LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2014), qu'à la suite d'une réquisition judiciaire reçue le 17 juillet 2009 visant des faits d'usurpation d'identité, la société Generali vie a découvert que des contrats d'assurance-vie avaient, par l'intermédiaire de son logiciel de gestion, fait l'objet de rachats, sans demande en ce sens des titulaires des contrats et sans transmission par ceux-ci des coordonnées bancaires des titulaires des comptes qui avaient bénéficié des virements frauduleux ; que la société Generali vie a porté au crédit des comptes de deux clients les sommes qui, sous le couvert d'un rachat partiel, avaient été virées le 3 mars 2009 et le 28 avril 2009 sur un compte ouvert au nom de la société Serbat dans les livres de la société Banque BCP (la banque) ; que reprochant à la banque d'avoir exécuté les ordres de virement en dépit d'un défaut de concordance entre la désignation des bénéficiaires et l'identité du titulaire du compte qui avait reçu les fonds, la société Generali vie l'a assignée en remboursement des sommes versées à ses clients ;
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société Generali vie alors, selon le moyen :
1°/ que la banque réceptionnaire d'un ordre de virement automatisé n'est responsable que de l'exécution de l'ordre de paiement conformément à l'identifiant unique du bénéficiaire fourni par le donneur d'ordre, même en cas d'informations complémentaires fournies par ce dernier ; qu'en considérant, pour retenir l'existence d'une faute à la charge de la banque, engageant sa responsabilité à l'égard de la société Generali vie, qu'il lui appartenait de vérifier l'identité du bénéficiaire de chacun des deux ordres de virement électroniques et sa concordance avec le numéro de compte communiqué par la banque émettrice, quand il n'était pas contesté qu'elle avait exécuté les ordres de virement conformément à l'identifiant unique fourni par le donneur d'ordre, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, tel qu'interprété à la lumière de l'article 74 de la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 ;
2°/ que la fraude dont est victime le donneur d'ordre ne suffit pas à exclure sa responsabilité civile ; qu'en jugeant que la fraude dont la société Generali vie a été victime ne suffit pas à caractériser un défaut des systèmes de sécurité de l'assurance, sans rechercher, comme il lui était demandé, s'il ne résultait de la répétition des ordres de rachat partiel et des ordres de virement à trois reprises le 3 mars 2009, le 30 avril 2009 et en août 2009, ainsi que de la faculté, offerte par le système de gestion informatique, de procéder à un rachat de contrat d'assurance vie sans autre vérification que l'identifiant et le mot de passe d'un employé et d'annuler toute trace de l'opération postérieurement au transfert des fonds, de graves défaillances dans les procédures de contrôle interne constitutives d'une négligence et d'une imprudence fautives de la part d'une société d'assurance de la taille de la société Generali vie gérant les avoirs d'un grand nombre de clients, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la banque réceptionnaire d'un ordre de virement, même électronique, ne peut se borner, avant d'en affecter le montant au profit d'un de ses clients, à un traitement automatique sur son seul numéro de compte, sans procéder à une vérification du nom du bénéficiaire, dès lors qu'il est inclus dans les enregistrements reçus du donneur d'ordre, et qu'il n'a pas été exclu de tout contrôle avec l'assentiment de ce dernier ; que l'arrêt relève que les deux ordres de virement interbancaires litigieux, exécutés par la banque, comportent toutes les indications utiles sur l'identité du donneur d'ordre, son numéro de compte ouvert dans les livres de la banque émettrice, l'identité du bénéficiaire du virement et le numéro de son compte ouvert dans les livres de la banque destinataire ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'interpréter l'article 1382 du code civil à la lumière de l'article 74 de la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 sur les services de paiement dès lors que le délai imparti aux Etats membres pour assurer sa transposition n'était pas expiré, a exactement déduit que la banque avait commis une faute en s'abstenant de procéder à la vérification de la concordance entre le nom du bénéficiaire du virement et le nom du titulaire du compte, qui lui aurait permis de constater que la société Serbat, titulaire du compte ouvert dans ses livres recevant les fonds, n'était pas le bénéficiaire des ordres de paiement ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu qu'il n'était pas démontré que les rachats détournés des contrats avaient été réalisés par des salariés de la société Generali vie, laquelle avait été victime d'une fraude, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur probante des éléments produits par les parties que la cour d'appel a estimé que la société Generali vie n'avait pas commis de faute à l'origine de son préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Banque BCP aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Generali vie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Banque BCP
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la Banque BCP à verser la somme de 672 879 euros à la société Generali vie avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2010 jusqu'à parfait paiement ;
