LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Julien X... est décédé le 23 décembre 2001, laissant pour lui succéder ses fils, MM. Igor et Julien X..., ainsi que sa petite fille, Mme Caroline Y..., venant à la succession par représentation de sa mère, Chantal X..., décédée le 25 novembre 1989 ; que, de son vivant, Julien X... avait consenti à ses trois enfants, les 30 juin 1986, 23 avril 1987 et 17 avril 1989, trois donations-partage et, par acte du 10 mai 1991, à ses deux fils, deux donations en avancement d'hoirie ; que, par testament olographe du 23 mai 1991, il avait légué à titre particulier divers biens immobiliers à ces derniers ; qu'un jugement du 3 février 2006 a ordonné le partage de la succession et désigné un notaire, lequel a dressé le 30 septembre 2010 un procès-verbal de difficultés ; que, par acte du 23 janvier 2013, Mme Y..., assistée de son curateur, M. César Y..., a assigné MM. Julien et Igor X... en demandant la réintégration, dans la masse des biens existants, et l'évaluation, au jour de l'ouverture de la succession, des droits et biens immobiliers dont MM. Julien et Igor X... avaient été allotis en vertu de l'acte de donation-partage du 30 juin 1986, la désignation d'un expert pour évaluer ces biens et qu'il soit dit que, pour le calcul de la réserve, le notaire commis devra réintégrer dans l'actif successoral le montant de ces droits et biens immobiliers évalués au jour de l'ouverture de la succession ; qu'en cours d'instance, elle a formé une demande additionnelle tendant à ce qu'il soit jugé qu'elle était bien fondée à voir reconstituer l'intégralité de ses droits à réserve par prélèvement sur les biens existant au jour du décès et, si besoin, par réduction des legs, donations en avancement d'hoirie et donations-partage antérieurement consenties ;
Attendu que, pour déclarer ces demandes irrecevables, l'arrêt retient que l'action de Mme Y..., qui soutient que son lot serait inférieur à sa part de réserve uniquement en raison de l'absence de versement de la somme prévue à l'acte de donation-partage du 30 juin 1986, doit être qualifiée en réduction portant sur cet acte, de sorte qu'en application de l'article 1077-2 ancien du code civil, elle aurait dû être introduite dans le délai de prescription de cinq ans ayant suivi le décès de Julien X... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans leurs conclusions, Mme Y... et son curateur ne se bornaient pas à demander la réduction de la donation-partage, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne MM. Julien et Igor X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour Mme Y... et M. Y..., ès qualités
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable car prescrite l'action de Mme Caroline Y... assistée de son curateur M. César Y... ;
Aux motifs que « aux termes de l'acte notarié de donation partage du 30 juin 1986 de Julien X... à ses trois enfants, le donateur et les donataires étant présents à cet acte, le partage a été établi de la manière suivante : à Mme Chantal X... – l'article I de la masse à partager: une somme d'argent d'un montant de 1 025 francs – l'article V de la masse à partager : la nue-propriété de trois box évaluée à 108 000 francs, à M. Julien X... – l'article II de la masse à partager: la propriété d'une maison sise à Arcueil, 1 rue Emile Bougeard et à Gentilly, 1 et 1bis rue Boulineau évaluée à 1 025410 francs – I'article VII de la masse à partager: la nue-propriété de trois box évaluée à 108 000 francs, à M. Igor X... – l'article III de la masse à partager : la propriété d'un terrain nu sis à Arcueil, rue Emile Bougeard et à Gentilly 1 bis, rue Boulineau évalué à 544 000 francs – l'article IV de la masse à partager: la nue-propriété de deux appartements sis à Gentilly, immeuble 49 à 53 rue d'Arcueil , 15 rue Frayse , 2, 2bis, 4, 6, 8, et 10 rue Emile Bougeard évalués à 481 000 francs francs – l'article VI de la masse à partager : la nue-propriété de trois box évaluée à 108 000 francs ; que les appelants soutiennent qu'en réalité le règlement de la somme de 1 025 410 francs n'a jamais été effectuée au profit de Chantal X... de sorte que le raisonnement du notaire qui a estimé que les donations-partages remplissaient les conditions de l'article 1078 du code civil et que « chacun des donataires ayant reçu un lot de même valeur, il n y pas lieu de les réintégrer » ne peut être suivi s'agissant de la donation-partage du 30 juin 1986, dès lors que la donataire n'a pas reçu le lot qui devait lui être versé en numéraire ; qu'ils en concluent que les immeubles, objets de la donation-partage, doivent être évalués au jour du décès et non au jour: de la donation; qu'ils poursuivent en soutenant que les intimés ne sauraient donc faire croire à la cour que l'action de