LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 461-6 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu qu'il résulte de ce texte qu'en cas de décès du preneur, son conjoint, ses ascendants et descendants, ayant participé à l'exploitation pendant au moins un an au cours des cinq années qui ont précédé le décès, bénéficient du bail en cours et que le bailleur dispose de la faculté de le résilier, dans les six mois du décès du preneur ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 21 novembre 2014), que, par actes du 2 décembre 1985, la Société sucrière de Beaufonds, aux droits de laquelle vient la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de La Réunion (SAFER), bénéficiaire d'un bail emphytéotique, a consenti à Jean-Marc X... un bail à colonat partiaire sur la parcelle BD 28 a et b, ultérieurement converti en bail à ferme ; qu'à la suite du décès de Jean-Marc X..., le 9 juin 2001, Mme Y..., son épouse, a poursuivi l'exploitation ; que, la SAFER ayant repris possession de la parcelle en juillet 2006, Mme Y... a saisi le tribunal paritaire en résiliation fautive et indemnisation de son éviction ;
Attendu que, pour rejeter ses demandes, l'arrêt retient que la reprise des biens loués n'est pas fautive dès lors qu'à la suite du décès de Jean-Marc X..., aucune demande tendant à bénéficier du bail en cours n'a été adressée par sa veuve au bailleur ou à la SAFER, gestionnaire des terres ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune disposition n'impose au conjoint survivant de former une demande tendant à la poursuite du bail, la cour d'appel, qui a ajouté au texte susvisé une condition qu'il ne prévoit pas, l'a violé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée ;
Condamne la SAFER de La Réunion aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SAFER de La Réunion et la condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delaporte et Briard, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme Marie-Clarisse Y... veuve X... de l'ensemble de ses prétentions visant à être indemnisée de son expulsion forcée sans droit ni titre des baux conclus avec son époux décédé M. Jean-Marc X..., dont elle avait poursuivi l'exploitation ;
Aux motifs, propres, que « il résulte de l'article L.461-6 du code rural qu'en cas de décès du preneur, son conjoint, ses ascendants et ses descendants qui participent à l'exploitation ou qui y ont participé effectivement de façon continue pendant au moins un an au cours des cinq années qui ont précédé le décès, bénéficient conjointement du bail en cours (…) ; que concernant la parcelle BD 28 a et b, s'il n'est pas contesté que Mme Marie-Clarisse Y... veuve X..., a repris une partie de l'exploitation de M. X... Jean-Marc, postérieurement à son décès, elle ne rapporte pas la preuve de sa participation à l'exploitation du vivant de son époux, pendant une durée minimum d'une année au cours des cinq années qui ont précédé le décès, comme l'exigent les dispositions susvisées du code rural ; qu'il découle des registres de livraisons produits par la SAFER que des cannes à sucre ont été livrées à l'usine de Boisrouge entre 2001 et fin 2003, date de la dernière livraison de cannes, et il est donc constant que la demanderesse avait cessé toute exploitation lorsque la SAFER a repris les parcelles en cause ; qu'à la suite du décès de M. X... Jean-Marc, aucune demande tendant à bénéficier du bail en cours n'a été adressée par Mme veuve X... au bailleur ou à la SAFER, en qualité de gestionnaire des terres ; que les pièces versées aux débats par l'appelante sont trois attestations à la rédaction stéréotypées, reprises à l'identique dans ces trois témoignages, dont il ne ressort pas suffisamment que l'intéressée participait effectivement à l'exploitation de son mari, de façon continue, pendant au moins un an au cours des cinq années qui ont précédé son décès, dans les conditions posées par l'article L. 461-6 du code rural » ;
Et aux motifs, adoptés, que « concernant la parcelle BD 28 a et b, si la qualité alléguée par Marie-Clarisse Y... veuve X... n'est pas remise en cause par la SAFER, bien qu'elle ne soit aucune justifiée, il convient de retenir qu'elle s'abstient de produire le moindre justificatif de nature à établir sa participation à l'exploitation agricole menée par le bailleur de son vivant ; que l'établissement d'une activité agricole de 2001 à 2003, à la supposer concerner exclusivement la parcelle BD 28 a et b, ne saurait permettre de satisfaire à l'exigence légale d'un comportement positif antérieur au décès de l'exploitant ; qu'en conséquence, au vu des seuls éléments produits par Marie-Clarisse Y... veuve X..., il convient de la débouter de l'ensemble de ses prétentions » ;
Alors, d'une part, qu'il résulte de l'article L.461-6 du code rural qu'en cas de décès du preneur, le bailleur a la faculté de demander la résiliation du bail dans les six mois du décès du preneur, lorsque celui-ci ne laisse pas de conjoint ou d'ayants-droit réunissant les conditions énoncées au premier alinéa du présent article ; que ce délai laissé au bailleur est un délai de forclusion entraînant la déchéance du droit non exercé en temps utile ; qu'en constatant que Mme X... avait repris une partie de l'exploitation de son époux, M. X... Jean-Marc, postérieurement à son décès, qu'elle avait livré à ce titre des cannes à sucre entre 2001, année du décès, et fin 2003, date de la dernière livraison de cannes avant l'expulsion, et en décidant néanmoins que la SAFER était fondée à résilier le bail et à procéder à cette expulsion, quand, faute d'avoir mis en oeuvre la résiliation dans le délai imparti de six mois suivant le décès de M. X... le 9 juin 2001, la SAFER était déchue de ce droit non exercé en temps utile et ne pouvait mettre fin unilatéralement au bail sur ce fondement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 461-6 du code rural ;
Alors, d'autre part, subsidiairement, qu'aux termes de l'article L.461-6 du code rural, aucune formalité n'est imposée au conjoint du preneur décédé qui entend poursuivre le bail conclu par le défunt et continuer l'exploitation ; qu'en retenant que la résiliation sans forme du bail et la reprise des parcelles litigieuses par la SAFER n'avait pas été fautive, au motif que Mme X... n'avait pas demandé à bénéficier de la reprise du bail de son conjoint décédé, quand l'article L.461-6 n'imposait pas une telle démarche à Mme X... pour bénéficier d'une reprise effective, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à l'article L. 461-6 du code rural, a violé cette disposition ;
Alors, en tout état de cause, qu'en considérant que Mme X... avait cessé toute exploitation lorsque la SAFER avait repris les parcelles en cause, sans rechercher si cette reprise au début de l'année 2004 était indépendante d'une cessation d'exploitation, dès lors que la campagne 2003 s'était achevée et que la culture pour la campagne 2004 n'avait pas encore commencé, ce qui expliquait cette interruption temporaire d'activité sur les terres en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 461-6 du code rural.