AUX MOTIFS QUE la banque, qui reçoit un ordre de virement électronique, doit vérifier l'identité du bénéficiaire et la concordance avec le numéro de compte qui lui est communiqué par la banque émettrice ; qu'elle ne peut pas se borner à traiter automatiquement cet ordre pour en affecter le montant sur le compte de l'un de ses clients sans procéder aux contrôles d'usage sur l'identité du bénéficiaire du virement, dès lors qu'elle est incluse dans les enregistrements reçus du donneur d'ordre et qu'elle n'a pas été exclue de tout contrôle avec l'assentiment de ce dernier ; qu'il est prouvé par les deux ordres de virement interbancaires produits que la Société Générale a communiqué à la Banque BCP toutes les indications utiles comprenant l'identité du donneur d'ordre, son numéro de compte ouvert dans les livres de la banque émettrice, l'identité du destinataire du virement et le numéro de son compte ouvert dans les livres de la banque destinataire ; que la Banque BCP ne peut pas contester avoir reçu ces deux ordres de paiement qui sont ceux qu'elle a exécutés ; que les deux attestations de la Société Générale en date du 23 mars 2010 sont ainsi surabondantes ; que la Banque BCP ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article 74 de la directive 2007/64/CE, laquelle n'était pas d'application immédiate et a été transposée en droit français à l'article L. 133-21 du code monétaire et financier par l'ordonnance du 15 juillet 2009, entré en application le 1er novembre 2009 postérieurement à l'exécution des deux ordres de virements litigieux ; que la Banque BCP a ainsi commis une faute en s'abstenant de procéder à la vérification de la concordance entre le nom du bénéficiaire du virement et le nom du titulaire du compte référencé pour chacun des ordres de virement ; qu'elle est la seule qui pouvait y procéder en sa qualité de teneur du compte du bénéficiaire ; que cette vérification lui aurait permis de constater que la société Serbat, qui est le titulaire du compte ouvert dans ses livres recevant les fonds, n'était pas le bénéficiaire des ordres de paiement, s'agissant de M. Emile X... pour l'un et de Mme Patricia Y... pour l'autre ; que, sans la faute de la Banque BCP, les deux virements litigieux n'auraient pas pu être crédités sur le compte de la société Serbat ; que c'est par sa faute que les fonds ont été versés sur le compte de cette société apparemment créée pour les besoins de ces opérations ; que la société Generali vie a été victime d'une fraude ; que cette fraude ne suffit pas à caractériser un défaut des systèmes de sécurité de l'assurance ; qu'il n'est pas démontré que les détournements opérés ont été réalisés par des salariés de la compagnie d'assurance, ce qui exclut toute responsabilité du préposé du fait de ses employés ; qu'il n'y a pas de faute prouvée du donneur d'ordre de nature à engager sa responsabilité ; qu'il est établi que la société Generali vie n'a pu découvrir l'existence de la fraude qu'à la suite d'une réquisition judiciaire du 17 juillet 2009 l'ayant conduite à mener des investigations internes poussées, ce qui exclut qu'elle ait pu alerter la banque BCP immédiatement ; qu'en l'absence de faute de la société Generali vie, la Banque BCP doit l'indemniser du dommage qu'elle lui a fait subir sans pouvoir lui opposer une quelconque compensation ; que la banque BCP doit, en conséquence, être condamnée à payer à la société Generali vie la somme de 672 879 euros en réparation de son préjudice avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 23 septembre 2010 ;
ALORS D'UNE PART QUE la banque réceptionnaire d'un ordre de virement automatisé n'est responsable que de l'exécution de l'ordre de paiement conformément à l'identifiant unique du bénéficiaire fourni par le donneur d'ordre, même en cas d'informations complémentaires fournies par ce dernier ; qu'en considérant, pour retenir l'existence d'une faute à la charge de la banque BCP, engageant sa responsabilité à l'égard de la société Generali vie, qu'il lui appartenait de vérifier l'identité du bénéficiaire de chacun des deux ordres de virement électroniques et sa concordance avec le numéro de compte communiqué par la banque émettrice, quand il n'était pas contesté qu'elle avait exécuté les ordres de virement conformément à l'identifiant unique fourni par le donneur d'ordre, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, tel qu'interprété à la lumière de l'article 74 de la directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007 ;
ALORS D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT QUE la fraude dont est victime le donneur d'ordre ne suffit pas à exclure sa responsabilité civile ; qu'en jugeant que la fraude dont la société Generali vie a été victime ne suffit pas à caractériser un défaut des systèmes de sécurité de l'assurance, sans rechercher, comme il lui était demandé, s'il ne résultait de la répétition des ordres de rachat partiel et des ordres de virement à trois reprises le 3 mars 2009, le 30 avril 2009 et en août 2009, ainsi que de la faculté, offerte par le système de gestion informatique, de procéder à un rachat de contrat d'assurance vie sans autre vérification que l'identifiant et le mot de passe d'un employé et d'annuler toute trace de l'opération postérieurement au transfert des fonds, de graves défaillances dans les procédures de contrôle interne constitutives d'une négligence et d'une imprudence fautives de la part d'une société d'assurance de la taille de la société Generali vie gérant les avoirs d'un grand nombre de clients, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil.