LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Karist,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 26 mars 2015, qui, pour tromperie, l'a condamnée à 45 000 euros d'amende et a ordonné une mesure d'affichage ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 2 février 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mme Schneider, Mme Farrenq-Nési, M. Bellenger, conseillers de la chambre, Mme Guého, conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4, 121-1, 121-2, 131-38 et 131-39 du code pénal, L. 213-1 et L. 213-6 du code de la consommation, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Karist coupable des faits de tromperie par personne morale sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise et en répression, l'a condamnée au paiement d'une amende de 45 000 euros et a ordonné l'affichage de sa décision sur toutes les portes de l'établissement Super U de la Calmette pendant une durée de deux mois ;
" aux motifs propres que c'est par des motifs précis, complets, circonstanciés et pertinents, que la cour adopté, que les premiers juges ont estimé que la délégation de pouvoir unique, délivrée à M. X..., et produite dans les circonstances et avec la teneur précitée ne pouvait être retenue comme valable et à ce titre permettre que soit exclu l'examen de la responsabilité de la personne morale ; qu'il doit être relevé qu'à l'audience, M. Y... a exprimé qu'il n'avait pas la possibilité de surveiller le magasin et en particulier les rayons frais particulièrement exposés aux problèmes spécifiques liés aux risques de péremption des denrées mises à la vente ; que cependant, la cour observe qu'il n'a précisément délivré aucune délégation de pouvoir à ses subordonnés, avec des missions précises aux fins de surveillance de ces rayons particulièrement exposés, quitte à devoir rémunérer les salariés concernés en conséquence ; que s'abstenant de le faire, alors qu'il en détient seul le pouvoir, et ne procédant pas lui-même aux contrôles nécessaires, ainsi que le démontre la multiplication des incidents graves relevés aux termes des contrôles sanitaires pourtant réguliers, M. Y..., représentant la société, a commis une faute engageant la responsabilité de cette dernière ; qu'il doit être rappelé que seul le dirigeant de l'entreprise a en l'espèce la compétence pour mettre en oeuvre les mesures de contrôle et de gestion des denrées rigoureuses, qu'en s'abstenant d'agir en ce sens, et alors que les manquements se répètent d'année en année au fur et à mesure des inspections sanitaires, M. Y... s'est délibérément maintenu dans la méconnaissance de ses obligations, engageant là encore la responsabilité de la personne morale qui a bénéficié directement des conséquences de ces agissements, par la vente ; que le jugement déféré sera dès lors confirmé en ce qu'il a retenu la culpabilité de la société Karist prise en la personne de son représentant légal M. Y... ;
" aux motifs adoptés que, en aucun cas, cette pièce, la délégation de pouvoirs consentie à M. X..., ne peut être retenue par la juridiction comme une délégation de pouvoirs déchargeant la société Karyst, prise en la personne de son représentant légal, de sa responsabilité pénale ; qu'un tel relevé de consignes relatives à l'exercice des activités au rayon boucherie, ne comporte aucun transfert réel de responsabilité, faute de tout transfert effectif des pouvoirs normalement dévolus à la direction, M. X...n'ayant jamais été investi de l'autorité, de la compétence et des moyens nécessaires à l'exercice de sa mission ; que, bien plus, M. Y... affirmerait à l'audience que son salarié savait tout juste lire ; que, à supposer même que la juridiction retienne la validité de la délégation de pouvoirs, il convient de rappeler que le salarié d'une société, titulaire d'une délégation de pouvoirs en matière d'hygiène et de sécurité, est un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du code pénal et il engage donc la responsabilité pénale de celle-ci lorsqu'il manque aux règles qu'il était tenu de faire respecter en vertu de sa délégation (Crim. 30 mai 2000, n° 99-84. 