Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Alexandre X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 15 avril 2015, qui, dans la procédure suivie contre MM. Leonello Y..., Didier
Z...
, Christophe A... et Mme Olivia B... du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 juin 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle SEVAUX et MATHONNET, de la société civile professionnelle HÉMERY et THOMAS-RAQUIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, alinéa 1, 29, alinéa 1, 32, alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, défaut de motif, manque de base légale ;
" en ce que la cour d'appel a renvoyé des fins de la poursuite MM. Y..., A... et Z... ainsi que Mme B... ;
" aux motifs que, ni l'intérêt général du sujet visant à informer les lecteurs sur le fonctionnement des services de renseignements et les relations qu'ils peuvent entretenir avec les pouvoirs politiques, ni l'absence d'animosité personnelle des auteurs à l'égard de la partie civile ne sont discutés en l'espèce ; que, de même, il ne peut être contesté que les auteurs disposaient d'une base factuelle sérieuse pour mettre en évidence la singularité du parcours de la partie civile qui, bien que mis en cause dans de nombreuses et graves, quoique relativement anciennes, affaires liées au grand banditisme, ait pu bénéficier du « nettoyage » des informations contenues dans le service de traitement des infractions constatées (STIC), d'un « certificat de moralité » établi le 19 décembre 2005 par M. Bernard E..., alors préfet délégué à la sécurité à Marseille, ainsi que du hasard ayant permis, selon le directeur des renseignements généraux (RG) de l'époque, que le dossier RG le concernant disparaisse ; qu'enfin, le reproche que fait la partie civile aux auteurs est d'avoir fait preuve de duplicité à son égard en ne cherchant pas réellement à la contacter, contrairement à ce qu'ils indiquent dans la note figurant en bas de la page 156 du livre et de n'avoir pas tenu compte des copies de courriers qu'il leur a adressées « à toutes fins » afin de rectifier l'erreur manifeste consistant à le présenter comme ayant été dès 1980 « l'indic » de M. François F... alors que celui-ci ne lui avait été présenté qu'en 1993 par un autre policier M. François G..., ainsi que celui-ci en a attesté ; que, toutefois, il n'est pas démontré, même si le délai donné à la partie civile pour réagir paraît bref, que les auteurs se soient ingéniés à éviter de la rencontrer pour lui donner la parole ; que la proximité, apparemment connue de la partie civile, de la date de publication du livre, ne constituait pas un obstacle de nature à couper court à toute rencontre, ainsi qu'elle l'a fait savoir dans l'un de ses courriers ; que la « rectification » qui aurait pu être apportée concernant la date à laquelle la partie civile aurait fait la connaissance de M. François F..., n'apparaît pas, en outre, présenter un réel intérêt dans le cadre de la présente instance et modifier l'appréciation du caractère fautif des propos litigieux, étant observé que la date à laquelle la partie civile aurait été « tamponnée » par C...n'est pas précisée dans le passage poursuivi et qu'il n'est pas contesté que c'est M. François F... qui ait ultérieurement présenté la partie civile à M. Bernard E... ;
" et aux motifs adoptés que les imputations diffamatoires sont réputées, de droit faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque l'auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu'il a poursuivi un but légitime étranger à toute animosité personnelle, et qu'il s'est conformé à un certain nombre d'exigences et en particulier le sérieux de l'enquête ainsi que de prudence dans l'expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos ; que le livre et le chapitre litigieux portent sur un sujet d'intérêt général relatif au fonctionnement des services de police et de renseignements français dont il était légitime d'informer le public ; que rien ne permet d'établir que les auteurs auraient été mus par une animosité de nature personnelle envers la partie civile qui n'est nullement le centre de l'ouvrage ; qu'à l'audience M. A... a notamment expliqué que les auteurs avaient rencontré une soixantaine d'agents de la DCRI, qu'ils avaient recoupé leurs informations plusieurs fois ; qu'ils s'étaient fondés sur de nombreux documents et qu'ils n'avaient pas insisté sur le parcours criminel de M. X... ; que les diverses pièces produites en défense constituent une base factuelle suffisante puisqu'elles montrent que ce dernier avait bien été mis en cause dans plusieurs affaires, certes anciennes, mais particulièrement graves (vol à main armée, règlements de compte …) et qu'il était donc pour le moins anormal que son nom ait disparu des fichiers de police et que M. Bernard E... atteste qu'il était inconnu au STIC – même comme victime – et que « rien de défavorable » n'a pu être démontré ; que, par ailleurs, la partie civile souligne la mauvaise foi des auteurs qui ont adressé à son avocat une lettre sollicitant un entretien dans le délai de dix jours, mais antidaté du 14 décembre 2011, posté le 22 et présenté le 26 au destinataire qui en a pris connaissance le 27 ; qu'il est répondu en défense que cette lettre avait d'abord été envoyée à une ancienne adresse ; qu'il sera également relevé qu'elle indiquait : « si, toutefois, il vous était impossible de nous accorder un entretien dans les dix jours à venir, faites-le nous savoir de façon à ce que nous