LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'une intervention chirurgicale réalisée le 12 septembre 2006, destinée à remédier à une lombo-sciatique bilatérale, Mme X... a présenté une arachnoïdite et gardé d'importants troubles neurologiques ; qu'elle a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation d'Ile-de-France qui a conclu à la survenue d'un accident médical non fautif et évalué ses préjudices ; que Mme X... a accepté une offre d'indemnisation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) concernant certains préjudices personnels, et un acte d'indemnisation transactionnelle partielle a été signé le 1er mai 2009 ; qu'elle a refusé une offre d'indemnisation au titre de ses préjudices patrimoniaux et de son déficit fonctionnel permanent et assigné l'ONIAM en vue d'obtenir une indemnisation complémentaire ;
Sur les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés :
Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 4 du code civil et L. 1142-1, II, du code de la santé publique ;
Attendu que, pour indemniser Mme X... jusqu'au 31 mai 2018 au titre de l'assistance par une tierce personne que son état de santé nécessite, à hauteur de onze heures par jour dont trois heures sont liées aux besoins de ses jeunes enfants, et pour réserver sa demande au-delà de cette date, l'arrêt relève qu'il conviendra d'actualiser les sommes mises à la charge de l'ONIAM en fonction du montant actualisé de la prestation de compensation du handicap perçue par celle-ci et de la nécessité de maintenir trois heures de tierce personne pour les enfants qui auront avancé en âge ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait refuser d'évaluer le préjudice lié à l'assistance par une tierce personne au-delà du 31 mai 2018, dès lors qu'elle en avait constaté l'existence en son principe, et qu'il lui incombait de fixer le montant de la rente, en prévoyant la déduction de la prestation de compensation du handicap qui serait allouée et en anticipant l'évolution des besoins d'assistance des enfants en fonction de leur âge, la cour d'appel a violé les texte susvisés ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour allouer à Mme X... une indemnité capitalisée au titre des pertes de gains professionnels futurs, après avoir relevé qu'il convenait d'appliquer le barème de la Gazette du Palais publié en 2013 au taux d'intérêt de 2, 35 % qui apparaît, en l'espèce, le mieux adapté aux données économiques actuelles et fait application de ce barème lors de la fixation des dépenses de santé futures et des frais divers d'équipement médical, l'arrêt retient, sans s'en expliquer, un euro de rente ne correspondant pas à ce barème ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il réserve la demande au titre de l'assistance par une tierce personne postérieure au 31 mai 2018 et fixe la perte de gains professionnels futurs à la somme de 229 454, 22 euros, l'arrêt rendu le 9 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne l'ONIAM aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR évalué à 521. 100, 58 euros le préjudice subi par Mme X... au titre de la tierce personne, du 8 juin 2011 au 31 mai 2018, et d'AVOIR réservé l'indemnisation de ce poste de préjudice pour la période postérieure au 31 mai 2018 ;
AUX MOTIFS QUE Sur l'assistance par une tierce personne ; que la tierce personne sera prise en charge à raison de 20, 02 euros de l'heure sur 365 jours tel que cela est facturé à l'appelante par le service prestataire d'aide à la personne auquel elle a recours, pour la période du 8 juin 2011 au 31 mai 2018, soit 2. 549 jours ; soit 11 h x 20, 02 euros x 2. 549 = 561. 340, 78 euros, somme de laquelle il convient de déduire la prestation compensatoire du handicap servie par le Conseil général de l'Yonne à compter du 1er novembre 2012 pour 600, 60 euros par mois soit une somme de 40. 240, 20 euros de sorte que ce préjudice sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 521. 100, 58 euros ; que pour la période postérieure au 31 mai 2018, il conviendra d'actualiser les sommes mises à la charge de l'ONIAM en fonction du montant actualisé de la PCH et de la nécessité de maintenir 3 heures de tierce personne pour les enfants qui auront avancé en âge ; que dans l'attente, ce préjudice postérieur au 31 mai 2008 sera réservé ;
1°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent refuser d'indemniser un préjudice dont l'existence est constatée dans l'attente de la production de justificatifs ; qu'en refusant d'indemniser intégralement le préjudice subi par la victime au titre du besoin dans lequel elle se trouve d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne après le 31 mai 2018 dans l'attente de la justification du montant de l'indemnité qu'elle pourrait percevoir au titre de la prestation de compensation du handicap, la Cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 II du Code de la santé publique, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
