LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° V 15-50. 080 à H 15-50. 091 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 20 mai 2015), que M. X... et onze autres salariés ont été engagés soit par l'Entreprise de soudure électrique et de chaudronnerie (ESEC) puis par la société Fort et/ ou la société Sotech, soit directement par cette société ; que la société Fort a fait l'objet d'une extension de la procédure de redressement judiciaire ouverte par le tribunal de commerce d'Alès le 25 août 1987 au profit de la société Chaudronnerie Fort Tamaris, avec adoption d'un plan de redressement par voie de cession au profit de la société Sotech par jugement du 17 décembre 1987 du même tribunal et clôture du redressement judiciaire par jugement du 23 février 1988 ; que, par ordonnance du 27 février 2012, le président du tribunal de commerce de Bergerac a désigné la société Pimouguet-Leuret en qualité de mandataire ad'hoc pour représenter la société Fort dans le cadre de la procédure ; qu'après avoir arrêté un plan de cession au profit de la société Sotech Industrie et de la société civile immobilière Sotech immobilier par jugement du 27 février 2009, le tribunal de commerce a converti le redressement judiciaire de la société Sotech en liquidation judiciaire le 3 avril 2009 et désigné la société Pimouguet-Leuret en qualité de liquidateur judiciaire ;
Sur le premier moyen, en tant qu'il concerne les pourvois n° V 15-50. 080, W 15-50. 081 et n° Y 15-50. 083 à E 15-50. 089 :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le premier moyen, en tant qu'il concerne les pourvois n° X 15-50. 082, F 15-50. 090 et H 15-50. 091 :
Attendu que MM. Y..., Jacques Z... et Patrick Z... font grief aux arrêts de les débouter de leur demande de condamnation à des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen, que l'existence d'un préjudice d'anxiété est caractérisée par le seul fait pour le salarié d'avoir travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, qui se trouvait, de par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ; que, pour rejeter la demande en réparation du préjudice d'anxiété des salariés motif purement juridique pris de ce qu'ils n'étaient ni employés ni rémunérés par l'établissement inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) des travailleurs de l'amiante pour la période de 1956 à 1997, alors même qu'il était constaté qu'ils avaient travaillé dans l'un de ces établissements, la cour d'appel a ajouté une condition à la loi que celle-ci ne prévoit pas ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, ensemble l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
Mais attendu qu'un salarié, même s'il est éligible à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, ne peut obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété par une demande dirigée contre une société qui n'entrait pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
Et attendu que la cour d'appel a constaté que, si l'établissement où avaient travaillé MM. Y..., Jacques Z... et Patrick Z... était inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, cet établissement ne relevait pas de l'employeur de ces salariés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les salariés aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits aux pourvois n° V 15-50. 080 à H 15-50. 091 par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. X... et onze autres salariés.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté les salariés de leur demande de condamnation à des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QUE la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 du 23 décembre 1998 a institué en son article 41, en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante un mécanisme de départ anticipé à la retraite (ACAATA) pour compenser la perte d'espérance de vie à laquelle sont confrontées, statistiquement, les personnes contaminées par l'amiante, à la condition de travailler ou d'avoir travaillé dans un établissement, figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, de fabrication d'amiante ou de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, pendant une période déterminée ; que les salariés qui ont travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi susvisée, dans les conditions prévues par ce texte et par l'arrêté ministériel, se sont trouvés par le fait de leur employeur, à compter du moment où ils ont eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de leur établissement de travail, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; que l'ensemble des troubles psychologiques qui en résulte caractérise l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété ; qu'il n'est pas contesté que ni la SA ESEC ni la SA Fort ni la SA Sotech, devenue la SAS Sotech, qui ont employé (les salariés), ne font partie des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ; que (divers témoins), attestent que (le salarié) a travaillé quotidiennement à l'usine de Rottersac entre 1981 et 1997 comme (tuyauteur, soudeur et responsable de chantier) ou sur les sites dépendants de la société Polyrey ou de la Société Nationale des Poudres à Bergerac, pour le compte de la société Sotech ; ou que divers témoins attestent que (le salarié) a effectué des chantiers ponctuels pour le compte de son employeur sur des sites qu'ils qualifient d'amiantés et plus précisément à l'usine de Rottersac comme à l'usine de Couze-Saint-Front de la société Polyrey ou celle de Bergerac NC de la Société Nationale des Poudres ; que par arrêté ministériel en date du 19 mars 2001 l'usine de Rottersac, ancienne papeterie