LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1351 du code civil, devenu l'article 1355 du code civil, et 3 du code de procédure pénale ;
Attendu que dès lors que le juge répressif n'a pas statué sur le fond de l'action publique, sa décision n'a pas au civil l'autorité de la chose jugée et la partie lésée peut porter son action devant la juridiction civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir déposé plainte contre Mme X... pour des détournements commis à son préjudice entre 2000 et 2009, M. Y... s'est constitué partie civile le 8 décembre 2010 à l'audience d'un tribunal correctionnel pour solliciter sa condamnation à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts; que par un arrêt du 27 mai 2014, la chambre correctionnelle d'une cour d'appel a, sur l'action publique, constaté que les faits antérieurs au mois d'octobre 2006 étaient prescrits, déclaré Mme X... coupable d'avoir, entre octobre 2006 et octobre 2009 détourné une certaine somme au préjudice de M. Y..., condamné Mme X... à une peine de prison assortie du sursis et a, sur l'action civile, condamné Mme X... à payer à M. Y... une certaine somme en réparation de ses préjudices matériel et moral ; que le 24 octobre 2011, M. Y... a assigné Mme X... devant un tribunal de grande instance et a formé les mêmes demandes indemnitaires que devant les juges répressifs ;
Attendu que pour déclarer irrecevable, en raison de l'autorité de la chose jugée, la demande d'indemnisation formée par M. Y... en réparation des détournements commis à son préjudice par Mme X... à compter de l'année 2000, la cour d'appel a retenu que cette demande était identique dans son objet, dans son fondement et dans son montant à celle qu'il avait présentée préalablement devant la juridiction répressive, qui avait donné lieu à une décision définitive ;
Qu'en statuant ainsi alors que la chambre correctionnelle de la cour d'appel avait constaté que les faits antérieurs au mois d'octobre 2006 étaient prescrits sur le plan pénal, ce dont il résultait qu'elle n'avait pu se prononcer sur l'action civile que relativement aux faits postérieurs à cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré les demandes formées par M. Y... à l'encontre de Mme X... irrecevables, l'arrêt rendu le 4 septembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ; la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour M. Y...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré les demandes formées par M. Jean-Daniel Y... à l'encontre de Mme Lucienne X... irrecevables ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
M. Jean-Daniel Y... a porté plainte contre Mme Lucienne X... le 9 octobre 2009 pour des détournements commis à son préjudice entre 2000 et octobre 2009 et s'est constitué partie civile à l'audience du tribunal correctionnel de Paris du 8 décembre 2010 à laquelle celle-ci avait été citée, réclamant sa condamnation à lui verser la somme de 1.757.099,76 euros en réparation de son préjudice financier, outre 50.000 euros en réparation de son préjudice moral ; que le tribunal correctionnel a ordonné un supplément d'information et que l'affaire a donné lieu à un jugement en date du 18 janvier 2012 constatant la prescription des faits antérieurs au mois d'octobre 2006 et condamnant Mme Lucienne X..., sur le plan pénal à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis, sur le plan civil au paiement de la somme de 261.835,27 euros en réparation du préjudice financier subi par M. Jean-Daniel Y... et d'une somme de 1 euro en réparation de son préjudice moral ;
Que Mme Lucienne X... a fait appel sur le plan pénal et sur le plan civil et que M. Jean-Daniel Y... a également fait appel des dispositions civiles ; que la cour, dans un premier arrêt du 25 février 2014, a confirmé que les faits antérieurs au 9 octobre 2006 étaient prescrits sur le plan pénal et, dans un second arrêt du 17 mai 2014, a condamné Mme Lucienne X..., sur le plan pénal, à trois mois d'emprisonnement assorti d'un sursis, sur le plan civil au paiement de la somme de 11.292,85 euros en réparation du préjudice financier subi par M. Jean-Daniel Y..., outre une somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Considérant que M. Jean-Daniel Y... a saisi le tribunal de grande instance de Paris le 24 octobre 2011 et réclamé la condamnation de Mme Lucienne X... à lui payer, en réparation des détournements effectués par elle depuis l'année 2000, la somme de 1.573.416,76 euros seule et celle de 183.683 euros in solidum avec la SCI X... qui en a été bénéficiaire, soit un total de 1.757.099,76 euros ;
Que force est de constater, comme l'a fait le tribunal, que M. Jean-Daniel Y... a ainsi présenté devant la juridiction civile une demande identique dans son objet, dans son fondement et dans son montant à celle qu'il avait présentée préalablement devant la juridiction répressive et qui a donné lieu, certes après l'enrôlement de son assignation mais avant l'examen de ses demandes par le tribunal de grande instance, à une décision du tribunal correctionnel ; qu'il importe peu qu'aujourd'hui, sa demande devant la cour ait été modifiée au regard des résultats de l'action civile qu'il avait portée devant les juridictions répressives, qu'en effet, en l'état d'une décision définitive intervenue devant ces juridictions, il est irrecevables à se retourner vers la voie civile pour obtenir une satisfaction plus ample par rapport à ce qui lui a été alloué par le juge pénal ;
Qu'il convient conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les demandes de M. Jean-Daniel Y... à l'encontre de Mme Lucienne X... irrecevables.