2°) ALORS QUE le juge saisi d'un litige doit le trancher ; qu'en refusant de liquider le préjudice subi par Mme X... au titre de la tierce personne, pour la période postérieure au 31 mai 2018, la Cour d'appel a méconnu son office et a violé les articles 12 du Code de procédure civile et 4 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité l'indemnisation allouée à Mme X... au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 229. 454, 22 euros et d'AVOIR débouté Mme X... du surplus de ses demandes ;
AUX MOTIFS QU'« il convient d'appliquer le barème de la Gazette du Palais publié en 2013 au taux d'intérêt de 2, 35 % qui apparaît en l'espèce, le mieux adapté aux données économiques actuelles » ; (arrêt p. 9, antépénultième alinéa) ;
QUE le prix de l'euro de rente féminin viager à 42 ans, qui est l'âge de la victime au jour de l'arrêt, est de 26, 179 (arrêt p. 9, antépénultième alinéa et p. 10, al. 1er) ;
ET AUX MOTIFS QUE « sur la perte de gains professionnels futurs, la possibilité relevée par l'expert de la reprise d'un travail apparait illusoire compte tenu de son impossibilité à rester longtemps immobile ; qu'elle justifie d'ailleurs être régulièrement hospitalisée depuis sa consolidation notamment du fait d'escarres sacrées de sorte que ce poste de préjudice sera indemnisé sur la base d'un salaire d ‘ hôtesse de caisse à mi-temps actualisé sur la base de l'indice des prix à la consommation ; que sur la période du 8 juin 2011 au 9 octobre 2015 ; il lui sera alloué pour 4 ans et 4 mois une somme de 34. 044, 55 euros sur la base de l'indice de juin 2014 ; que pour l'avenir, il lui sera alloué un capital de 7. 966, 80 euros x 24, 528 =
195. 409, 67 euros soit au total la somme de 229, 454, 22 euros » (arrêt p. 12, al. 5 et 6) ;
1°) ALORS QUE l'indemnisation du préjudice de la victime au titre de sa perte de gains professionnels futurs pour la période postérieure à l'arrêt doit se faire en faisant application du prix de l'euro de rente applicable à l'âge de la victime au jour de l'arrêt ; que la Cour d'appel ayant décidé de faire application du barème de la Gazette du Palais publié en 2013 au taux d'intérêt de 2, 35 % pour la liquidation du préjudice, elle aurait dû évaluer le préjudice subi par Mme X... postérieurement au 9 octobre 2015, en appliquant le taux « 26, 179 » qui correspondait, ainsi qu'elle l'a constaté au prix de l'« euro de rente féminin viager à 42 ans » (arrêt p. 9, antépénultième alinéa) ; qu'en évaluant la perte de gains professionnels futurs subie par la victime postérieurement à l'arrêt sur la base d'un taux de conversion de 24, 528, la Cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 II du Code de la santé publique, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
2°) ALORS QU'après avoir jugé que le barème de la Gazette du Palais publié en 2013 au taux d'intérêt de 2, 35 % était applicable en l'espèce car « le mieux adapté aux données économiques actuelles » (arrêt p. 9, antépénultième alinéa), la Cour d'appel a fait application d'un taux de conversion de 24, 528 qui ne figure pas dans le barème de la Gazette du Palais publié en 2013 au taux d'intérêt de 2, 35 % ; que ce faisant, la Cour d'appel a entaché sa décision de contradiction et a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, en faisant application, pour l'évaluation du préjudice subi par la victime au titre de ses pertes de gains professionnels futurs, d'un taux de conversion de 24, 528 qui ne figure pas dans le barème de la Gazette du Palais publié en 2013 au taux d'intérêt de 2, 35 % qu'elle avait jugé applicable pour l'indemnisation des autres postes de préjudice de la victime, sans s'en expliquer, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité le montant de l'indemnisation allouée à Mme X... au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 6. 000 euros et de l'AVOIR déboutée du surplus de ses demandes :
AUX MOTIFS PROPRES QUE le projet de reprendre un commerce existant en y ajoutant une activité de tabac et de discothèque le week-end n'est pas suffisamment engagé, aucune décision concrète pour sa mise en oeuvre n'ayant été prise pour qu'une perte de chance de 90 % de percevoir une somme de 259. 263 euros puisse être retenue ; qu'il convient de confirmer la décision du Tribunal qui a évalué à 6. 000 euros la perte de chance de retrouver un emploi de caissière à mi-temps ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi en raison de la dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé imputable au dommage ou encore le préjudice subi qui a trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage subi au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap, la perte de chance de retrouver un emploi, les frais nécessaires à un retour à la vie professionnelle ; que Mme X... fait valoir qu'elle avait le projet, avant l'accident, de reprendre un commerce existant et d'y adjoindre une activité de tabac et de discothèque le week-end ; qu'elle fait ainsi valoir qu'elle aurait pu percevoir une somme de 259. 263 euros calculée sur la base du chiffre d'affaires de la société et d'une « croissance raisonnable de 20 % par an » ; que Mme X... prétend avoir perdu une chance – évaluée à 90 %- de percevoir cette somme de 259. 263 euros ; qu'elle sollicite la somme de 233. 351 euros ou à titre subsidiaire 239. 628 euros au titre de l'incidence professionnelle ; que toutefois force est de constater qu'il ne s'agissait là que d'un projet ; que Mme X... n'établit pas, en l'état du dossier, qu'elle aurait physiquement et financièrement pu le réaliser, surtout avec trois enfants à charge ; qu'en tenant compte de la seule perte de chance pour la demanderesse de retrouver un emploi équivalent à celui qu'elle exerçait jusqu'en 2000 (hôtesse de caisse à mi-temps), il y a lieu d'évaluer son préjudice du chef de l'incidence professionnelle à 6. 000 euros ;
