LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Hermine X... est décédée par asphyxie à l'âge de vingt-six mois ; qu'imputant son décès à l'ingestion d'une saucisse apéritive fabriquée par la société Kermené et reprochant à cette dernière l'absence, sur l'emballage du produit, de mise en garde contre le risque d'étouffement pour les enfants de moins de quatre ans, M. et Mme
X...
, agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, l'ont assignée, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, en réparation de leur préjudice ;
Attendu que, pour rejeter leur demande, l'arrêt énonce que le témoignage de Mme
X...
ne permet pas d'affirmer, de manière certaine, que l'enfant a ingéré une mini-saucisse entière, du fait même de la formulation utilisée, les termes de " bouchée de saucisse " évoquant plus sûrement l'hypothèse que la mini-saucisse avait été coupée avant d'être proposée à l'enfant ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans l'attestation en cause, Mme
X...
indiquait qu'elle avait accepté de servir à sa fille " ces bouchées de saucisse " et qu'elle avait piqué " une bouchée de saucisse sans la découper ", la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 décembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Kermené aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Kermené ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour M. et Mme
X...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté les époux
X...
de leurs demandes à l'encontre de la société Kermené
AUX MOTIFS, expressément substitués à ceux des premiers juges, QUE le producteur était responsable du dommage causé par un défaut de son produit ; qu'un produit était défectueux lorsqu'il n'offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre ; qu'il fallait tenir compte de toutes les circonstances (présentation du produit ; usage ; moment de la mise en circulation) ; qu'un produit ne pouvait être considéré comme défectueux du seul fait qu'un autre, plus perfectionné, avait mis postérieurement en circulation ; qu'il appartenait au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité ; que les documents médicaux invoqués partaient du présupposé du rôle certain d'une mini-saucisse inhalée entièrement dans la réalisation du décès de la fillette ; que le docteur Y..., expert sollicité par la société Kermene, avait exclu quant à lui l'hypothèse d'une inhalation d'une mini-saucisse ; que le docteur Z..., consulté par Madame
X...
, avait estimé que le corps étranger avait entraîné l'asphyxie ; que le docteur A...avait estimé qu'un aliment de 2 cm de diamètre était susceptible de se loger en entier sans être mâché, dans la gorge d'un enfant de 2 ans et 3 mois ; que le docteur B..., expert judiciaire, avait conclu qu'un enfant de quatre ans pouvait avaler cet aliment sans l'avoir préalablement mâché ; que le rôle causal d'une mini-saucisse, ingérée en entier, résultait de ces avis médicaux ; qu'avant de se prononcer sur le caractère défectueux de cet aliment, il convenait de rechercher s'il était établi de manière certaine son implication dans le décès de l'enfant ; que les services de gendarmerie n'avaient pas procédé à l'audition des parents ; que les causes du décès par asphyxie avaient été confirmées par l'examen du médecin-légiste, qui n'avait constaté aucun signe de violence ; que le médecin-légiste n'avait pas estimé nécessaire d'effectuer un prélèvement ; qu'il n'avait donc pas été médicalement identifié la nature du corps étranger et la forme sous laquelle il avait été ingéré ; qu'il n'y avait pas lieu de rejeter le témoignage de Madame
X...
, fait au moyen d'une déclaration sur l'honneur ; que ce témoignage était intervenu en février 2011, plusieurs mois après le décès ; que Madame
X...
entendait préciser les circonstances précises du dîner « durant lequel une bouchée de saucisse » avait été proposée à sa fille ; que plus loin, elle écrivait : « je prends la fourchette et je pique une bouchée de saucisse sans la découper, sans prendre de pâtes, elle la voit tout de suite et, par gourmandise, se jette dessus. Elle l'avale tout rond » ; que ce témoignage permettait d'exclure les pâtes comme étant le corps étranger cause de l'asphyxie ; qu'il ne permettait pas, cependant, d'affirmer de manière certaine que l'enfant avait ingéré une mini-saucisse entière, du fait même de la formulation utilisée ; que les termes « bouchée de saucisse » évoquaient plus sûrement l'hypothèse que la mini-saucisse avait été préalablement coupée avant d'être proposée à l'enfant ; qu'il excluaient d'ailleurs, ainsi, toute imprudence ou défaut de surveillance de la mère lors du repas de l'enfant ; qu'il existait donc, à la lecture de ce témoignage, un sérieux doute quant à l'implication d'une mini-saucisse entière par l'enfant, ce qui n'excluait pas l'hypothèse d'une fausse route d'une bouchée de saucisse, cause du décès, dont ni la mère, ni la société Kermené n'étaient responsables ; que l'attestation mentionnait par ailleurs que les témoins n'avaient pu être témoins directs de l'ingestion fatale ; que dès lors, faute d'apporter la preuve de l'implication certaine d'une mini-saucisse entière dans la survenance du décès, il n'y avait pas lieu de rechercher si ce produit offrait ou non la sécurité à laquelle on pouvait légitiment s'attendre ; que la décision entreprise devait être confirmée par substitution de motifs ;
1) ALORS QUE la Cour d'appel a affirmé que les énonciations de l'attestation sur l'honneur de Madame
X...
, mère de la petite victime ne permettaient pas d'affirmer que l'enfant avait ingéré une saucisse entière, « du fait même de la formulation utilisée » et que les termes « bouchées de saucisse » évoquaient plus « l'hypothèse que la mini-saucisse avait été préalablement coupée » ; que pourtant, l'attestation susvisée, comme l'a rappelé la Cour d'appel elle-même (arrêt, page 7, 3ème alinéa), énonçait en toutes lettres « je prends la fourchette et je pique une bouchée de saucisse, sans la découper, sans prendre de pâtes, elle la voit tout de suite et par gourmandise se jette dessus. Elle l'avale tout rond » ; que la Cour d'appel a dénaturé l'attestation sur l'honneur de Madame
X...
, violant l'article 1134 du code civil ;
2) ALORS QUE, en relevant elle-même (arrêt, page 7, 3ème alinéa) que la mère de l'enfant avait énoncé expressément qu'elle n'avait pas découpé la mini-saucisse et en affirmant ensuite qu'il résultait de son témoignage évoquait l'hypothèse que la mini-saucisse avait préalablement coupée, la Cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant l'article 455 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE la société Kermené avait demandé que l'attestation sur l'honneur de Madame
X...
soit écartée des débats et n'a donc jamais soutenu qu'il en résultait que la mini-saucisse n'avait pas été ingérée en entier par la petite victime ; que la Cour d'appel a soulevé ce moyen d'office, sans provoquer la discussion des parties, violant l'article 16 du code de procédure civile ;
4) ALORS QUE, en tout état de cause, la Cour d'appel n'a pas nié le rôle causal de l'ingestion d'une mini-saucisse, produite par la société Kermené, dans le décès de la jeune Hermine, à supposer même qu'elle n'ait pas été ingérée en entier par l'enfant ; qu'elle ne pouvait, dès lors, se dispenser de s'interroger sur la dangerosité du produit ; qu'elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1386-2 du code civil.