LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2014), que la société Pechiney Saint-Gobain, aux droits de laquelle vient la société Rhodia chimie, a exploité jusqu'en 1972 un atelier de fabrication de chlorure de vinyle monomère dans son usine de Saint-Fons dans le département du Rhône ; que par un traité d'apport en date du 20 octobre 1980, elle a apporté les activités chimiques de ce site à la société Activités chimiques Chloe, devenue Arkema France ; qu'après la détection en 1993 de résidus chlorés dans la nappe phréatique, le préfet du Rhône, par arrêté du 10 janvier 1994, a prescrit à la société Arkema France de réaliser des études de nature à déterminer l'état de contamination du site et à déterminer les travaux préventifs et/ou curatifs nécessaires ; que le 14 mai 2007, le préfet a pris un arrêté enjoignant à la société Arkema France de procéder à la surveillance de la qualité des eaux souterraines et de proposer un plan de gestion de la pollution par les résidus chlorés ; que le 5 août 2010, la société Arkema France a assigné la société Rhodia chimie en garantie de toutes condamnations, obligations et sommes qu'elle avait dû ou serait amenée à supporter pour avoir été désignée débitrice unique de l'obligation administrative de surveillance et de remise en état du secteur sud du site de Saint-Fons ;
Attendu que la société Arkema France fait grief à l'arrêt de dire que son action est irrecevable comme prescrite alors, selon le moyen :
1°/ que la prescription des actions en responsabilité civile contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance si bien qu'en décidant néanmoins que le point de départ de l'action de la société Arkema à l'encontre de la société Rhodia, tendant à la voir relever et garantir de toutes condamnations, obligations et sommes supportées au titre de l'obligation administrative de remise en état du site pollué, devait être fixé à la date de l'arrêté préfectoral du 10 janvier 1994, au motif inopérant tiré de ce que la société Arkema avait alors eu connaissance de l'existence de la pollution, tandis qu'à cette date, le fait auquel le droit de la société Arkema d'agir en garantie contre la société Rhodia était subordonné, qui ne pouvait résider que dans l'exigibilité de son obligation de remettre le site en état, n'était nullement réalisé, cet arrêté se bornant à prescrire à la société Elf-Atochem de réaliser des études destinées à déterminer la nature, l'origine et l'importance de la pollution, ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause ;
2°/ que la prescription des actions en responsabilité civile extra contractuelle ne court qu'à compter de la manifestation du dommage de sorte qu'en décidant néanmoins que le point de départ de l'action de la société Arkema à l'encontre de la société Rhodia, tendant à la voir relever et garantir de toutes condamnations, obligations et sommes supportées au titre de l'obligation administrative de remise en état du site pollué, devait être fixé à la date de l'arrêté préfectoral du 10 janvier 1994, au motif inopérant tiré de ce que la société Arkema avait alors eu connaissance de ce que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée, tandis qu'à cette date, le dommage à la manifestation duquel son droit d'agir en garantie contre la société Rhodia était subordonné, qui ne pouvait être caractérisé que par la circonstance que sa responsabilité au titre de la pollution du site était effectivement recherchée, n'était ni actuel, ni certain, cet arrêté se bornant à prescrire à la société Elf-Atochem de réaliser des études destinées à déterminer la nature, l'origine et l'importance de la pollution, ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause ;