1°) ALORS QUE le propre de la responsabilité est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en refusant de réparer le préjudice subi par Mme X... au titre de la perte de chance de mener à bien son projet de reprise et de développement d'un commerce dans son village, sans examiner les pièces qu'elle avait produit à l'appui de sa demande (attestation de Mme Y..., qui devait être sa partenaire dans le projet, attestation de la CCI établissant qu'elle avait suivi une formation de gestion d'entreprise, estimation faite par sa banque, la Caisse d'Epargne pour la reprise d'un bar restaurant, bilan du Bar l'Escadrille qu'elle devait reprendre), la Cour d'appel a entaché sa décision d'un vice de motivation, en violation des articles 455 du Code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
2°) ALORS QUE, en toute hypothèse, le préjudice subi au titre de l'incidence professionnelle par une femme qui exerçait la profession d'hôtesse de caisse à mi-temps avant l'accident qui lui a causé des dommages tels qu'elle ne pourra plus jamais travailler, ne peut se limiter à une perte de chance de retrouver un emploi d'hôtesse de caisse à mi-temps ; qu'en jugeant, après avoir constaté que « la possibilité relevée par l'expert de la reprise d'un travail apparaît illusoire compte tenu de [l'] impossibilité [de Mme X...] à rester immobile » (arrêt p. 12, al. 5), et l'ampleur des séquelles dont elle reste atteinte (arrêt p. 8, al. 2), que le préjudice subi par Mme X... au titre de l'incidence professionnelle est constitué par « la seule perte de chance pour la demanderesse de retrouver un emploi équivalent à celui qu'elle exerçait jusqu'en 2000 (hôtesse de caisse à mi-temps) » (jugement p. 13, al. 2), la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 1142-1 II du Code de la santé publique, ensemble le principe de la réparation intégrale.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme X... de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice esthétique temporaire ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'expert a retenu dans son premier rapport un préjudice esthétique de 5/ 7 qui a été indemnisé dans le cadre de l'accord transactionnel ; qu'il précise dans son deuxième rapport que le préjudice esthétique reste fixé à 5/ 7 ; qu'à aucun moment il ne retient de préjudice esthétique temporaire ; que c'est par une juste appréciation de ces éléments que le Tribunal a débouté Mme X... de sa demande à ce titre dès lors que le préjudice esthétique temporaire n'ouvre droit à une indemnisation qu'en cas de préjudice esthétique particulièrement caractérisé durant la période antérieure à la consolidation et supérieur au préjudice définitif et a constaté qu'elle n'avait pas présenté avant consolidation une altération particulièrement grave de son image, distincte de son préjudice esthétique lequel a été indemnisé selon protocole du 1er mai 2009 ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers ; que le préjudice esthétique temporaire n'ouvre droit à une indemnisation qu'en cas de préjudice esthétique particulièrement caractérisé durant la période antérieure à la consolidation ; que Mme X... sollicite une somme de 13. 000 euros à ce titre ; qu'elle n'établit pas avoir présenté avant la consolidation une altération particulièrement grave de son image, distincte du préjudice esthétique permanent, lequel a été indemnisé suivant protocole du 1er mai 2009 ;
ALORS QUE le préjudice esthétique temporaire est caractérisé dès lors que la victime a subi, avant la date de consolidation de ses blessures, des atteintes physiques, ou une altération de son apparence physique, aux conséquences personnelles préjudiciables, liées à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers ; qu'en affirmant que Mme X... ne pourrait prétendre à une indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire « qu'en cas de préjudice esthétique particulièrement caractérisé durant la période antérieure à la consolidation et supérieur au préjudice définitif » et « qu'elle n'avait pas présenté avant consolidation une altération particulièrement grave de son image, distincte de son préjudice esthétique lequel a été indemnisé selon protocole du 1er mai 2009 » (arrêt p. 13, al. 1er), la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 1142-1 II du Code de la santé publique, ensemble le principe de la réparation intégrale.