LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Gérard X..., - La commune du Pré Saint-Gervais, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 2 avril 2015, qui, dans la procédure suivie, sur leur plainte, contre M. Franz-Olivier Y... des chefs de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et envers une administration publique, a prononcé la nullité des poursuites ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de la société civile professionnelle YVES et BLAISE CAPRON, de la société civile professionnelle DE CHAISEMARTIN et COURJON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs, le mémoire en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, des dispositions des articles 30, 31 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, des dispositions de l'article 1382 du code civil et des dispositions des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité de la citation introductive d'instance du 22 février 2012 et de la poursuite subséquente et a débouté la commune du Pré Saint-Gervais et M. Gérard X... de toutes leurs demandes ;
aux motifs qu'il résulte de l'article 53 de la loi sur la presse que la citation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait invoqué et indiquer le texte de loi applicable à l'action, fixant ainsi irrévocablement le champ des poursuites afin que le défendeur puisse, dès l'introduction de l'instance, connaître sans équivoque les faits dont il aura exclusivement à répondre et les moyens de défense qu'il pourra leur opposer ; que les formalités prescrites par ce texte sont substantielles aux droits de la défense et leur inobservation entraîne la nullité à la fois de la citation et de la poursuite elle-même ; que la défense fait valoir que la citation a été délivrée à la requête de M. X... comme représentant la commune du Pré Saint-Gervais et de la commune du Pré Saint-Gervais représentée par son maire en exercice, M. X... ; qu'ainsi, on ne peut considérer qu'il agit en son nom personnel ; qu'en second lieu la citation laisse la défense incertaine quant aux propos faisant l'objet des poursuites dans la mesure où certains propos sont reproduits en caractère gras et soulignés en page 3 de la citation ainsi qu'en page 7 dans le dispositif et qu'il est par ailleurs indiqué en page 5 et en page 7 que la publication est diffamatoire et " plus particulièrement sont diffamatoires des termes désignés en caractères gras et soulignés " ; qu'il existe donc une ambiguïté sur les propos poursuivis ; qu'en outre le double visa des articles 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 est appliqué de manière indifférenciée aux mêmes passages de l'article litigieux, supposés porter atteinte, indifféremment, à la commune et à son maire, ne permettant pas de déterminer sur quel passage M. X...agit ou non à titre personnel ; que les parties civiles considèrent qu'il n'y a aucune incertitude et ambiguïté sur les termes de la citation ; que les propos qui étaient poursuivis figuraient en caractères gras et soulignés tels que rappelés à deux reprises au moins dans le corps de la citation ; qu'il n'y a pas non plus d'incertitude sur la qualité des personnes qu'ils poursuivent, la citation visant bien les délits commis au visa des articles 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881, délits commis à l'encontre d'un citoyen chargé d'un mandat public ainsi que de la commune du Pré Saint-Gervais représentée par son maire ; que c'est par des motifs pertinents que les premiers juges ont estimé que l'incertitude sur la qualité des requérants contre lesquels il doit se défendre invoquée par le prévenu en raison des mentions contenues en tête de la citation introductive d'instance à la suite du nom de M. X...- " Maire en exercice représentant la Commune du Pré Saint-Gervais "- doit être considérée comme levée à la lecture de la citation en son entier-aucun doute ne pouvant subsister sur le fait que tant M. X..., agissant à titre personnel en qualité de maire en exercice sur le fondement de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881, que la commune du Pré Saint-Gervais, agissant sur le fondement de l'article 30 de la même loi poursuivent le prévenu en qualité de parties civiles ; que la cour confirmera donc les premiers juges sur ce point ; que, toutefois, c'est également à juste titre que les premiers juges ont estimé que la citation litigieuse était génératrice d'ambiguïté et d'incertitude ; qu'en effet, d'une part, les propos faisant l'objet des poursuites ne sont pas définis de façon constante selon que l'on se réfère au contenu de la citation qui précise que les propos poursuivis figurent en caractères gras et soulignés, ou au dispositif de la citation et à la page cinq, qui visent comme étant diffamatoires l'intégralité de