LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 10 février 2015), que l'ordonnance portant transfert de propriété, au profit de la commune de Salbris, de parcelles appartenant aux consorts X...-Y..., a été annulée par voie de conséquence de l'annulation, par la juridiction administrative, de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique lui servant de base ; que le juge de l'expropriation a constaté que ces biens n'étaient pas en l'état d'être restitués ; que les consorts X...-Y... ont sollicité une indemnisation ;
Attendu que la commune de Salbris fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé à la somme de 115 802, 76 euros l'indemnité allouée aux consorts X...-Y..., sous déduction de la somme de 94 500 euros, de fixer à la somme de 442 822, 74 euros les dommages-intérêts qui leurs sont dus au titre de l'expropriation irrégulière d'un bien qui n'est pas « en nature » d'être restitué et de leur allouer une indemnisation due au titre de leur préjudice moral ;
Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu que les propriétaires des parcelles dont le transfert de propriété a été annulé et qui ne sont pas en état d'être restituées devaient être indemnisés de la perte de la plus-value correspondant à la différence existant entre la valeur de ces biens au jour de la décision constatant l'impossibilité de les restituer et le montant de l'indemnité principale de dépossession qu'ils avaient perçue, augmentée des intérêts depuis son versement ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la commune de Salbris aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la commune de Salbris et la condamne à payer aux consorts X...-Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour la commune de Salbris
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait fixé à la somme de 115. 802, 76 euros le montant de l'indemnité allouée aux consorts X...-Y... et en ce qu'il avait dit qu'il convenait d'en déduire la somme de 94. 500 euros, d'avoir, statuant à nouveau, fixé à la somme de 442. 822, 74 euros les dommages-intérêts dus par la commune de Salbris aux consorts X...-Y... au titre de l'expropriation irrégulière d'un bien qui n'est pas en nature d'être restitué et d'avoir fixé à 3. 000 euros l'indemnisation dont la commune de Salbris leur est redevable au titre de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE de fait, les deux emprises litigieuses supportent sur l'ensemble de leur superficie une caserne de gendarmerie en activité depuis 2010, comprenant des locaux de service et des locaux techniques, dix-sept logements, trois hébergements de gendarmes adjoints et des parkings aériens, avec leur enceinte et leurs systèmes de clôture et de protection, dont la démolition, en vue de la restitution du terrain, porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ; qu'en application de l'article R. 12-5-4 du code de l'expropriation, le particulier irrégulièrement exproprié et qui ne peut bénéficier de la restitution, doit recevoir la valeur réelle de l'immeuble au jour de la décision constatant l'absence de restitution, sous la seule déduction de l'indemnité déjà perçue augmentée des intérêts au taux légal ; que c'est le jugement entrepris, prononcé le 27 juin 2014, qui, en des dispositions non critiquées, a constaté que les biens expropriés n'étaient pas en état d'être restitués et que les consorts X.../ Y... n'en demandaient pas la restitution ; que les parcelles d'emprise, cadastrées à l'origine AR n° 267 et 268, étaient situées en zone NA à la date de référence, c'est à dire dans une zone naturelle proche d'une zone urbanisée destinée à l'urbanisation future, et c'est sur cette base, tout en retenant qu'il s'agissait de terrains en situation privilégiée, que l'indemnité principale d'expropriation avait été fixée à 94. 500 euros par cette cour dans son arrêt du 14 avril 2009 ; que le terrain, désormais cadastré AR n° 527, est classé en zone UB depuis la révision du plan local d'urbanisme approuvée le 23 mai 2013, ce qui correspond au tissu urbain dans la continuité de l'hyper-centre, et il est bâti ; que l'indemnité revenant aux consorts X.../ Y... doit donc correspondre à la valeur actuelle du terrain, évalué comme un terrain à bâtir ; que les termes de comparaison cités par le commissaire du gouvernement, tirés de mutations de terrains à bâtir en zone UB intervenues à Salbris depuis le 1er janvier 2012 et publiées au service de la publicité foncière-dont il a pertinemment proposé d'exclure trois cessions moins significatives du fait d'un autre classement, de la présence d'une construction et d'une grande façade sur rue-dégagent huit références relativement pertinente :. vente du 26/ 01/ 2012 AD n° 584 de 1. 