LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juin 2015), qu'à la suite de la conclusion d'un marché à forfait avec la société Gaz de France, auquel s'est substituée sa filiale la société Storengy comme maître de l'ouvrage, pour la conception, la construction et la mise en service d'un contenant de stockage souterrain de gaz, les sociétés Entrepose Contracting et Entrepose projets (les sociétés Entrepose) ont saisi un tribunal de commerce d'une demande en paiement dirigée contre la société Storengy ; qu'une expertise, confiée à M. X..., a été ordonnée avant dire droit, entre les parties ; que l'expertise ayant été étendue, par une ordonnance du juge des référés de ce tribunal, aux sociétés Geostock et Gtie Infi, sous-traitantes des sociétés Entrepose, la société Gtie Infi a saisi le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal de commerce afin d'obtenir le remplacement de M. X... ; qu'elle a interjeté appel de l'ordonnance la déboutant de cette demande ;
Attendu que la société Gtie Infi fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de récusation à l'encontre de M. X..., expert, alors, selon le moyen :
1°/ que l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire s'apprécie objectivement ; que l'arrêt attaqué relève que l'expert, M. X..., était salarié de la société Egis et que cette dernière entretenait notoirement des relations avec le groupe GDF-Suez, auquel appartient Storengy, partie au litige, ce dont il résultait des éléments objectifs de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité de l'expert ; qu'en rejetant pourtant la demande de récusation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et les articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
2°/ que la seule circonstance qu'un expert soit cadre dirigeant d'une société qui entretient des relations avec une des parties fait objectivement naître un doute sur son impartialité, indépendamment de l'implication personnelle de l'expert dans les relations en cause ; qu'en se bornant à relever que l'expert réalisait sa mission à titre personnel et non comme salarié d'Egis et qu'un conflit d'intérêt n'aurait été caractérisé que si M. X... avait réalisé des missions pour le groupe Egis directement avec les sociétés parties au litige, sans rechercher si la seule circonstance, invoquée par la société Actemium, que M. X... soit directeur technique de la société Egis n'était pas de nature à faire naître un doute sur son impartialité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
3°/ que l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire doit s'apprécier objectivement, indépendamment de la conduite personnelle de l'expert ; qu'en relevant que l'expert avait respecté le principe du contradictoire, qu'il s'était engagé par serment à respecter les règles de déontologie de sa profession, qu'aucun élément ne permettait d'établir qu'il avait effectué ses opérations de façon partiale et qu'à l'avenir il serait particulièrement surveillé par les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
4°/ qu'est toujours recevable à agir en récusation d'un expert la partie appelée en la cause après le commencement des opérations d'expertise ; que la cour d'appel a admis que la société Actemium, tardivement intervenue aux opérations d'expertise, pouvait demander la récusation de l'expert ; qu'en se fondant pourtant, pour écarter cette demande, sur la circonstance inopérante à l'égard de la société Actemium que l'expert avait signalé son appartenance au groupe Egis lors des premières réunions d'expertise et que les relations entre Egis et GDF-Suez était connues de toutes les parties alors présentes, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 234 du code de procédure civile ;
5°/ que l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire se définit comme l'absence de préjugé ou de parti pris à l'égard des parties ; que la circonstance que l'expert ait des liens avec les deux parties au litige n'a pas pour effet de le rendre impartial et renforce, au contraire, les doutes qui peuvent naître quant à son impartialité ; qu'en relevant, pour rejeter la demande en récusation, qu'Egis avait également des relations avec le groupe Vinci auquel la société Actemium appartient, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
6°/ que l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire ne peut être écartée pour des motifs d'opportunité tirés des difficultés à trouver un expert indépendant et des problèmes qui résulteraient du remplacement de l'expert désigné ; qu'en relevant qu'il est difficile de trouver, dans la matière en cause, un expert qui n'ait pas de relations avec les parties et que sept réunions de travail ont déjà eu lieu, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'impartialité de l'expert, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