trouvions une date qui vous convienne ou une autre façon d'échanger, par exemple par courrier électronique », ce qui ne fermait donc pas toute possibilité d'échange ; que, dans sa réponse du 3 janvier 2012, l'avocat de M. X... indique que ce dernier « vient d'apprendre que [le] livre est déjà imprimé » et adresse « à toutes fins » copies d'une lettre de M. X... à M. Pierre H... et d'une lettre à M. François G..., au président de France télévision « affirmant qu'il n'a fait la connaissance de M. X... qu'en 1992 et qu'il ne l'a présenté à M. François F... qu'en 1993 » ; que les prévenus ont expliqué la tardiveté de cette prise de contact par écrit par les difficultés ayant entouré l'écriture de cet ouvrage, dont la parution pouvait intervenir plus tard ; cette démarche suffit en l'espèce à établir qu'ils ont cherché à recueillir le point de vue de la partie civile puisqu'il était encore possible d'en faire état dans le livre comme ils l'ont fait dans une note au bas de la page 156 qui indique immédiatement : « Via son avocat, nous avons cherché à joindre M. X... vers la fin de notre enquête. Après une première réponse destinée à nous faire patienter, son avocat nous a fait savoir, le 3 janvier 2012 que notre démarche était un " simulacre " car il venait d'apprendre que notre livre serait " déjà imprimé " et devait " être prochainement publié ". Pour ce mauvais et curieux prétexte, aucune rencontre n'a pu avoir lieu. Mais nous rappelons que, systématiquement, M. X... nie tout ce qu'il estime nuire à son image, jusqu'à son rôle d'intermédiaire dans certains contrats … » ; qu'en outre, il ne saurait être reproché aux auteurs de ne pas avoir fait état du contenu des copies des lettres qui ne leur étaient pas destinées ; que, de plus, M. François G... a témoigné à l'audience qu'il avait présenté M. X... à M. François F... fin 1992- début 1993 et qu'ils ne pouvaient pas se connaître dans les années 80 ; qu'il sera à cet égard relevé que la formulation du premier passage poursuivi en page 160 du livre ne mentionne pas clairement la date à laquelle le premier a « été l'indic » du second et qu'une éventuelle erreur de chronologie ne serait pas déterminante sur l'issue du présent litige compte tenu de l'imputation diffamatoire retenue, étant observé que M. A... a précisé à l'audience qu'il n'avait pas écrit que la partie civile avait l'informateur de M. François G... faute d'avoir pu recouper cette information ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, le bénéfice de la bonne foi peut être accordée aux prévenus qui seront donc renvoyés des fins de la poursuite ;
" alors que l'existence d'un débat d'intérêt général dans lequel s'inscrit des propos diffamatoires reposant sur une base factuelle suffisante n'exonère pas le journaliste qui présente ces propos comme le résultat d'un travail d'investigation et qui invoque sa bonne foi de son obligation de démontrer qu'il a préalablement réalisé une enquête sérieuse ; que, sauf circonstances particulières, une enquête sérieuse suppose que le journaliste auteur de propos présentés comme le fruit d'un travail d'investigation ait pris ou ait vainement tenté de prendre attache avec la personne visée par les imputations diffamatoires ; qu'en retenant que la prise de contact avec la partie civile avait été effective, bien qu'elle ait été tardive et que le délai offert pour répondre ait été bref, dans la mesure où il avait encore été possible d'en faire état dans le livre en note de bas de page, et que la proximité apparemment connue de la partie civile de la date de publication du livre ne constituait pas un obstacle de nature à couper court à toute rencontre quand il résulte des motifs de sa décision qu'après avoir reçu le 3 janvier 2012 un courrier de la partie civile dans laquelle cette dernière indiquait avoir été informée que le livre était déjà en voie d'impression et qu'il n'était donc pas utile de les rencontrer, les journalistes avaient préféré rédiger une note de bas de page imputant à la partie civile l'absence de rencontre et qualifiant la circonstance invoquée par elle de « mauvais et curieux prétexte » au lieu de contacter l'intéressée pour démentir la circonstance par elle invoquée et recueillir auprès d'elle, tant qu'il était temps, les éléments utiles à leur enquête, la cour d'appel a violé les textes précités " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication d'un livre intitulé L'espion du président qui comportait un chapitre le concernant, M. X... a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers particulier en visant quatre passages de ce chapitre ; que l'éditeur et les auteurs de l'ouvrage ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, qui les a relaxés et a débouté la partie civile de ses demandes ; que cette dernière a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte notamment que les auteurs ont procédé à une enquête sérieuse et préalable incluant une prise de contact effective avec la personne visée par les propos incriminés, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les circonstances particulières invoquées par les intimés et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour justifier l'admission à leur profit du bénéfice de la bonne foi ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 3 000 euros la somme globale que M. X... devra payer à MM. Y..., Z..., A... et Mme B... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six septembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.