Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme X...dite Marine Y..., partie civile,
contre l'arrêt n° 2 de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 2 avril 2015, qui, dans la procédure suivie contre MM. Rémy Z..., Laurent A...et la société France télévisions, des chefs d'injure publique et complicité, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 juin 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Buisson, Larmanjat, Ricard, Parlos, Bonnal, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Desportes ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ et de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé en ses dispositions civiles le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 22 mai 2014 ayant renvoyé MM. Rémy Z...et Laurent A...des fins de la poursuite pour injure publique envers un particulier et complicité du même délit et débouté Mme Marine Y... de ses demandes d'indemnité et de publication de la décision de condamnation dans la presse,
" aux motifs que l'appréciation du caractère injurieux relève de l'appréciation du juge et doit s'effectuer en fonction du contexte et de manière objective, c'est-à-dire sans se fonder sur la perception personnelle de la victime, le genre du mode d'expression en cause devant également être pris en considération ; que l'affiche litigieuse a été diffusée au cours d'une séquence destinée à présenter les dessins satiriques et parodiques qui avaient été publiés quelques jours auparavant dans le journal Charlie Hebdo, représentant les candidats à l'élection présidentielle ; que M. A...a présenté ces affiches, en précisant " c'est satirique, c'est Charlie hebdo " ; que si Mme Marine Y... peut faire valoir qu'en ce qui la concerne l'affiche est particulièrement grossière, elle ne peut pour autant considérer qu'il s'agit d'une attaque purement personnelle destinée à porter atteinte à sa dignité, en tant que femme, alors que le téléspectateur comprend nécessairement qu'elle est visée en tant que candidate à l'élection présidentielle ; que le dessin en cause se situe dans le registre d'une forme d'humour particulièrement débridée, propre à Charlie Hebdo, n'hésitant pas à user d'images scatologiques ; que l'expression humoristique doit être d'autant plus permise et acceptée lorsqu'elle vise, comme l'espèce, une personnalité politique ; que l'animateur M. A...a, en outre, pris le soin, de préciser le registre satirique dans lequel devaient être compris les dessins présentés, manifestant ainsi clairement l'intention, non pas de présenter une image injurieuse ou dégradante de la partie civile, mais de provoquer le rire de l'auditoire et de faire réagir son invité à ces pseudos affiches électorales ;
" 1°) alors qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferment l'imputation d'aucun fait est une injure ; qu'en l'espèce, la représentation de Mme Marine Y... sous la forme d'un étron fumant surmonté du slogan « Y..., la candidate qui vous ressemble » excède les limites de l'humour par son outrance et sa grossièreté excessives et par le caractère personnel de l'attaque et constitue donc une injure ; que ni la circonstance que Mme Marine Y... soit visée en tant que candidate à l'élection présidentielle ni celle que le dessin en cause s'inscrit dans une forme d'humour particulièrement débridée, propre à Charlie Hebdo, n'hésitant pas à user d'images scatologiques ne sont de nature à faire disparaître son caractère outrageant et qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du dessin incriminé et violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que l'injure est réputée de droit faite avec une intention coupable, seule l'excuse de provocation étant susceptible de lui ôter son caractère punissable ; qu'en l'espèce, l'intention de l'animateur M. A..., même explicite, de provoquer le rire de l'auditoire et de faire réagir son invité est indifférente et qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que, d'une part, en matière de presse, il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos poursuivis ;
Attendu que, d'autre part, la liberté d'expression peut être soumise à des ingérences dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 précité ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la chaîne de télévision France 2 a diffusé, le 7 janvier 2012, dans l'émission " On n'est pas couché ", une séquence au cours de laquelle ont été montrées des affiches parodiques, publiées trois jours auparavant par le journal " Charlie Hebdo ", concernant les candidats à l'élection présidentielle ; que l'une de ces affiches présentant le slogan " Y..., la candidate qui vous ressemble ", inscrit au dessus d'un excrément, Mme Y... a déposé une plainte assortie de constitution de partie civile, du chef d'injure publique envers un particulier ; que, renvoyés devant le tribunal correctionnel de ce chef, M. Z..., président de la société France télévisions, et M. A..., animateur de l'émission, ont été relaxés ; que la partie civile, déboutée de ses demandes, a relevé appel de ce jugement ;
Attendu que, pour confirmer le jugement en ses dispositions civiles, l'arrêt retient que si l'affiche litigieuse est particulièrement grossière à l'égard de la plaignante, il ne s'agit pas d'une attaque contre sa personne, destinée à atteindre sa dignité, mais d'une pique visant la candidate à l'élection présidentielle, et que l'humour doit être largement toléré lorsqu'il vise, comme en l'espèce, une personnalité politique ; que les juges ajoutent que cette représentation se situe dans le registre d'une forme d'humour débridé, propre au journal " Charlie Hebdo ", qui n'hésite pas à recourir à des figures scatologiques, et relèvent que l'animateur de l'émission a pris le soin de préciser le contexte satirique dans lequel devaient être compris les dessins présentés, manifestant ainsi clairement son intention de provoquer le rire, et non de présenter une image dégradante de la partie civile ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le dessin et la phrase poursuivis, qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l'associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d'une séquence satirique de l'émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de PARIS, en date du 2 avril 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt septembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.