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31/03/2016 | FRANCE | N°15-82417

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 mars 2016, 15-82417


Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Jacques X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 19 mars 2015, qui, pour menace de mort à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique, l'a condamné à 300 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 février 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Béghin, conseiller rapporteur, M. Castel, M. Raybaud, Mme Caron, M. Moreau, Mme Drai, M. Stephan

, conseillers de la chambre, M. Laurent, Mme Carbonaro, conseillers référend...

Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Jacques X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 19 mars 2015, qui, pour menace de mort à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique, l'a condamné à 300 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 février 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Béghin, conseiller rapporteur, M. Castel, M. Raybaud, Mme Caron, M. Moreau, Mme Drai, M. Stephan, conseillers de la chambre, M. Laurent, Mme Carbonaro, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lacan ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BÉGHIN, les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, de la société civile professionnelle MEIER-BOURDEAU et LÉCUYER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 7, 9, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3, 111-4, 121-1, 121-3, 121-6, 121-7, 433-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, insuffisance de motifs ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a sur l'action publique, déclaré M. X... coupable des faits reprochés, l'a condamné à une amende de 300 euros et a ordonné la confiscation des scellés et, sur l'action civile, a condamné le demandeur à payer à M. Y... la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs propres qu'il résulte de pièces du dossier et des débats que le 27 fevrier 2011 a été mise en ligne, sur le site internet Dailymotion, une vidéo relative a des événements ayant opposé des manifestants aux forces de police, dirigées par M. Y..., directeur départemental de la sécurité publique de la Vienne ; que, dans ce film, des images de graffitis apposés sur des monuments de Poitiers annonçaient " Y..., on aura ta peau ", " vendetta contre la police ", " la plus belle des sculptures c'est un pavé de coeur d'agglo dans la gueule de Y... ", l'expression " Y... on aura ta peau " étant reprises plusieurs fois, soit sous forme de film montrant un graffiti, soit en voix " off " ; que les investigations entreprises n'ont pas permis d'identifier l'auteur de la vidéo ; qu'en revanche, il a été établi que M. X..., créateur et administrateur d'un site internet " nidieuxnimaitreenpoitou ", avait créé sur son blog un lien permettant d'accéder facilement à cette vidéo sans avoir à la rechercher sur le site Dailymotion ; que les menaces de mort contre M. Y... sont précises, réitérées, et décrites précisément par le jugement, comme la cour a pu s'en assurer en visionnant le film ; que les multiples photographies de M. Y..., en uniforme de directeur départemental de la sécurité publique, illustrant la vidéo entre deux menaces de mort, ne peut laisser aucun doute sur la personne visée par celles-ci ; que M. X... a admis avoir installé le lien avec cette vidéo " de telle sorte que l'utilisation soit à la fois facile et esthétique " ; qu'une telle démarche a, nécessairement, facilité la divulgation des menaces de mort contre M. Y... ; qu'ainsi, le prévenu s'est bien rendu coupable de diffusion du message contenant des menaces de mort envers la partie civile, par l'intermédiaire du site dont il était le responsable et l'administrateur ; que le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qui concerne la culpabilité du prévenu ; que la peine prononcée par les premiers juges répond aux exigences des articles 130-1, 132-1 et 132-20 du code pénal et sera confirmée ; que la partie civile, régulièrement appelante du jugement, reprend ses demandes de première instance ; qu'au vu des débats, les premiers juges ont fait une exacte évaluation des dommages-intérêts devant réparer le préjudice de M. Y... ; que les dispositions civiles du jugement seront confirmées ; que l'équité ne commande pas, en conséquence, de faire bénéficier la partie civile des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel ;
