services sociaux englobent, entre autres, les services aux enfants et à la jeunesse, les services d'aide aux familles, aux parents isolés et aux personnes âgées et les services aux migrants. Les services sociaux comprennent à la fois les prestations de soins de courte et de longue durée, par exemple les services dispensés par des services de soins à domicile, ou fournis dans des résidences offrant des services et dans des maisons de retraite ou des foyers-logements (" maison de soins "). Les services sociaux ne comprennent pas seulement les services qui sont assurés par l'Etat au niveau national, régional ou local, par des prestataires mandatés par l'Etat pour par des associations caritatives reconnues comme telles par l'Etat, mais aussi les services fournis par des prestataires privés. Les dispositions figurant dans la présente directive ne sont pas adaptées aux services sociaux, qui devraient dès lors être exclus de son champ d'application ; que toutefois, si cette définition peut limiter l'applicabilité du droit communautaire, le droit interne peut parfaitement choisir d'être plus protecteur des consommateurs dans ce domaine particulier, faute de concurrence intra-communautaire entre bailleurs sociaux, et de traiter ces derniers comme des professionnels, ce que rappelle d'ailleurs l'article du professeur SAUPHANOR-BROUILLAUD susvisé (p. 11 " L'assimilation à des professionnels vaut a fortiori pour les organismes privés d'habitation à loyer modéré qui sont également soumis au droit privé. Par conséquent, en droit interne, les bailleurs sociaux devraient être considérés comme des professionnels ") ; que la disposition en jeu, concernant le délai pour agir, ne met pas, contrairement par exemple aux clauses du bail sur l'enquête sociale et le supplément de loyer, en jeu les caractéristiques spécifiques des bailleurs sociaux ; que les textes du code de la consommation doivent s'interpréter sans ajouter au texte de condition de nature à en restreindre la portée générale (cf. par exemple, Civ. 1ère, 28 novembre 2012, n° 11-26. 508, pour l'application au crédit immobilier ; cf. également Civ. 1ère, 8 mars 2012, Bull. Civ. 1, n° 53, aboutissant à l'application de l'article L. 341-3 du code de la consommation à un cautionnement entre professionnels) ; qu'en l'espèce la SA SEMINOR est une société commerciale, bien qu'elle soit soumise à la législation relative aux bailleurs sociaux ; que le contrat de bail conclu avec les époux X... est soumis au droit privé, et n'impose pas à la SEMINOR de sujétions de nature à influer de façon significative sur le délai d'exercice de son droit d'agir en justice comme tout autre bailleur privé, soumis à une logique de rentabilité ; qu'elle doit donc être considérée comme un professionnel de la location de logements ; que la demande au titre des réparations locatives concerne un accessoire de cette activité ; que l'action de la SEMINOR se prescrivait par deux ans et que, le dernier paiement ayant eu lieu au mois de juillet 2012, l'action est prescrite, l'assignation n'ayant été délivrée que le 19 janvier 2015 ; que l'action de la SEMINOR est donc prescrite » (jugement p. 3),
Alors, d'une part, qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ayant créé l'article 7-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, aux termes duquel toutes actions dérivant d'un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit, l'action en paiement au titre des réparations locatives se prescrivait par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; qu'en énonçant que cette action se prescrivait par deux ans en vertu des dispositions de l'article L. 137-2 du code de la consommation, le tribunal d'instance a violé par refus d'application l'article 2224 du code civil ainsi que l'article 7-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et par fausse application l'article L. 137-2 susvisé,
Alors, d'autre part et à titre subsidiaire, que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrivent par deux ans ; que le secteur du logement social fait partie des services sociaux d'intérêt général bénéficiant aux personnes défavorisées ou à faibles revenus pour lesquelles les règles du marché intérieur et de la concurrence ne s'appliquent pas ; qu'il s'ensuit que le locataire qui bénéficie d'un contrat de location consenti par un bailleur social ne peut être assimilé à un consommateur au sens des articles L. 137-1 et L. 137-2 du code de la consommation pas plus que ce bailleur ne peut être assimilé à un professionnel au sens de ces mêmes articles ; qu'en énonçant que le contrat de bail conclu par la société Seminor avec les époux X... est soumis au droit privé et n'impose pas à la société Seminor de sujétions de nature à influer de façon significative sur le délai d'exercice de son droit d'agir comme toute autre bailleur privé, soumis à une logique de rentabilité, de sorte que la société Seminor doit être considérée comme un professionnel de la location de logements et que la demande au titre des réparations locatives concernait un accessoire de cette activité et devait se prescrire par deux ans, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 137-2 du code de la consommation.