880m2 à 38 euros du m2 ; vente du 02/ 05/ 2012 AD n° 615 de 335 m2 à 38 euros du m2 ; vente du 22/ 05/ 2012 AP n° 663 de 366 m2 à 27, 32 euros du m2 ; vente 07/ 07/ 2012 AN n° 445 de 450 m2 à 40 euros du m2 ; vente du 13/ 09/ 2012 AD n° 619-620 de 638 m2 à 38 euros du m2 ; vente du 20/ 12/ 2012 AI n° 295 de 406 m2 à 29, 56 euros du m2 ; vente du 12/ 03/ 2013 AP n° 663 de 366 m2 à 54, 64 euros du m2 ; vente du 27/ 11/ 2012 BL n° 229 de 1. 190 m2 à 39, 50 euros du m2 dans une fourchette de prix situés entre 27, 32 euros et 54, 64 euros du m2, soit une moyenne de 38 euros du m2 ; que les autres parties ne signalent pas d'autres termes de comparaison pertinents ; qu'il n'a pas été retrouvé de mutation en UB ayant porté sur de vastes terrains tels celui des consorts X.../ Y..., mais il est notoire que le prix de tels terrains est inversement proportionnel à leur surface dans une localisation comme celle de l'espèce, et l'étude des huit termes de comparaison qui viennent d'être recensés d'une part, confirme que les parcelles les plus vastes ne sont pas celles qui se négocient au plus haut prix, et d'autre part que les deux plus grands terrains se sont respectivement vendus à 38 et 39, 50 euros du m2 ; qu'il y a donc lieu de valider comme base cette moyenne de 38 euros du m2, à laquelle le commissaire du gouvernement propose de façon convaincante d'appliquer, en raison de la très grande surface considérée-soit 180 mètres de façade par 117 m de profondeur-un coefficient de dégressivité par zone, pour tenir compte du fait que la partie du terrain proche des réseaux à plus de valeur que celles qui en sont éloignées, en retenant ainsi une profondeur de 50 mètres qui détermine : 1re zone : 38 euros x 9. 000m2 (50m x 180) = 342. 000 euros ; 2e zone : (38 euros x 50 % = 19 euros) x 9. 000m2 = 171. 000 euros ; 3e zone : (19 euros x 50 % = 9, 50 euros) x 3. 000m2 = 28. 500 euros, soit une valeur totale de 541. 500 euros qui revient à un prix moyen pour l'ensemble de 25, 78 euros tout à fait représentatif ; que doit être déduite de cette indemnité l'indemnité déjà perçue, soit 94. 500 euros, augmentée des intérêts au taux légal, qui totalisent 4. 177, 26 euros au 10 février 2015, jour du présent arrêt (2. 453, 12 euros en 2009 pour 250 jours au taux de 3, 79 % + 614, 25 euros en 2010 pour 365 jours au taux de 0, 65 % + 359, 10 euros en 2011 pour 365 jours au taux de 0, 38 % + 670, 95 euros en 2012 pour 365 jours au taux de 0, 71 % + 37, 80 euros en 2013 pour 365 jours au taux de 0, 04 % + 37, 80 euros en 2014 pour 365 jours au taux de 0, 04 % et 4, 24 euros en 2015 pour 41 jours à 0, 04 %), soit 98. 677, 26 euros ; qu'il revient donc 442. 822, 74 euros aux consorts X.../ Y..., sauf à tenir compte de la somme de 120. 808, 22 euros que la commune justifie (cf. sa pièce n° 25) leur avoir versée suivant mandat de paiement du 8 août 2014 en exécution du jugement déféré ; que l'anatocisme est de droit lorsqu'il est sollicité en justice et il a été accordé à raison ; qu'encore, la prohibition d'indemniser le préjudice moral applicable en matière d'expropriation, invoquée par le commissaire du gouvernement, ne s'applique pas à l'indemnité due en cas de perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation, où l'article R. 12-5-4, alinéa 2 du code de l'expropriation édicte que le juge statue sur la demande de l'exproprié en réparation du préjudice causé par l'opération irrégulière, et où la Cour européenne des droits de l'homme prescrit, comme en conviennent la commune et les consorts, d'indemniser le tort moral résultant, pour les expropriés, du sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien, ce qui justifie, en l'espèce, de leur allouer une indemnité de 3. 000 euros ;