212, Bull. crim. n° 206) ; que le fait de prolonger une date limite de consommation, de même que celui de faire obstacle à une parfaite traçabilité de la viande en ne mentionnant pas une race d'origine conforme à la réalité est de nature à tromper le consommateur sur les qualités substantielles de la marchandise ; que, sans même qu'il soit utile d'évoquer d'éventuels risques sanitaires, la tromperie visée aux poursuites est parfaitement caractérisée par l'énoncé des faits et les constatations initiales ; qu'elle repose à l'évidence, non sur une erreur ponctuelle compte tenu de sa répétition sur plusieurs barquettes, mais sur une attitude systématisée au temps du contrôle, et poursuivie manifestement dans un but lucratif ne prenant aucun compte des contraintes légales ; que la société Karyst ne peut s'en dédouanner, dès lors, qu'il ressort bien de l'enquête que les faits ont été commis sous son contrôle et dans l'intérêt de la personne morale, la « reconnaissance de culpabilité » de M. X...qui n'était pas muni d'une quelconque délégation de pouvoirs réelle en la matière ne pouvant évincer que les faits ont été manifestement accomplis dans l'intérêt de la personne morale dont la direction avait déjà été mise en cause à plusieurs reprises par le passé pour des faits similaires, alors qu'il n'est nullement justifié de raisons techniques impérieuses ayant conduit à procéder au réemballage et au rétiquetage des produits concernés ;
" 1°) alors que l'engagement de la responsabilité pénale d'une personne morale est subordonné à l'existence d'une infraction commise, pour son compte, par un organe ou représentant ; que seul le salarié titulaire d'une délégation de pouvoirs effective est susceptible d'engager la responsabilité pénale d'une personne morale lorsqu'il commet une infraction pour son compte ; qu'en l'espèce, les premiers et seconds juges ont contesté la validité de la délégation de pouvoirs consentie à M. X..., préposé du rayon boucherie ayant seul procédé à la remballe et à la mise en vente des produits objet de la poursuite ; qu'en confirmant néanmoins que la tromperie imputable à ce préposé qui n'était ni organe, ni représentant de la société Karist, pouvait engager la responsabilité pénale de cette personne morale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;
" 2°) alors que la tromperie suppose un acte positif révélant le mensonge de la personne à laquelle elle est imputée et la volonté d'induire un contractant en erreur ; qu'en l'espèce, pour engager la responsabilité pénale de la société Karist, la cour d'appel a cru pouvoir relevé que son dirigeant, M. Y..., pourtant étranger aux faits reprochés, avait commis une « faute » en « ne procédant pas lui-même aux contrôles nécessaires » ; qu'en lui reprochant ainsi de s'être montré « négligeant » en s'abstenant d'agir là où elle aurait dû établir un mensonge actif, seul apte à caractériser positivement le délit de tromperie, la cour d'appel violé les textes susvisés ;
" 3°) alors que l'engagement de la responsabilité pénale d'une personne morale est subordonné à l'existence d'une infraction commise, pour son compte, par un organe ou représentant ; que la preuve d'un défaut d'organisation de la personne morale imputable à son organe ou représentant ne peut dispenser d'avoir à prouver qu'une infraction a bien été commise pour son compte ; qu'en invoquant un défaut d'organisation de la société Karist relatif à une mauvaise répartition du pouvoir en son sein, pour pallier l'absence de preuve de l'intention coupable requise au titre du délit de tromperie poursuivi, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant en violation des textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 9 décembre 2009, les agents de la direction des services vétérinaires du Gard et de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont effectué un contrôle du magasin Super U de La Calmette faisant apparaître que plusieurs emballages de viande fraîche avaient été reconditionnés avec des dates de consommation prorogées et que d'autres mentionnaient une race d'origine non conforme à la réalité ; que la société Karist, exploitant le magasin et dont le président directeur général est M. Georges Y..., a été poursuivie pour tromperie ; que le tribunal l'a déclarée coupable des faits reprochés ; qu'appel a été interjeté ;
Attendu que, pour confirmer le jugement et retenir la responsabilité de la personne morale, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé que la tromperie, reposait non sur une erreur ponctuelle, mais sur une attitude systématisée, poursuivie dans un but lucratif pour la personne morale ne prenant aucun compte des contraintes légales et attestée par la multiplication d'incidents graves relevés par des contrôles sanitaires réguliers, énonce que M. Y..., en sa qualité de dirigeant de l'entreprise, avait la compétence pour mettre en oeuvre les mesures de contrôle et de gestion des denrées rigoureuses, s'est abstenu d'agir en ce sens et s'est délibérément maintenu dans la méconnaissance de ses obligations ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que l'infraction de tromperie peut être commise par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.