7°/ que l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire ne peut être écartée aux motifs que les conclusions du rapport d'expertise peuvent être contestées devant le juge ; qu'en retenant que, à la suite du dépôt du rapport d'expertise les parties auront tout le loisir d'en discuter tant les conclusions que les développements, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser l'impartialité de l'expert, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, retenu que l'expert judiciaire réalisait sa mission à titre personnel et non comme salarié d'Egis, qu'il n'existait aucun élément permettant à ce jour d'établir que l'expert avait effectué ses opérations de façon partiale et que ni une situation de conflit d'intérêts ni un risque inhérent n'étaient caractérisés, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a écarté la demande de récusation formée par la société Gtie Infi ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Gtie Infi aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Gtie Infi ; la condamne à payer à la société Storengy la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Gtie Infi.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de récusation formée par la société Actemium à l'encontre de M. X..., expert ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE plusieurs échanges ont été effectués avant le démarrage des opérations d'expertises par lesquels l'expert a fait état de certains liens qu'il avait entretenus avec certaines parties ou des personnes proches, courriers sur le détail desquels il n'y a pas lieu de revenir ; que les parties ont accepté que la mission lui soit confiée dans ces conditions ; que notamment l'expert avait signalé, ainsi que le souligne le premier juge, son appartenance au groupe Egis ; que le premier juge relève également que le groupe Gtie Infi (Actemium) entretient des relations avec le groupe Vinci, de la même façon que Vinci et Gti ; que la société Storengy cite dans ses écritures une longue liste d'opérations communes non contestées ; qu'il est reproché à l'expert de ne pas avoir indiqué que Egis entretenait des liens avec Gdf-Suez, ce qui constituerait une découverte récente ; que les appelantes reprochent à ce sujet à l'expert d'avoir fait preuve de « perfidie » ; que, cependant, ainsi que le relève le premier juge, les relations entre Egis, dont l'expert est le salarié, et Gdf-Suez étaient connues, notamment pour des entreprises de ce secteur qui ne sauraient sérieusement s'ignorer ; que si d'ailleurs, comme le soulignent les sociétés Entrepose, il appartient à l'expert de signaler les liens qui peuvent l'unir à des parties, une telle exigence n'a pas de sens dans un milieu dans lequel les parties se connaissent toutes ; qu'il ne peut y avoir « perfidie » à ne pas signaler à son interlocuteur un élément dont il a connaissance ; qu'à ce sujet la société Storengy produit une liste d'opérations de travaux publics auxquelles ces sociétés participent toutes trois, de sorte qu'il n'est pas sérieux de soutenir la découverte fortuite de liens entre elles ; que, par ailleurs, la Cour observe que l'appelante ne suggère aucun autre nom d'expert ; qu'il convient d'en déduire qu'il est difficile de choisir un expert spécialiste acceptant d'effectuer des expertises pour des travaux de ce genre sans qu'il ait eu des relations avec les rares entreprises capables d'effectuer des travaux de cette nature ; qu'il ne s'ensuit pas pour autant que ces experts travaillent de façon partiale ; que la Cour observe par ailleurs que les opérations de l'expert sont avancées ; que sept réunions de travail ont déjà eu lieu, dont une sur place ; que les parties, suite au dépôt du rapport d'expertise, auront tout loisir de contester, d'en discuter tant les conclusions que les développements, et de s'appuyer sur tous rapports d'expertise qu'elles pourraient faire diligenter de leur côté pour discuter la pertinence des conclusions de l'expert judiciaire désigné ; qu'enfin, il n'est établi aucun élément permettant à ce jour d'établir que l'expert a effectué ses opérations de façon partiale ; que le seul fait que l'expert ait adressé au juge, qui n'est pas partie aux débats, un courrier ne constitue pas un acte contraire à sa déontologie, étant observé au surplus que ce courrier a été diffusé aux partie ; que l'expert ne peut désormais ignorer, compte tenu de la tension que révèle la présente procédure, que pour l'avenir il sera particulièrement surveillé dans ses opérations, par les parties, leurs conseils et assistants techniques de sorte qu'il est difficile de suspecter qu'il puisse mener ses opérations de façon arbitraire ; que l'expert est engagé par son serment ; qu'enfin la cour ne saurait admettre qu'une partie, s'apercevant que l'expertise tourne à sa confusion, cherche par l'intermédiaire d'un sous-traitant récemment intervenu aux opérations d'expertise, à obtenir le remplacement de l'expert qui a jusqu'à présent correctement mené ses opérations ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE l'expert lors de la première réunion d'expertise avait bien évoqué son appartenance au groupe Egis et demandé aux parties de lui dire si cette appartenance posait une difficulté et que ni Entrepose ni Storengy n'ont émis des doutes sur les risques de conflits d'intérêts potentiels ; que les relations entre Egis et Gdf-Suez ne peuvent pas être qualifiés de cachées, les débats ayant montré que ces informations figurent dans les médias et les sites internet ; qu'Egis a aussi des relations avec le groupe Vinci auquel Gtie Infi et aussi Entrepose appartiennent ; que les opérations expertales sont engagées depuis plusieurs mois et 7 réunions ont été réalisées ; que les faits montrent que le contradictoire a bien été respecté du fait qu'un représentant de Gtie Infi était présent aux réunions avant même la décision de la deuxième expertise et que même si certaines parties ont pu prétendre ne pas avoir été informées de certaines réunions cela peut être dû à la procédure atypique mise en place pour