1/ ALORS QUE si, en vertu de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international, l'indemnisation accordée à la victime d'une expropriation jugée irrégulière doit se faire en conformité avec les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme dans la mise en oeuvre du texte ; qu'en particulier, les modalités d'indemnisation arrêtées par la Cour sous l'angle de la satisfaction équitable de l'article 41 de la Convention, laquelle suppose que le droit interne de l'Etat concerné soit considéré comme ne permettant d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de la violation de la Convention, s'imposent à tous les Etats contractants dès lors que leur propre système de droit aboutirait à une solution différente de celle de la Cour ; que dans son arrêt de Grande Chambre Guiso-Gallisay c. Italie en date du 22 décembre 2009 (req. n° 58558/ 00), la Cour européenne a jugé que la victime d'une expropriation irrégulière, en cas d'impossibilité de restitution en nature des biens expropriés, devait se voir allouer une indemnité correspondant, non pas à la valeur actuelle des terrains augmentée de la plus-value apportée par la présence de bâtiments construits par l'autorité expropriante, mais à la valeur des terrains au jour où les expropriés ont eu la certitude juridique d'avoir perdu leur droit de propriété, la somme ainsi dégagée devant être majorée des intérêts dus au jour de la décision d'indemnisation et minorée de l'indemnité éventuellement déjà reçue par l'exproprié ; que pour sa part, le code de l'expropriation se borne à prévoir, dans son article R. 12-5-4 (devenu R. 223-6), qu'en cas de perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation constatée par le juge, si le bien exproprié n'est pas en état d'être restitué, l'action de l'exproprié se résout en dommages-intérêts sans autre précision ; que la jurisprudence qui décide qu'en application de l'article R. 12-5-4 (devenu R. 223-6) du code de l'expropriation, « un bien irrégulièrement exproprié, qui ne peut être restitué en nature, entraîne pour l'exproprié le droit à des dommages-intérêts correspondant à la valeur actuelle du bien, sous la seule déduction de l'indemnité principale de dépossession perçue au moment de l'expropriation majorée des intérêts depuis son versement », n'est pas conforme à l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 susvisé tel que mis en oeuvre par la Cour européenne des droits de l'homme ; qu'en l'espèce, en infirmant le jugement, qui avait fait application des principes posés par la Cour européenne, pour appliquer l'article R. 12-5-4 (devenu R. 223-6) du code de l'expropriation tel qu'interprété par la Cour de cassation, aboutissant ainsi à allouer aux expropriés, non pas une indemnité correspondant à la valeur des terrains au jour où ils ont eu la certitude juridique d'avoir perdu leur propriété, majorée des intérêts dus au jour de la décision d'indemnisation et minorée de l'indemnité éventuellement déjà reçue, mais une indemnité correspondant à la valeur actuelle du bien, sous la seule déduction de l'indemnité principale de dépossession perçue au moment de l'expropriation majorée des intérêts depuis son versement, la cour d'appel a violé les articles R. 12-5-4 (devenu R. 223-6) du code de l'expropriation et 545 du code civil, ensemble les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 et 41 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
2/ ALORS QUE, subsidiairement, en s'abstenant de s'expliquer expressément sur la mise à l'écart de la méthode d'évaluation du préjudice des expropriés résultant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui avait été mise en oeuvre par le premier juge et était revendiquée devant elle par la commune, pour se borner à appliquer la méthode retenue par la jurisprudence de la Cour de cassation, aboutissant à indemniser sans plus de justifications les expropriés au regard de la valeur de terrains constructibles, quand ils étaient situés en zone NA du POS et donc inconstructibles au jour où ils avaient eu la certitude de la perte de leur droit de propriété, la cour d'appel n'a en tout état de cause pas donné de base légale à sa décision au regard des articles R. 12-5-4 (devenu R. 223-6) du code de l'expropriation et 545 du code civil, ensemble les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 et 41 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.