l'article et la publication dans son ensemble ; que, d'autre part, la citation ne précise nullement quels propos imputent précisément au maire, en tant que citoyen chargé d'un mandat public, une tentative d'escroquerie envers un de ses administrés ainsi qu'une tentative de prévarication, et quels propos portent atteinte précisément à l'honorabilité de la commune du Pré Saint-Gervais en mettant en doute l'intérêt collectif de ses décisions et actions ; qu'aucun élément ne permet de déterminer sur quel passage M. X...agit ou non à titre personnel ; qu'à défaut d'apporter ces précisions il existe une incertitude et une ambiguïté préjudiciables aux droits de la défense, en violation des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; que la cour confirmera donc le tribunal en ce qu'il a fait droit à l'exception de nullité de la citation du 22 février 2012 et de la poursuite subséquente, soulevée par la défense ; … qu'il convient en conséquence de débouter les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes ;
" 1°) alors que la citation qui vise, en les reproduisant, en caractères gras et soulignés ou surlignés, les passages précis d'un article qu'elle incrimine satisfait aux dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, même si, par ailleurs, elle reprend l'intégralité de cet article ou indique qu'est poursuivie l'intégralité des termes de ce même article, dès lors qu'une telle citation permet au prévenu d'être pleinement informé des faits qui lui sont reprochés et, donc, de préparer utilement sa défense ; qu'en énonçant, par conséquent, pour prononcer la nullité de la citation introductive d'instance du 22 février 2012 et de la poursuite subséquente et pour débouter, en conséquence, la commune du Pré Saint-Gervais et M. X... de toutes leurs demandes ; que les propos faisant l'objet des poursuites n'étaient pas définis, dans la citation introductive d'instance du 22 février 2012, de façon constante selon que l'on réfère au contenu de la citation qui précisait que les propos poursuivis figuraient en caractères gras et soulignés ou au dispositif de la citation et à la page cinq, qui visaient comme diffamatoires l'intégralité de l'article et la publication dans son ensemble, quand la citation introductive d'instance du 22 février 2012 visait, en les reproduisant, en caractères gras et soulignés, les passages précis de l'article litigieux qu'elle incriminait, la cour d'appel a violé les dispositions et stipulations susvisées ;
" 2°) alors qu'à titre subsidiaire, en énonçant, pour prononcer la nullité de la citation introductive d'instance du 22 février 2012 et de la poursuite subséquente et pour débouter, en conséquence, la commune du Pré Saint-Gervais et M. X... de toutes leurs demandes ; que les propos faisant l'objet des poursuites n'étaient pas définis, dans la citation introductive d'instance du 22 février 2012, de façon constante selon que l'on réfère au contenu de la citation qui précisait que les propos poursuivis figuraient en caractères gras et soulignés ou au dispositif de la citation et à la page cinq, qui visaient comme diffamatoires l'intégralité de l'article et la publication dans son ensemble, quand le dispositif et la page cinq de la citation introductive d'instance du 22 février 2012 ne pouvaient être regardés comme visant comme diffamatoires l'intégralité de l'article litigieux et la publication dans son ensemble, la cour d'appel a violé les dispositions et stipulations susvisées ;
" 3°) alors que les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exigent seulement, à peine de nullité, que la citation précise et qualifie le fait incriminé et indique le texte applicable à la poursuite ; que les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 n'exigent donc pas, à peine de nullité, lorsque la citation a été délivrée à la requête de plusieurs parties, que la citation indique, parmi les faits qu'elle incrimine et vise, ceux qui sont incriminés par chacune de ces parties ; qu'en énonçant, dès lors, pour prononcer la nullité de la citation introductive d'instance du 22 février 2012 et de la poursuite subséquente et pour débouter, en conséquence, la commune du Pré Saint-Gervais et M. X... de toutes leurs demandes ; que la citation ne précisait nullement quels propos imputent précisément au maire, M. X..., en tant que citoyen chargé d'un mandat public, une tentative d'escroquerie envers un de ses administrés ainsi qu'une tentative de prévarication, et quels propos portent atteinte précisément à l'honorabilité de la commune du Pré Saint-Gervais en mettant en doute l'intérêt collectif de ses décisions et actions ; qu'aucun élément ne permettait de déterminer sur quel passage M. X...agissait ou non à titre personnel et qu'à défaut d'apporter ces précisions, il existait une incertitude et une ambiguïté préjudiciable aux droits de la défense, en violation des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, quand, en se déterminant de la sorte, elle ajoutait aux exigences édictées par les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 une obligation que celles-ci ne prévoient pas, la cour d'appel a violé les dispositions et stipulations susvisées ;
