LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu les articles L. 624-9, L. 624-16 et L. 624-17 du code de commerce ;
Attendu qu'il résulte du deuxième de ces textes que l'existence en nature des biens fongibles pouvant être revendiqués dans la procédure collective de l'acquéreur s'apprécie au jour de l'ouverture de celle-ci ; que lorsque plusieurs vendeurs avec réserve de propriété revendiquent, dans le délai de trois mois prévu par le premier texte, les mêmes biens, ceux-ci doivent leur être restitués à proportion de la quantité livrée par chacun d'eux et restant impayée à la date de l'ouverture ; qu'il en résulte que, si l'administrateur judiciaire peut, conformément au troisième texte, acquiescer à de telles demandes de revendication, il ne peut procéder à la restitution des biens avant l'expiration du délai de revendication ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Transport Citra (la société débitrice) a fait l'objet, le 8 mars 2012, d'une procédure de sauvegarde avec désignation d'un administrateur ; que, le 4 avril 2012, la société Worex a revendiqué 32 001 litres de carburant qu'elle avait livrés à la société débitrice avec réserve de propriété sans être payée, ou leur contre-valeur ;
Attendu que pour accueillir cette demande dans la limite de 3 740 litres, l'arrêt, après avoir énoncé que l'administrateur peut acquiescer à une demande de revendication sans attendre l'expiration du délai de revendication, puis relevé qu'à la date de l'ouverture de la procédure collective, il restait dans les cuves de la société débitrice 80 000 litres de carburant, retient qu'après acquiescement, le 19 mars 2012, par l'administrateur, à une demande de revendication formée le 9 mars précédent par un autre fournisseur, la société DB Energies, et portant sur 65 000 litres, la revendication de la société Worex ne pouvait plus s'exercer que sur la différence, soit 15 000 litres, et que cette quantité devait être partagée proportionnellement aux montants de leurs créances respectives entre la société Worex et la société Stella, qui avaient présenté concomitamment une demande de revendication ;
Qu'en statuant ainsi, en privilégiant le revendiquant le plus diligent au détriment des autres fournisseurs ayant également présenté leurs demandes dans le délai légal, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Transports Citra et les sociétés Y...- X... et Z..., ces dernières en leur qualité respective de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde et de mandataire judiciaire de la société Transports Citra, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Worex
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Worex de sa demande tendant à voir ordonner la restitution des 80 000 litres de gazole qui se trouvaient en nature dans les stocks de la société Transports Citra au jour du jugement d'ouverture au prorata de sa créance de 44 664, 82 euros ou à défaut condamner la société Transports Citra et la SCP X..., ès qualité, à lui verser la somme correspondante,
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE : « Il s'évince des articles L. 624-9 et R. 624-13 du code de commerce que, saisi d'une demande en revendication, l'administrateur acquiesce dans le délai de trois mois visé à l'article L. 624-9 du code de commerce ; que pas plus n'est-il fait obligation au juge commissaire, saisi par le demandeur en revendication dans les conditions de l'article R. 624-13 du même code, de surseoir à statuer jusqu'à l'expiration de ce délai ; que c'est dans le respect de ses dispositions que l'administrateur a acquiescé à la demande de la société DB Energies que celle-ci lui a adressée le 9 mars 2012 pour un volume justifié de 65 000 litres de gazole et que le juge-commissaire, saisi postérieurement par les sociétés Worex et Stella, a réparti les 15 000 litres restants au prorata des créances respectives de ces deux sociétés en ordonnant la restitution à la société Worex de 3 740 litres ou le payement de leur contre-valeur au jour de la dernière livraison » ;
ALORS, d'une part, QUE chaque propriétaire peut, dans un délai de trois mois à compter de la publication du jugement d'ouverture, revendiquer les biens fongibles qu'il a vendus sous réserve de propriété, sans qu'une première demande en revendication portant sur des biens de même nature et de même qualité ne puisse y faire obstacle ; qu'en cas de concours entre propriétaires revendiquant des choses fongibles de même nature et de même qualité, les marchandises doivent être restituées au marc-le-franc ; qu'en retenant que l'administrateur avait déjà acquiescé à la demande de revendication de gazole formulée par la société DB Energies à hauteur de 65 000 litres, pour décider que la société Worex ne pouvait plus prétendre qu'à la restitution de 3 740 litres, quand la première demande en revendication ne pouvait faire obstacle à la demande en revendication de la société Worex au prorata de sa créance, la cour d'appel a violé les articles L. 624-9 et R. 624-13 du code de commerce, dans leur rédactions applicable à la cause ;
ALORS, d'autre part, QUE l'administrateur judiciaire, à qui il incombe d'assurer la protection et la conservation des biens du débiteur afin de permettre l'exercice effectif des droits des revendiquants, ne peut procéder ou faire procéder à la restitution des biens fongibles régulièrement revendiqués qu'après l'expiration du délai pour former une telle demande ou avoir pris les mesures propres à offrir à l'ensemble des créanciers une répartition au prorata de leurs créances respectives ; qu'en retenant que l'administrateur avait, à juste titre, acquiescé à la demande de revendication de gazole formulée par la société DB Energies à hauteur de 65 000 litres, sans avoir à attendre l'expiration du délai de trois mois, quand il résultait, au contraire, de ces mêmes constatations que M. X... n'avait pas pris les mesures nécessaire pour assurer l'exercice effectif des droits des revendiquants, la cour d'appel a violé les articles L. 624-9 et R. 624-13 du code de commerce, dans leur rédactions applicable à la cause.