" et aux motifs adoptés que, sur le caractère menaçant de la vidéo, il ne saurait être valablement soutenu que les propos photographiés " Y... ont aura ta peau " et " La plus belle des sculptures c'est un pavé de coeur d'agglo dans la gueule de Y... ", et les propos soulignés par la voix off " Y... on aura ta peau ", n'ont pas un caractère menaçant ; que l'expression " on aura ta peau " exprime clairement une menace de mort ; qu'elle apparaît écrite et elle est entendue dite à plusieurs reprises au cours de la vidéo ; qu'elle s'est répétée à l'envi à chaque nouveau visionnage de la vidéo ; que la fonction de M. Y... est clairement visée, l'intention est soulignée par les inscriptions " Mort aux keufs ", " mort a la BAC de Poitiers " et " Vendetta contre la police " ; que la photographie de M. Y... en grand uniforme de sa fonction ne laisse aucun doute sur sa qualité de personne dépositaire de l'autorité publique ; qu'iI est vain de dire que la menace n'a pas été adressée directement à M. Y... quand, au contraire, le site Dailymotion a vocation à être vu par le monde entier ; qu'il s'en déduit donc que la vidéo intitulée " Poitiers Street duel " contient des menaces à l'encontre de M. Y..., personne dépositaire de l'autorité publique ; que, sur l'intention frauduleuse, M. X... reconnaît être le fondateur et le seul administrateur du blog http :// nidieuxnimaitreenpoitou. over-blog. com ; qu'il est le seul à choisir ce qui sera ou non diffusé sur ce blog ; qu'il est, en contrepartie, le seul responsable de ce qui est diffusé sur ce blog, y compris pénalement ; qu'iI n'est pas prétendu que M. X... soit l'auteur de la vidéo incriminée ; que, cependant, en créant sur son blog un lien en permettant la vision directe sans avoir à la rechercher sur Dailymotion, il a contribué à la propagation de cette vidéo parmi les internautes dont ceux qui visitent son site et n'auraient pas eu forcément connaissance de la vidéo litigieuse sans l'existence de ce lien ; que c'était bien son intention puisqu'il a déclaré " J'ai installé le lien de telle sorte que l'utilisation soit à la fois facile et esthétique " (D52) ; que M. X... à l'appui de sa bonne foi indique qu'il n'a accompagné le lien installé sur son blog d'aucun commentaire, ni d'aucune incitation à commettre la moindre violence ; que, si le défaut d'incitation à commettre la moindre violence est certes à mettre a son crédit, le défaut de commentaire mis en avant, constitue quant à lui, une adhésion tacite au message qu'il relaye et contribue à prouver son intention délictueuse ; que, de tous ces éléments, il convient de conclure que, s'il ne s'est peut-être pas rendu compte de la portée de ses actes, M. X... s'est rendu coupable de l'infraction qui lui est reprochée ;
" 1°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que lorsque la menace a été matérialisée dans un écrit, une image ou tout autre objet, les juges du fond doivent rechercher le véritable sens des propos tenus par l'auteur et dire en quoi les termes employés constituent une menace formulée à l'encontre de la personne concernée ; qu'ils doivent, notamment, vérifier que l'auteur du support incriminé a bien proféré personnellement une menace ; que ne peut être lui-même l'auteur de menaces celui qui informe le public sur la commission du délit de menaces par autrui et reprend à cet égard le contenu des menaces qui ont été proférées ; qu'en retenant la culpabilité du demandeur en qualité d'auteur de menaces de mort du fait de la mise à disposition, via la publication d'un lien, d'une vidéo contenant des menaces de mort à l'encontre de M. Y... sans rechercher si la vidéo incriminée ne se limitait pas à reprendre des extraits de journaux télévisés contenant eux-mêmes des images filmant les graffitis apposés sur les murs des bâtiments de Poitiers où figurait le message écrit " Y... on aura ta peau " ainsi que la voix off d'une journaliste lisant ce graffiti, partant à reprendre des éléments déjà diffusés pour l'information du public relatant eux-mêmes le contenu de menaces formulées par autrui à l'adresse de M. Y... sans jamais formuler elle-même de telles menaces, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
" 2°) alors que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait, en qualité d'auteur ou de complice dans les conditions prévues aux articles 121-6 et 121-7 du code pénal ; que le régime de responsabilité dite en cascade n'est applicable qu'aux infractions de presse à l'exclusion de toute autre infraction ; que l'article 433-3 du code pénal, qui réprime les menaces de mort contre une personne dépositaire de l'autorité publique, n'incrimine pas le fait de faciliter la diffusion de menaces de mort ; qu'en outre, une action postérieure à la commission de l'infraction principale ne saurait constituer un acte de complicité punissable ; qu'à ce titre, l'affichage d'un lien hypertexte postérieurement à la commission d'une infraction, s'il peut faciliter l'accès à un site dont le contenu est pénalement répréhensible, ne saurait constituer un acte de participation en qualité de complice à la réalisation de l'infraction dès lors que l'infraction s'est consommée en son entier indépendamment de l'affichage du lien ; que, d'abord mis en examen du chef de complicité par aide ou assistance et fourniture de moyens, M. X... a été renvoyé en qualité d'auteur du délit de menaces de mort après requalification des faits tout en étant cité devant le tribunal correctionnel pour avoir menacé de mort la partie civile " par aide ou assistance et fourniture de moyens " ce qui a entretenu une ambiguïté entre la qualification de complicité de menaces de mort et celle de menaces de mort ; qu'en retenant que le demandeur, en sa qualité de créateur et d'administrateur de son blog, en installant sur celui-ci un lien permettant d'accéder a la vidéo hébergée par le site Dailymotion, avait facilité la divulgation des menaces de mort contre la partie