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE
« La défenderesse souligne que le dispositif des conclusions de partie civile développée devant la juridiction pénale par le demandeur à la présente instance est identique au dispositif de l'assignation qui a saisi le présent tribunal.
Les conclusions de partie civile de monsieur Y... devant la 13ème chambre du tribunal de grande instance de Paris sont en effet ainsi rédigées :
"Condamner madame Lucienne X... à payer à monsieur Jean-Daniel Y... :
- la somme de 1.757.099,76 € à titre d'indemnisation du préjudice financier subi par la victime
- la somme de 50.000 € à titre de dommages intérêts à titre de réparation de son préjudice moral
- la somme de 15.000 € au titre de l'article 475-1. »
"Condamner madame Lucienne X... à payer à monsieur Jean-Daniel Y... :
- la somme de 1.573.415,76 € à titre d'indemnisation du préjudice financier subi par la victime,
"Condamner solidairement la SCI X... et madame Lucienne X... à payer à monsieur Jean-Daniel Y... :
- la somme de 183.683 € à titre d'indemnisation du préjudice financier subi par la victime
- la somme de 50.000 € à titre de réparation de son préjudice moral
- la somme de 15.000 € au titre de l'article 475-1. »
L'identité de demande est manifeste.
Le fait d'avoir modifié la motivation dans la rédaction de ses dernières écritures est inopérant la saisine des deux juridictions ayant exactement la même finalité.
Or, monsieur Y... ne pouvait, avant même que le tribunal correctionnel n'ait statué sur ses demandes, et sans s'en désister, saisir le juge civil aux mêmes fins.
Il sera débouté de l'ensemble de ses demandes, tant celles dirigées à l'encontre de madame X... que celles dirigées à l'encontre de la SCI X... » ;
ALORS QUE lorsque le juge pénal a déclaré l'action publique atteinte par prescription, il n'a pas statué sur le fond et les prescriptions pénales et civiles étant indépendantes, sa décision n'a pas au civil l'autorité de la chose jugée de sorte que la partie lésée peut porter son action devant la juridiction civile ; qu'en l'espèce, les juges répressifs ont retenus que les faits commis par Mme X... antérieurement à octobre 2006 étaient prescrits, ce dont il résultait qu'il n'avait pas été statué au fond sur ces faits et que M. Jean-Daniel Y..., partie lésée, était recevable à porter son action de ce chef devant la juridiction civile ; qu'en retenant que la demande de M. Y... tendant à la réparation du préjudice qu'il avait subi du fait des détournements commis par Mme X... entre 1999 et octobre 2006 était irrecevable motif pris d'une identité de demande avec celle formée devant les juges répressifs ayant abouti à une décision définitive cependant que ces derniers s'étaient bornés à déclarer ces faits prescrits et partant n'avaient pas statué au fond, la cour d'appel a violé les articles 3, 4 et 5 du code de procédure pénale, ensembles l'article 1351 du code civil.