Sibille devenue Ahlstrom Paper Group, a été inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante pour la période de 1956 à 1997 ; que par arrêtés ministériels des 24 avril 2002 et 25 mars 2003, l'entreprise Polyrey, usine de Couze-Saint-Front à Lalinde et la société Nationale des Poudres (SNPE) pour son site de Bergerac NC ont été inscrites sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA respectivement pour les périodes de 1971 à 1984 et de 1972 à 1992 ; que cependant (le salarié), travaillait pour les sociétés Fort et Sotech, il n'était ni employé ni rémunéré par Sibille devenue Ahlstrom Paper Group, établissement inscrit sur la liste fixée par l'arrêté ministériel susvisé ; qu'il n'était pas employé ni rémunéré par la société Polyrey ni par la SNPE ; que or, la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise que pour les salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 qui précise en son I que l'ACAATA est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage de calorifugeage amiante ou de construction et de réparation navale inscrits sur une liste établie par arrêté ministériel ; qu'en conséquence, (le salarié) qui ne justifie pas avoir été employé et rémunéré par un établissement inscrit sur les listes des établissements susvisés, dans les conditions prévues par la loi, ne peut prétendre à la réparation du préjudice d'anxiété ; qu'il convient donc de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la créance (du salarié) au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Sotech à la somme de 12 000 euros à ce titre et de débouter le salarié de ce chef de demande tant à l'encontre de la SA Fort que de la SAS Sotech ;
ALORS QUE l'existence d'un préjudice d'anxiété est caractérisée par le seul fait pour le salarié d'avoir travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, qui se trouvait, de par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ; que, pour rejeter la demande en réparation du préjudice d'anxiété des salariés motif purement juridique pris de ce qu'ils n'étaient ni employés ni rémunérés par l'établissement inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) des travailleurs de l'amiante pour la période de 1956 à 1997, alors même qu'il était constaté qu'ils avait travaillé dans l'un de ces établissements, la cour d'appel a ajouté une condition à la loi que celle-ci ne prévoit pas ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, ensemble l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté (les salariés) de leur demande de condamnation solidaire de la SA Fort représentée par son mandataire ad hoc et de la SAS Sotech à leur payer des dommages et intérêts en réparation du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;
AUX MOTIFS QUE (le salarié) fait valoir que ses employeurs successifs ont manqué à l'obligation de sécurité de résultat pesant sur eux en les exposant à une contamination par l'amiante sans prendre les mesures de prévention qui s'imposaient ce qui lui a nécessairement causé un préjudice ; que cependant le préjudice d'anxiété, qui inclut l'ensemble des troubles psychologiques résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, est le seul préjudice, hors toute pathologie, qui résulte de l'exposition à l'amiante ; qu'en l'espèce sa réparation n'est pas admise ; que (le salarié) qui ne se prévaut pas de l'existence d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, ni ne le démontre a fortiori, sera débouté de ce nouveau chef de demande ;
ALORS QUE le juge est saisi par les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, les salariés avaient invoqué la faute commise par les employeurs successifs dès lors qu'ils les avaient exposés à un danger en les faisant travailler dans une entreprise utilisatrice sans appliquer les mesures de protection nécessaires, engageant ainsi leur responsabilité du fait de ce manquement à leur obligation de sécurité de résultat ; que, pour débouter les salariés des demandes de réparation, en retenant qu'ils ne se prévalaient pas de l'existence d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété dont la réparation n'avait pas été admise, ni ne l'avaient démontré a fortiori, sans prendre en considération le manquement des employeurs successifs du salarié à leur obligation de sécurité du fait de l'absence de mesures de protection prises dans l'entreprise utilisatrice, la cour d'appel a modifié les termes du litige, et partant violé l'article 1134 du code civil ;
ALORS encore QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise, et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger ; que lorsque le travail s'exécute dans les locaux d'une autre entreprise, l'employeur a le devoir de se renseigner sur les dangers courus par le salarié ; que pour rejeter la demande de condamnation de son employeur par le salarié motif pris de ce qu'il ne se prévalait pas d'un préjudice distinct du préjudice d'anxiété ni ne le démontrait a fortiori sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur qui avait fait intervenir les salariés pendant plusieurs années dans un établissement sensible avait satisfait à son obligation de se renseigner auprès de l'établissement sur la nature des produits fabriqués ou utilisés par celui-ci de façon à s'assurer de leur innocuité ou, en cas de danger, à mettre en oeuvre en coopération avec les organes de cette entreprise tierce les mesures propres à préserver la santé de son salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du code civil, ensemble les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et les articles R. 4511-1, R. 4511-5 et R. 4512-2 du code du travail.