civile et s'était rendu coupable de diffusion d'un message contenant des menaces de mort, lorsque d'une part, la responsabilité de plein droit du créateur et administrateur du site, en tant que directeur de la publication, ne vaut que pour les délits de presse, et que d'autre part, le demandeur n'a pu être ni l'auteur du délit de menaces, puisqu'il n'a jamais été établi qu'il aurait élaboré ou mis en ligne cette vidéo sur le site Dailymotion et que l'article 433-3 du code pénal n'incrimine pas le fait de faciliter la diffusion de menaces de mort, ni le complice de ce délit du fait d'une action réalisée le 27 février 2011 soit postérieurement à la commission du délit consommé par la mise en ligne de la vidéo sur Dailymotion le 26 fevrier 2011, la cour d'appel a violé les articles 111-3, 111-4 et 121-1 du code pénal, ensemble les principes de légalité des délits et des peines et de responsabilité du fait personnel, et par fausse application l'article 433-3 du code pénal ;
" 3°) alors que le délit de menaces étant une infraction intentionnelle, il suppose que l'auteur de l'infraction ait eu connaissance du trouble psychologique que la menace pouvait causer à son destinataire et ait voulu commettre l'acte malgré tout ; qu'en retenant la culpabilité du demandeur lorsqu'il ressortait de la procédure qu'il avait seulement souhaité provoquer, par le biais de la publication sur son blog d'un lien donnant accès à la vidéo litigieuse, dont il n'était ni le créateur ni le responsable de la mise en ligne, un débat d'idées sur les manifestations de l'ultra gauche qui avaient eu lieu à Poitiers en 2009 sans avoir conscience de ce que cette vidéo aurait été constitutive du délit de menaces de mort et sans avoir voulu contribuer personnellement à ce que la partie civile fasse l'objet de telles menaces, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés ;
" 4°) alors que, si elle est proférée auprès d'un tiers, la menace est punissable uniquement si son auteur pouvait penser qu'elle serait transmise, par cet intermédiaire, à son destinataire final ; qu'en retenant la culpabilité du demandeur lorsqu'il ne ressort d'aucune constatation de l'arrêt qu'en publiant sur son blog destiné à ses lecteurs un lien permettant d'accéder à la vidéo litigieuse hébergée sur un autre site, M. X... aurait proféré des menaces de mort dont il savait qu'elles seraient transmises à M. Y..., la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Y..., directeur départemental de la sécurité publique, a porté plainte et s'est constitué partie civile à la suite de la découverte sur internet d'une vidéo le menaçant, selon lui, de mort ; que M. X..., qui avait créé sur son propre site internet un lien donnant un accès direct à ladite vidéo, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de menace de mort à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique ; que les juges du premier degré l'ont déclaré coupable de ce délit ; que M. X... a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que la vidéo, relative à une manifestation urbaine, donne à voir des graffitis exprimant des menaces de mort envers la partie civile, à raison de ses fonctions, et reprend dans sa bande sonore le texte d'un de ces graffitis ; qu'il énonce que le prévenu, en créant sur le blog dont il est l'administrateur un lien hypertexte offrant un accès facile et direct à cette vidéo, s'est rendu coupable de diffusion d'un message contenant des menaces de mort envers la partie civile ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que le renvoi par un lien hypertexte à une vidéo contenant des menaces de morts proférées par des tiers n'est pas susceptible de constituer, à lui seul, la commission par le prévenu de l'infraction prévue par l'article 433-3 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 19 mars 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Limoges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente et un mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-82417
Date de la décision : 31/03/2016
Sens de l'arrêt : Cassation et désignation de juridiction
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ATTEINTE A L'AUTORITE DE L'ETAT - Atteinte à l'administration publique commise par les particuliers - Menace et acte d'intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique - Eléments constitutifs - Elément matériel - Internet - Renvoi par un lien hypertexte à une vidéo contenant des menaces de mort - Elément suffisant (non)

Le renvoi, par un lien hypertexte, à une vidéo contenant des menaces de mort proférées par des tiers n'est pas susceptible de constituer, à lui seul, la commission du délit de menaces de mort prévu par l'article 433-3 du code pénal


Références :

article 433-3 du code pénal

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 19 mars 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 31 mar. 2016, pourvoi n°15-82417, Bull. crim. criminel 2016, n° 117
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2016, n° 117

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Lacan
Rapporteur ?: M. Béghin
Avocat(s) : SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.82417
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