leur nièce porterait sur « la donation-partage de 1986 » alors qu'elle porte au premier chef conformément à la loi sur la reconstitution de ses droits à réserve par prélèvement sur les biens existants aujour du décès, et la réduction subsidiaire du legs puis des donations entre vifs consenties le 10 mai 1991 ; que selon l'article 1077-1 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, applicable en l'espèce, « le descendant qui n'a pas concouru à la donation-partage ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve peut exercer l'action en réduction s'il n'existe pas à l'ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve, compte-tenu des libéralités dont il a pu bénéficier » ; que l'article 1077 2 ancien du code civil dispose que "les donations-partages suivent les règles des donations entre vifs pour tout ce qui concerne l'imputation, le calcul de la réserve et la réduction. L'action en réduction ne peut être introduite qu'après le décès de l'ascendant qui a fait le partage ou du survivant des ascendants en cas de partage conjonctif. Elle se prescrit par cinq ans à compter dudit décès » ; que force est de constater que l'action de Mme Y... porte sur la donation-partage du 30 juin 1986 dès lors que c'est uniquement en raison du non-versement de la somme de 1 025 410 francs que son lot serait inférieur à sa part de réserve ; que les appelants soutiennent toutefois que la prescription ne court pas contre celui qui a été dans l'impossibilité d'agir et qu'en l'espèce, ce n'est qu'au mois de janvier 2010 que Me Z... répercutait à M. Y... la version des faits fournie le 15 décembre 2009 par la SCP Lahaussois - Porge - Berthier - Bitbol (notaire de famille de Julien X... et de ses fils), permettant de caractériser l'atteinte au droit à réserve de Mme Y... et, partant, de mettre légitimement en oeuvre l'action destinée à protéger ce droit comme à voir réduire les libéralités excessives dont les intimés ont bénéficié; cependant, qu'à supposer qu'ils n'en aient pas eu connaissance à une époque antérieure, il résulte des pièces versées aux débats que les appelants étaient parfaitement informés de l'existence de la donation-partage du 30 juin 1986, dans le délai de cinq ans prévu à l'article 1077-2 ancien du code civil précité ; qu'en effet, l'assignation initiale du 8 novembre 2004 que MM. Julien et Igor X... ont fait délivrer aux appelants aux fins d'obtenir l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage. non seulement en fait état, mais la fait figurer au titre des pièces produites à l'appui de la demande, que d'ailleurs aux termes des conclusions du 25 mai 2005 de Mme Y... et de son tuteur, M. César Y..., il est porté la mention suivante: « Attendu que pour ce faire les demandeurs produisent ( .. ) la donation-partage du 30 juin 1986 » ; en conséquence, que l'action portant sur la donation-partage du 30 juin 1986, qui doit être qualifiée d'action en réduction, engagée par acte du 23 janvier 2013, n'a pas été diligentée dans le délai de cinq ans à compter du décès de Julien X..., de sorte que cette action prescrite doit être déclarée irrecevable » (arrêt, p. 5 à 7) ;
1°) Alors que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que Mme Y..., assistée de son curateur, demandait aux juges du fond, au visa des articles 867, 868, 913, 921, 922 et 923, et surabondamment 1077, 1077-1 et 1077-2 du code civil, dans leur rédaction applicable à l'espèce, qu'il soit dit et jugé que les droits et biens immobiliers dont MM. Julien et Igor X... ont été allotis en vertu de l'acte de donation-partage du 30 juin 1986 soient intégrés à la masse des biens existants et évalués au jour de l'ouverture de la succession, et qu'il soit dit et jugé qu'elle était bien fondée à voir reconstituer l'intégralité de ses droits à réserve par prélèvement sur les biens existants au jour du décès de feu Julien X..., et si besoin par réduction des legs, donations en avancement d'hoirie et donations-partages antérieurement consenties (p.22) ; qu'elle faisait valoir qu'une fois réintégrés dans la masse partageable les droits et biens immobiliers évalués au jour de l'ouverture de la succession, la réduction des libéralités excessive devrait s'opérer conformément aux dispositions d'ordre public de l'article 923 du code civil, donc après avoir épuisé la valeur des biens compris dans les dispositions testamentaires en commençant par la donation la plus récente et ainsi de suite en remontant vers les donations antérieures (p.16); qu'elle faisait encore valoir que son action portait au premier chef sur la reconstitution de ses droits à réserve par prélèvement sur les biens existants au jour du décès et la réduction subsidiaire du legs puis des donations entre vifs consenties le 10 mai 1991 (p.16) ; qu'en