3°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer la portée des actes qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, l'arrêté préfectoral du 10 janvier 1994 se bornait à prescrire à la société Elf-Atochem de réaliser des études destinées à déterminer la nature, l'origine et l'importance de la pollution, ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité de sorte qu'en décidant néanmoins que cet arrêté préfectoral avait permis à la société Arkema de savoir que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée, la cour d'appel, qui en a dénaturé la portée, a violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ que les actes administratifs annulés pour excès de pouvoir sont réputés n'être jamais intervenus si bien qu'en décidant néanmoins que les arrêtés préfectoraux relatifs à la société Elf-Atochem des 15 juillet, 2 et 8 décembre 1999 avaient mis la société Arkema à même de rechercher la responsabilité de la société Rhodia et d'exercer son action en garantie à son encontre, tandis que ces arrêtés avaient été définitivement annulés par le jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 juin 2002, le Conseil d'Etat ayant, par décision du 21 avril 2009, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 juillet 2006, en tant qu'il annulait les articles du dispositif du jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 juin 2002 annulant lesdits arrêtés, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée par la juridiction administrative et l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause ;
5°/ que le préjudice résultant de l'aggravation du dommage fait naître un nouveau délai de prescription si bien qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la société Arkema ne pouvait prétendre à une aggravation de son dommage ou à l'apparition d'un nouveau préjudice, distinct du préjudice initial, du fait de la prise de l'arrêté du Préfet du Rhône du 14 mai 2007, que celui-ci visait la même pollution que les précédents, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cet arrêté mettait à la charge de la société Arkema des mesures complémentaires, beaucoup plus lourdes que celles ordonnées par les précédents arrêtés préfectoraux de 1994 et 1999, relativement à la pollution en cause, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure l'existence d'une aggravation du préjudice de la société Arkema, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause ;
Mais attendu, en premier lieu, que sous le couvert d'un grief infondé de dénaturation, le moyen, en sa troisième branche, ne tend qu'à discuter l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, de la portée de l'arrêté du 10 janvier 1994 ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient que la société Arkema France a eu connaissance des conséquences de la pollution dès 1994, à la suite de l'arrêté du 10 janvier 1994 lui prescrivant de réaliser les études destinées à déterminer la nature et l'importance de la pollution ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité ; que la cour d'appel a pu en déduire que cette société avait eu, dès cette date, connaissance du dommage dont elle demandait réparation à la société Rhodia chimie ;
Et attendu, en troisième lieu, que l'arrêt constate que le préfet du Rhône a, par arrêté du 10 janvier 1994, prescrit à la société Arkema France de réaliser des études de nature à déterminer l'état de contamination du site, à quantifier l'impact des dépôts, à évaluer les risques à long terme et à déterminer les travaux préventifs et/ou curatifs nécessaires et que le 14 mai 2007, il a pris un nouvel arrêté lui enjoignant de procéder à la surveillance de la qualité des eaux souterraines situées au droit et à proximité de son site, de réaliser un diagnostic approfondi sur les terrains du secteur sud du site de Saint-Fons et une interprétation de l'état des milieux correspondants et de proposer un plan de gestion de la pollution par les résidus chlorés ; que la cour d'appel a pu en déduire que la société Arkema France ne pouvait prétendre, du fait de l'arrêté du 14 mai 2007, qui visait la même pollution, à une aggravation de son dommage ou à l'apparition d'un nouveau préjudice, distinct du préjudice initial ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa quatrième branche en ce qu'il critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Arkema France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Rhodia chimie et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société Arkema France.