attraire Gtie Infi et Entrepose ; que l'expert ayant fait une note favorable pour attraire ces sociétés, sauf mauvaise foi de sa part qui n'est pas prouvée, ne pouvait pas volontairement mettre à l'écart ces deux nouveaux intervenants ; que si ces dernières l'ont crues cela ne peut être qu'une maladresse excusable compte tenu du contexte ; que compte tenu de l'importance des groupes concernés par cette expertise dans le secteur du BTP, il est inévitable que le groupe Egis ait eu des relations d'affaires avec chacune des parties ; que pour caractériser la réalité positive d'un conflit d'intérêt, M. X... aurait dû travailler ou réaliser des missions directement avec les sociétés concernées, ce que les débats n'ont pas fait ressortir ; que M. X... étant agréé par la cour d'appel de Paris, il s'est engagé par son serment à respecter les règles de déontologie de la profession et qu'il réalise sa mission à titre personnel et non comme salarié d'Egis ; qu'en conséquence, ni la situation de conflit d'intérêts ni le risque inhérent en sont caractérisés d'autant que les parties déclarent n'avoir aucun reproche à faire à l'expert dans le déroulement technique de l'expertise ; que pendant la suite de l'expertise les parties pourront toujours exercer leur pouvoir de contradiction ;
1°) ALORS QUE l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire s'apprécie objectivement ; que l'arrêt attaqué relève que l'expert, M. X..., était salarié de la société Egis et que cette dernière entretenait notoirement des relations avec le groupe Gdf-Suez, auquel appartient Storengy, partie au litige, ce dont il résultait des éléments objectifs de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité de l'expert ; qu'en rejetant pourtant la demande de récusation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et les articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, la seule circonstance qu'un expert soit cadre dirigeant d'une société qui entretient des relations avec une des parties fait objectivement naître un doute sur son impartialité, indépendamment de l'implication personnelle de l'expert dans les relations en cause ; qu'en se bornant à relever que l'expert réalisait sa mission à titre personnel et non comme salarié d'Egis et qu'un conflit d'intérêt n'aurait été caractérisé que si M. X... avait réalisé des missions pour le groupe Egis directement avec les sociétés parties au litige, sans rechercher si la seule circonstance, invoquée par la société Actemium (conclusions, p. 12), que M. X... soit directeur technique de la société Egis n'était pas de nature à faire naître un doute sur son impartialité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire doit s'apprécier objectivement, indépendamment de la conduite personnelle de l'expert ; qu'en relevant que l'expert avait respecté le principe du contradictoire, qu'il s'était engagé par serment à respecter les règles de déontologie de sa profession, qu'aucun élément ne permettait d'établir qu'il avait effectué ses opérations de façon partiale et qu'à l'avenir il serait particulièrement surveillé par les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'est toujours recevable à agir en récusation d'un expert la partie appelée en la cause après le commencement des opérations d'expertise ; que la cour d'appel a admis que la société Actemium, tardivement intervenue aux opérations d'expertise, pouvait demander la récusation de l'expert (arrêt p. 4-5) ; qu'en se fondant pourtant, pour écarter cette demande, sur la circonstance inopérante à l'égard de la société Actemium que l'expert avait signalé son appartenance au groupe Egis lors des premières réunions d'expertise et que les relations entre Egis et Gdf-Suez était connues de toutes les parties alors présentes, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 234 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire se définit comme l'absence de préjugé ou de parti pris à l'égard des parties ; que la circonstance que l'expert ait des liens avec les deux parties au litige n'a pas pour effet de le rendre impartial et renforce, au contraire, les doutes qui peuvent naître quant à son impartialité ; qu'en relevant, pour rejeter la demande en récusation, qu'Egis avait également des relations avec le groupe Vinci auquel la société Actemium appartient, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QUE l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire ne peut être écartée pour des motifs d'opportunité tirés des difficultés à trouver un expert indépendant et des problèmes qui résulteraient du remplacement de l'expert désigné ; qu'en relevant qu'il est difficile de trouver, dans la matière en cause, un expert qui n'ait pas de relations avec les parties et que sept réunions de travail ont déjà eu lieu, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'impartialité de l'expert, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile ;
7°) ALORS QUE l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire ne peut être écartée aux motifs que les conclusions du rapport d'expertise peuvent être contestées devant le juge ; qu'en retenant que, à la suite du dépôt du rapport d'expertise les parties auront tout le loisir d'en discuter tant les conclusions que les développements, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser l'impartialité de l'expert, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des articles 234 et 341 du code de procédure civile.