retenant cependant, pour la déclarer prescrite en application de l'article 1077-2 relatif aux donations-partages, que l'action de Mme Y... portait sur la donation-partage du 30 juin 1986, dès lors que son lot serait inférieur à sa part de réserve uniquement en raison du nonversement de la somme prévue à cet acte, et devait être qualifiée d'action en réduction, la cour d'appel a méconnu les termes du litige dont elle était saisie, et a ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) Alors que le descendant qui n'a pas concouru à la donation-partage ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve ne peut exercer l'action en réduction que s'il n'existe pas à l'ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve ; qu'en retenant que l'action de Mme Y... portait sur la donation-partage du 30 juin 1986 dès lors que c'était uniquement en raison du non-versement de la somme de 1 025 410 francs que son lot serait inférieur à sa part de réserve, et devait être qualifiée d'action en réduction de cette donation, laquelle était prescrite, et en excluant ainsi la possibilité pour Mme Y..., tandis qu'elle n'avait pas reçu de lot à hauteur de sa part de réserve, peu en important la cause, de poursuivre au premier chef la reconstitution de son droit à réserve par prélèvement sur les biens existants au jour du décès, la cour d'appel a violé l'article 1077-1 ancien du code civil ;
3°) Alors qu'il n'y aura jamais lieu à réduire les donations entre vifs qu'après avoir épuisé la valeur de tous les biens compris dans les dispositions testamentaires, et lorsqu'il y aura lieu à cette réduction, elle se fera en commençant par la dernière donation, et ainsi de suite en remontant des dernières aux plus anciennes ; qu'en retenant que l'action de Mme Y... portait sur la donation-partage du 30 juin 1986 dès lors que c'était uniquement en raison du non-versement de la somme de 1 025 410 francs que son lot serait inférieur à sa part de réserve, et devait être qualifiée d'action en réduction de cette donation, laquelle était prescrite, et en excluant ainsi la reconstitution de son droit à réserve par réduction des legs et donations postérieurs à la donation-partage du 30 juin 1986, la cour d'appel a violé l'article 923 ancien du code civil ;
4°) Alors, subsidiairement, que la prescription ne commence à courir que du jour où le créancier a connaissance du fait qui donne naissance à son droit et donc ouverture à son action ; que Mme Y... assistée de son curateur M. Y... faisait valoir que ce n'était qu'au mois de janvier 2010 que Me Z... avait répercuté à M. Y... la version des faits fournie le 15 décembre 2009 par le notaire de famille de Julien X... et de ses fils, permettant de caractériser l'atteinte au droit à réserve de Mme Y..., et partant, de mettre légitimement en oeuvre l'action tendant à la protection de ce droit et à la réduction des libéralités excessives ; qu'en se bornant à retenir, pour la déclarer prescrite car n'ayant pas été exercée dans le délai de cinq ans à compter du décès de Julien X..., que l'action de Mme Y..., assistée par son curateur, portait sur la donation-partage du 30 juin 1986 et qu'ils étaient parfaitement informés de l'existence de cette donation-partage dans ce délai de cinq ans, sans rechercher si la prescription n'avait pas commencé à courir que du jour où Mme Y... assistée par son curateur avait eu connaissance des faits caractérisant l'atteinte à son droit à réserve et donnant ouverture à son action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1077-2 ancien du code civil ;
5°) Alors, plus subsidiairement, que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir ; que Mme Y... assistée de son curateur M. Y... faisait valoir que ce n'était qu'au mois de janvier 2010 que Me Z... avait répercuté à M. Y... la version des faits fournie le 15 décembre 2009 par le notaire de famille de Julien X... et de ses fils, permettant de caractériser l'atteinte au droit à réserve de Mme Y..., et partant, de mettre légitimement en oeuvre l'action tendant à la protection de ce droit et à la réduction des libéralités excessives ; qu'en se bornant à retenir, pour la déclarer prescrite car n'ayant pas été exercée dans le délai de cinq ans à compter du décès de Julien X..., que l'action de Mme Y..., assistée par son curateur, portait sur la donation-partage du 30 juin 1986 et qu'ils étaient parfaitement informés de l'existence de cette donation-partage dans ce délai de cinq ans, sans rechercher si Mme Y... et son curateur n'avaient pas été dans l'impossibilité d'agir tant qu'ils n'avaient pas connaissance des faits caractérisant l'atteinte à son droit à réserve et donnant ouverture à son action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1077-2 ancien du code civil.