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir décidé que l'action de la société Arkema France à l'encontre de la société Rhodia Chimie était irrecevable car prescrite,
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« Considérant que la société Rhodia argue de la prescription de l'action engagée le 5 août 2010 par la société Arkema France et ce, tant sur le plan de la responsabilité contractuelle, puisqu'introduite par l'intéressée plus de dix ans après la connaissance des faits lui permettant de l'exercer, à savoir la pollution de la nappe phréatique par des résidus chlorés, révélée dès 1993 et objet des arrêtés pris à son encontre en 1994 par le Préfet du Rhône, que sur le plan de la responsabilité délictuelle, puisqu'introduite plus de dix ans après la manifestation du dommage matérialisée aussi par la découverte de la pollution ; qu'elle ajoute que l'arrêté du 14 mai 2007 ne permet pas à l'appelante de se prévaloir d'une aggravation ou de l'apparition d'un nouveau préjudice de nature à faire courir un délai de prescription ;
Considérant que la société Arkema France réplique que la prescription ne courant pas contre celui qui ne peut agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, le délai de prescription de son action ne peut avoir commencé à courir avant le 14 mai 2007, date à laquelle l'administration a édicté un arrêté de surveillance et de remise en état du site à son seul endroit, faisant d'elle l'unique débitrice de ces obligations, et avant laquelle, sa propre responsabilité n'avait pas été mise en jeu et son droit d'agir en garantie à l'encontre de la société Rhodia Chimie n'était pas né ; qu'elle fait plaider qu'en toute hypothèse, l'arrêté du 14 mai 2007 constitue une aggravation du dommage qui fait courir un nouveau délai de prescription ;
Considérant que l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, soit celle antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, dispose que "les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; que ce délai concerne toutes les actions en responsabilité que leur fondement soit contractuel ou délictuel ;
Considérant que la prescription court en matière de responsabilité contractuelle à compter de la connaissance du dommage et en matière délictuelle à compter de la manifestation de celui-ci ou de son aggravation ;
Considérant que la société Arkema France a eu connaissance de l'existence de la pollution des conséquences de laquelle elle demande réparation à la société Rhodia Chimie sur le fondement contractuel, dès 1993, et de son origine, dès 1994, à la suite de l 'arrêté du 10 janvier 1994 lui prescrivant de réaliser les études destinées à déterminer la nature et l'importance de la pollution ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité ;
Considérant que les mêmes faits caractérisent la manifestation du dommage, point de départ de l'action en responsabilité délictuelle ; que visée en 1994 par un premier arrêté préfectoral relatif à la pollution en cause, la société Arkema a su dès cette date que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée ;
Considérant que l'appelante, visée en 1999 par trois nouveaux arrêtés préfectoraux, était donc à même, nonobstant le résultat des recours par elle introduits devant les juridictions administratives et les arrêtés également pris à l'égard de la société Rhodia Chimie, d'engager une action en responsabilité à l'encontre de cette dernière et d'attraire tous ses garants éventuels en justice à l'effet de voir réserver ses recours avant l'expiration du délai de dix ans ayant couru à compter de 1994 ; qu'elle ne peut prétendre à une aggravation de son dommage ou à l'apparition d'un nouveau préjudice, distinct du préjudice initial, du fait de la prise de l'arrêté du 14 mai 1997 qui vise la même pollution que les précédents ;
Considérant que son action introduite le 5 août 2010 est par conséquent prescrite et irrecevable, étant précisé que la prescription était acquise au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE
« 1. Sur les fins de non-recevoir soulevées par RHODIA
[ ... ] Sur la prescription
RHODIA expose :