" 4°) alors qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait retenu que les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 exigent, à peine de nullité, lorsque la citation a été délivrée à la requête de plusieurs parties, que la citation indique, parmi les faits qu'elle incrimine et vise, ceux qui sont incriminés par chacune de ces parties, cette exigence est satisfaite lorsque la citation indique que les parties incrimine des faits identiques ; qu'en énonçant, dès lors, pour prononcer la nullité de la citation introductive d'instance du 22 février 2012 et de la poursuite subséquente et pour débouter, en conséquence, la commune du Pré Saint-Gervais et M. X... de toutes leurs demandes ; que la citation ne précisait nullement quels propos imputent précisément au maire, M. X..., en tant que citoyen chargé d'un mandat public, une tentative d'escroquerie envers un de ses administrés ainsi qu'une tentative de prévarication, et quels propos portent atteinte précisément à l'honorabilité de la commune du Pré Saint-Gervais en mettant en doute l'intérêt collectif de ses décisions et actions ; qu'aucun élément ne permettait de déterminer sur quel passage M. X...agissait ou non à titre personnel et qu'à défaut d'apporter ces précisions, il existait une incertitude et une ambiguïté préjudiciable aux droits de la défense, en violation des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, quand la citation introductive d'instance du 22 février 2012 indiquait que M. X..., agissant à titre personnel, et la commune du Pré Saint-Gervais incriminaient les mêmes passages de l'article litigieux, la cour d'appel a violé les dispositions et stipulations susvisées " ;
Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que ce texte n'exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans la citation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue ; que la nullité ne peut être prononcée que si la citation a pour effet de créer une incertitude dans l'esprit des prévenus quant à l'étendue des faits dont ils ont à répondre ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Gérard X..., en sa qualité de maire, et la commune du Pré Saint-Gervais ont fait citer devant le tribunal correctionnel M. Franz-Olivier Y..., directeur de publication de la société Sebdo Le Point, et ladite société, en qualité de civilement responsable, des chefs de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et envers une administration publique, pour avoir publié sur le site internet de l'hebdomadaire un article intitulé : " Scandale immobilier au Pré Saint-Gervais ", leur imputant d'abuser du droit de préemption, de sommer les vendeurs d'accepter des prix minorés, de bloquer les permis de construire, et de procéder de la sorte, à des fins privées, pour se procurer un financement politique et " remercier " les édiles ayant permis la réalisation de l'opération ;
Attendu que, pour prononcer la nullité de la citation, le tribunal, après en avoir analysé les motifs et le dispositif, a relevé d'office qu'il existait une incertitude et une ambiguïté préjudiciables aux droits de la défense sur les propos exacts faisant l'objet des poursuites ; que les parties civiles, le prévenu et le civilement responsable ont relevé appel de ce jugement ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir approuvé les motifs des premiers juges, ajoute que la citation ne précise nullement quels propos imputaient au maire, en sa qualité de citoyen chargé d'un mandat public, des faits de tentative d'escroquerie et de prévarication, et quels propos portaient atteinte à l'honorabilité de la commune poursuivante ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la citation précisait, d'une part, qu'étaient poursuivis les passages de l'article reproduits en caractères gras et soulignés, d'autre part, que la publication litigieuse portait également atteinte à l'honorabilité de la commune qui reprenait à son profit l'ensemble des observations exposées pour le compte de son maire, la cour d'appel qui, au demeurant, n'aurait pas dû soulever d'office des moyens de nullité tenant à l'existence d'une incertitude et d'une ambiguïté sur les propos poursuivis dont les défendeurs ne se prévalaient pas, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 2 avril 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre mai deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.