Les actions en responsabilité contractuelle et délictuelle engagées par ARKEMA sont toutes les deux irrecevables car prescrites. En effet l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la réforme du 17 juin 2008 dispose que "les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes". En l'espèce, le Traité d'apport conclu le 20 octobre 1980 par deux sociétés commerçantes étant un acte de commerce, les obligations nées de celui-ci sont soumises à la prescription décennale de l'article L 110-4 du Code de commerce (dans sa rédaction antérieure à la réforme du 17 juin 2008). En réponse ARKEMA tente de démontrer, sur le fondement de l'article 2234 du Code civil (''la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi'') que le point de départ de la prescription de l'action d'ARKEMA aurait prétendument commencé à courir à compter du 14 mai 2007, date à laquelle l'administration aurait édicté un arrêté préfectoral exclusivement à l'encontre d'ARKEMA. En réalité le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité contractuelle court à compter de la connaissance du dommage à savoir, en matière de pollution, à compter de la découverte de celle-ci. Or, il n'est pas contesté qu'ARKEMA a eu connaissance de la pollution de la nappe par des résidus chlorés (R 12) dès 1993, RHODIA ayant informé ARKEMA que les conséquences liées à La découverte d'une telle pollution incombaient à cette dernière. L'origine historique de la pollution a pour sa part été établie dès 1994. De plus, dès 1994, le Préfet du Rhône, informé de l'existence de cette pollution, a prescrit à ARKEMA la réalisation d'études destinées à déterminer la nature et l'importance de la pollution constatée ainsi que les travaux nécessaires pour mettre le site en sécurité sur le long terme. Si un arrêté a également été édicté à l'époque à l'encontre de RHODIA celui-ci ne portait que sur la réalisation d'une étude d'impact de l'utilisation de l 'eau pompée dans la nappe pour les besoins de ses propres installations ce qui, contrairement à ce que soutient ARKEMA dans ses dernières écritures, n'impliquait aucune responsabilité de RHODIA dans la pollution en cause. ARKEMA se prévaut également du fait que la responsabilité de RHODIA devrait être prétendument engagée sur un fondement délictuel. L'action d'ARKEMA doit, de la même manière, être déclarée irrecevable. En effet, en vertu de l'article 2270-1 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à la réforme du 17 juin 2008) les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage. La jurisprudence considère ainsi, en matière de pollution, que le point de départ d'une action en responsabilité délictuelle court à compter de la découverte de la pollution. Comme cela a été démontré ci-dessus, et contrairement à ce que tente de soutenir ARKEMA dans ses dernières écritures, elle a eu connaissance de la pollution de la nappe dès 1993 et elle seule s'est vu imposer, dès 1994, par le Préfet du Rhône des mesures visant à déterminer la nature et l'importance de la pollution constatée ainsi que les travaux nécessaires pour mettre le site en sécurité sur le long terme. L'action en responsabilité délictuelle d'ARKEMA est en conséquence, largement prescrite.
ARKEMA expose :
L'article 2234 du Code de civil dispose : "La prescription ne court pas [ . .] contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi". Ainsi, selon une jurisprudence bien établie, le point de départ du délai de prescription se situe à la date d'exigibilité de la créance. Aussi, en matière de responsabilité contractuelle, le point de départ de ce délai court à la date à laquelle le demandeur a eu connaissance du manquement et du préjudice en résultant. En matière d'appel en garantie, le délai de prescription court à partir de la date à laquelle l'appelant en garantie est appelé à exécuter son obligation auprès du demandeur principal en l'espèce l'Administration. Or, jusqu'en 2007, l'Administration s'était adressée indifféremment à RHODIA et ARKEMA, n'ayant manifestement pas pris position sur le débiteur de l 'obligation de remise en état. Ainsi, lorsqu'en 1994, à la suite de la découverte de la pollution, le Préfet du Rhône a édicté ses deux premiers arrêtés préfectoraux, au visa notamment de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l 'environnement, il l'a fait tout autant à l'encontre d'ARKEMA que de RHODIA, prescrivant à chacune la réalisation d'études. Contrairement à ce que soutient RHODIA, rien - pas même la nature des travaux imposés à l'une et à l'autre de ces deux sociétés ne permettait à l'époque d'affirmer que l'Administration considérait qu'il appartenait à ARKEMA d'assumer les conséquences de la pollution. Bien au contraire, lorsque, à la suite des arrêtés susvisés, la Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement a prescrit à ARKEMA la réalisation d'investigations complémentaires, le Ministère de l'environnement, consulté sur cette question, a indiqué : "Il ne semble pas que la société ARKEMA réponde à un des critères légaux énoncés ci-dessus qui permettrait à l'administration de lui imposer la remise en état du site. II apparaît au contraire, à moins qu'un élément nouveau puisse infirmer cette analyse, que la société RHODIA est tenue par l'obligation de remise en état à plusieurs titres". Entre les mois de juillet 1999 et février 2000, le Préfet du Rhône prenait trois arrêtés à l'encontre de RHODIA, lui prescrivant la réalisation d'une évaluation des risques, mais également trois arrêtés à l'encontre d'ARKEMA, lui enjoignant de respecter les dispositions de l'arrêté du JO janvier 1994 afin d'achever le diagnostic de pollution et de proposer des travaux préventifs ou curatifs montrant ainsi qu'à cette date l'Administration n'avait pas tranché sur la personne à qui la responsabilité incombait. Par conséquent, l'une ou l'autre des deux parties aux procédures administratives était alors susceptible de se voir imposer cette obligation de remise en état, de sorte que tout appel en garantie aurait été prématuré. C'est uniquement le 14 mai 2007 que l'Administration a décidé de prendre un arrêté exclusivement à l'encontre d'ARKEMA. Par conséquent, à partir du 14 mai 2007, l'administration a décidé de rechercher la responsabilité d'ARKEMA uniquement, justifiant par-là même un appel en garantie contre RHODIA. Aussi, devant se computer à compter du 14 mai 2007, la prescription invoquée n'est pas acquise et le Tribunal rejettera la fin de non-recevoir soulevée par RHODIA. La jurisprudence considère que, en matière délictuelle, le point de départ du délai de prescription d'un appel en garantie est le moment où l'appelant en garantie a vu sa propre responsabilité mise en jeu. En l'espèce, l'action en responsabilité délictuelle intentée par ARKEMA vise à ce que le Tribunal condamne RHODIA à la relever et la garantir de toutes les obligations qui ont déjà été mises à sa charge et de celles qui pourraient l'être, à l'avenir. Le dommage invoqué par ARKEMA ne résulte donc pas de la pollution elle-même, mais de la décision de l'Administration de ne rechercher que sa responsabilité (à l'exclusion de toute autre) à cet égard. Or, ainsi qu'il a été démontré plus haut, ce n'est que depuis 2007 que seule ARKEMA est susceptible de se voir imposer une obligation administrative de remise en état et donc d'en supporter les coûts. Jusqu'alors, l'analyse du Ministre de l'environnement et le résultat des procédures engagées par ARKEMA et RHODIA confirmaient qu'ARKEMA n'était pas tenue de la remise en état des sols envers l'administration. ARKEMA n'avait aucune raison d'agir en garantie contre RHODIA avant le 14 mai 2007. L'action délictuelle intentée par ARKEMA ne saurait dès lors être prescrite.
Sur ce le Tribunal :
Pour pouvoir se prononcer sur la prescription, il est nécessaire de déterminer au préalable les fondements juridiques applicables à la mise en cause de RHODIA par ARKEMA et donc d'examiner le fond de l'affaire tout en retenant que la décision du tribunal de céans ne pourrait avoir pour effet de contredire les décisions de l'ordre administratif devenues définitives.
2. Sur le fond
ARKEMA expose :
• Le traité d'apport est muet sur l'existence de l'atelier CVM et surtout sur l'existence d'une zone de stockage enfouie des déchets CVM
• Cette zone de stockage est expressément exclue de l'apport ; en effet les plans annexés au traité d'apport délimitant les terrains et bâtiments apportés montrent bien que le terrain où sont enfouis les déchets n'est pas apporté.
• Il existe une clause de garantie de passif (paragraphe 19 du traité d'apport) qui doit recevoir application. RHODIA, qui connaissait l'existence du risque lié aux déchets aurait dû le signaler à ARKEMA.
• Sur le plan délictuel il apparait que RHODIA qui avait la garde des déchets aurait dû remettre le site en état.
• Enfin RHODIA a manqué à son devoir d'information en n'informant pas ARKEMA de cette zone de stockage.
RHODIA réplique :
• L'opération d'apport s'inscrit dans le cadre national de la réorganisation de la chimie française. Le traité d'apport vise l'ensemble de la chaîne "du sel au PVC", or pour faire du PVC il faut du CVM
• Ce n'est pas au propriétaire du terrain à remettre le terrain en état : c'est à l'ayant droit qui est nécessairement unique car la gestion des déchets n'est que l'accessoire de la production du produit.
• Le traité d'apport vise l'intégralité des activités de RHODIA sans que soit mentionnée de dérogation expresse à cette généralité.
• En 1980, RHODIA n'avait pas conscience qu'il pouvait exister un "risque de litige important, (au sens de l'article 19 du traité d'apport)" car la pollution de la nappe phréatique n'était pas certaine.
• Sur le plan délictuel il n'existe pas de faute car à l'époque il n'existait pas d'obligation légale de remise en état de site sur lequel l'activité avait cessé.
Sur ce le Tribunal :
Attendu que par un traité d'apport partiel d'actifs du 20 octobre 1980, placé sous le régime des scissions, RHODIA a apporté à ARKEMA l'ensemble des biens, droits et éléments de passif se rapportant à la fabrication, au traitement, à la transformation, au transport, à la recherche, à l'expérimentation et à la vente de produits chimiques, au nombre desquels figure le CVM ; que ce traité ne comporte pas de réserve selon laquelle la branche d'activité de fabrication de CVM du site de Saint-Fons ne serait pas transférée ; que la fabrication et le traitement de CVM visés par le traité d'apport doivent être regardés comme couvrant également l'activité d'enfouissement de déchets chlorés, qui en sont des activités connexes.
Le tribunal dira que l'ayant droit de RHODIA est ARKEMA.
Attendu que le traité d'apport dispose en son chapitre quatrième article 1 : La société bénéficiaire prendra les biens et droits apportés dans l'état où ils se trouveront lors de la réalisation définitive des présentes, sans pouvoir exercer aucun recours contre la société apporteuse, sous réserve des dispositions visées au § 19, pour quelque cause que ce soit, notamment pour mauvais état des constructions, matériels, installations et objets mobiliers, vices de constructions apparents ou cachés, vices du sol ou du sous-sol, erreur dans la désignation, les numéros de cadastre et la contenance.
Le Tribunal déboutera ARKEMA de son appel en garantie.
Attendu que le paragraphe 12 de l 'Apport prévoit que :
"La société bénéficiaire fera son affaire personnelle, relativement aux branches d'activités apportées, de tout contentieux, né ou à naître, en demande ou en défense, quelles qu'en soient la nature et la date d'origine, sous réserve des dispositions prévues au paragraphe 19 ci-après."
Et que le paragraphe 19 de l'Apport précise que :
"Nonobstant les dispositions des paragraphes 1, 3 et 12 ci-dessus, (...) de la société apporteuse garantit qu'il n'existe pas actuellement de litiges importants dont le fait générateur serait antérieur au 1er janvier 1980 et qu'à sa connaissance, il n'existe pas de risques de litiges importants relatifs aux activités apportées"
Attendu que la pollution de la nappe phréatique doit être considérée comme un litige important dont RHODIA ne pouvait pas ignorer l'existence et dont elle aurait dû informer ARKEMA.
Attendu, de ce fait, que ARKEMA disposait d'un recours à l'encontre de RHODIA au titre de la mise en jeu du paragraphe 19 du traité ;
Mais attendu qu'ARKEMA a eu connaissance de la dissimulation de ce risque de pollution dès 1993 et surtout dès 1994 date à laquelle le Préfet a pris un arrêté lui enjoignant de faire des études ;
Attendu que dès cette date, ARKEMA a engagé des frais qui, selon elle, ne lui incombait pas, sans en demander la prise en charge à RHODIA,
Attendu qu'elle a seulement demandé au Préfet de s'adresser à RHODIA, ce qu'il n 'a pas fait, et que bien au contraire le Préfet a continué de prendre des arrêtés à l'encontre d'ARKEMA, tout cela démontrant que le risque était bien réel ;
Attendu que pour sauvegarder ses droits, ARKEMA aurait dû, dès qu'elle avait eu connaissance du risque, introduire une instance à l'encontre de RHODIA ;
Attendu que plus de 10 ans se sont écoulés depuis la connaissance du risque :
Le Tribunal dira que l'action d'ARKEMA à l'encontre de RHODIA est prescrite et que l'action en justice d'ARKEMA est irrecevable » ;
ALORS QUE la prescription des actions en responsabilité civile contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance si bien qu'en décidant néanmoins que le point de départ de l'action de la société Arkema à l'encontre de la société Rhodia, tendant à la voir relever et garantir de toutes condamnations, obligations et sommes supportées au titre de l'obligation administrative de remise en état du site pollué, devait être fixé à la date de l'arrêté préfectoral du 10 janvier 1994, au motif inopérant tiré de ce que la société Arkema avait alors eu connaissance de l'existence de la pollution, tandis qu'à cette date, le fait auquel le droit de la société Arkema d'agir en garantie contre la société Rhodia était subordonné, qui ne pouvait résider que dans l'exigibilité de son obligation de remettre le site en état, n'était nullement réalisé, cet arrêté se bornant à prescrire à la société Elf-Atochem de réaliser des études destinées à déterminer la nature, l'origine et l'importance de la pollution, ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité, la cour d'appel a violé l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause,
ALORS QUE la prescription des actions en responsabilité civile extracontractuelle ne court qu'à compter de la manifestation du dommage de sorte qu'en décidant néanmoins que le point de départ de l'action de la société Arkema à l'encontre de la société Rhodia, tendant à la voir relever et garantir de toutes condamnations, obligations et sommes supportées au titre de l'obligation administrative de remise en état du site pollué, devait être fixé à la date de l'arrêté préfectoral du 10 janvier 1994, au motif inopérant tiré de ce que la société Arkema avait alors eu connaissance de ce que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée, tandis qu'à cette date, le dommage à la manifestation duquel son droit d'agir en garantie contre la société Rhodia était subordonné, qui ne pouvait être caractérisé que par la circonstance que sa responsabilité au titre de la pollution du site était effectivement recherchée, n'était ni actuel, ni certain, cet arrêté se bornant à prescrire à la société Elf-Atochem de réaliser des études destinées à déterminer la nature, l'origine et l'importance de la pollution, ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité, la cour d'appel a violé l'article L Il0-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause ;
ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer la portée des actes qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, l'arrêté préfectoral du 10 janvier 1994 se bornait à prescrire à la société Elf-Atochem de réaliser des études destinées à déterminer la nature, l'origine et l'importance de la pollution, ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité de sorte qu'en décidant néanmoins que cet arrêté préfectoral avait permis à la société Arkema de savoir que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée, la cour d'appel, qui en a dénaturé la portée, a violé l'article 1134 du code civil ;
ALORS QUE les actes administratifs annulés pour excès de pouvoir sont réputés n'être jamais intervenus si bien qu'en décidant néanmoins que les arrêtés préfectoraux relatifs à la société Elf-Atochem des 15 juillet, 2 et 8 décembre 1999 avaient mis la société Arkema à même de rechercher la responsabilité de la société Rhodia et d'exercer son action en garantie à son encontre, tandis que ces arrêtés avaient été définitivement annulés par le jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 juin 2002, le Conseil d'Etat ayant, par décision du 21 avril 2009, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 juillet 2006, en tant qu'il annulait les articles du dispositif du jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 juin 2002 annulant lesdits arrêtés, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée par la juridiction administrative et l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause,
ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le préjudice résultant de l'aggravation du dommage fait naître un nouveau délai de prescription si bien qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la société Arkema ne pouvait prétendre à une aggravation de son dommage ou à l'apparition d'un nouveau préjudice, distinct du préjudice initial, du fait de la prise de l'arrêté du Préfet du Rhône du 14 mai 2007, que celui-ci visait la même pollution que les précédents, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cet arrêté mettait à la charge de la société Arkema des mesures complémentaires, beaucoup plus lourdes que celles ordonnées par les précédents arrêtés préfectoraux de 1994 et 1999, relativement à la pollution en cause, la cour d 'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure l'existence d'une aggravation du préjudice de la société Arkema, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, applicable en la cause.