La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/02/2016 | FRANCE | N°14-50074

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 24 février 2016, 14-50074


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 octobre 2014), que, le 14 mai 1971, Floria X... a cédé à l'Etat diverses parcelles de terre lui appartenant sur l'île de Porquerolles et une partie des droits à construire attachés aux parcelles conservées par elle ; qu'un refus de permis de construire lui ayant été opposé le 29 mars 1974, elle a demandé, par lettre du 9 décembre 1980, adressée au préfet, le respect des engagements contractuels de l'Etat, ou, à défaut, le versement d'une indemnité en rÃ

©paration de son préjudice, soutenant qu'aux termes du contrat de vente, l'...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 octobre 2014), que, le 14 mai 1971, Floria X... a cédé à l'Etat diverses parcelles de terre lui appartenant sur l'île de Porquerolles et une partie des droits à construire attachés aux parcelles conservées par elle ; qu'un refus de permis de construire lui ayant été opposé le 29 mars 1974, elle a demandé, par lettre du 9 décembre 1980, adressée au préfet, le respect des engagements contractuels de l'Etat, ou, à défaut, le versement d'une indemnité en réparation de son préjudice, soutenant qu'aux termes du contrat de vente, l'Etat s'était engagé à respecter ses droits à construire sur les parcelles dont elle était demeurée propriétaire ; qu'à la suite d'une décision implicite de rejet, Floria X... a saisi la juridiction administrative, puis la juridiction judiciaire, pour obtenir la résolution de la vente ; qu'invoquant le fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant, d'une part, de la durée de la procédure clôturée par un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2006, d'autre part, de la faute lourde engagée en raison d'une méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les héritiers de Floria X... (les consorts X...) ont, par acte du 13 octobre 2011, assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en réparation de leur préjudice sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action engagée sur le fondement d'un déni de justice, alors, selon le moyen :
1°/ que l'application à une personne, par les juridictions internes, des dispositions spéciales accordant à l'Etat des privilèges porte atteinte au droit de cette personne au respect de ses biens et rompt le juste équilibre aménagé entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ; qu'il en est ainsi en cas d'asymétrie entre le délai de prescription des dettes des personnes publiques et celui de leurs créances ; que cette asymétrie doit être appréciée à la date d'expiration du délai de prescription opposé par la personne publique à la personne concernée ; qu'en décidant néanmoins qu'il convenait, pour apprécier cette asymétrie, de se placer à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé les articles 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, 2227 ancien du code civil et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que l'application à une personne, par les juridictions internes, des dispositions spéciales accordant à l'Etat des privilèges porte atteinte au droit de cette personne au respect de ses biens et rompt le juste équilibre aménagé entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ; qu'il en est ainsi, matière contractuelle, en cas d'asymétrie entre le délai de prescription des dettes des personnes publiques et celui de leurs créances ; que le nouveau délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil, lorsqu'il réduit la durée de la prescription antérieure, commence à courir à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit à compter du 19 juin 2008 ; qu'il en résulte que la prescription trentenaire dont bénéficiait l'Etat et qui était en cours à la date du 19 juin 2008 avait été remplacée par une prescription quinquennale ayant commencé à courir à compter de cette même date, pour expirer le 19 juin 2013 ; qu'il en résultait que l'Etat bénéficiait, à la date de l'action exercée par les consorts X..., d'un délai pour agir qui n'était pas expiré et qui, après avoir été sept fois plus important avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, demeurait deux fois plus important après l'entrée en vigueur de cette loi ; que cette asymétrie, dont il résultait que l'action exercée par les consorts X... était prescrite et qu'une action exercée par l'Etat ne l'aurait pas été, était constitutive d'un privilège portant atteinte au droit des consorts X... au respect de leur bien ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Mais attendu que l'Etat ne dispose, en cas de fonctionnement défectueux du service public de la justice, d'aucune action à l'encontre du justiciable concerné, de sorte qu'en l'absence d'actions réciproques pouvant avoir le même objet, soumises à des délais de prescription distincts, aucune rupture du juste équilibre entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ne peut être invoquée ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts dirigée contre l'Agent judiciaire de l'Etat en raison d'une faute lourde liée au fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
Attendu qu'après avoir rappelé, à bon droit, que l'inaptitude du service public à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué, l'arrêt relève qu'à l'occasion du pourvoi en cassation ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2006, les consorts X... n'avaient pas critiqué l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en ce qu'il avait dit que l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales était inapplicable en l'espèce ; que la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que les consorts X..., qui n'avaient pas exercé toutes les voies de recours à leur disposition, ne pouvaient se prévaloir d'aucune faute au titre d'un fonctionnement défectueux du service public de la justice ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts X... à payer une somme de 2 500 euros à l'Agent judiciaire de l'Etat et rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre février deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour les consorts X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable, comme prescrite, l'action engagée par Messieurs Jean, Maxime et François X... à l'encontre de l'Agent judiciaire de l'Etat à raison d'un déni de justice ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article 1er de la loi n° 68-1250 de la loi du 31 décembre 1968 modifiée relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : "Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis..."; que l'article 3 de ce même texte énonce que " la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure , ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement" ; que les appelants soutiennent d'abord que cette prescription quadriennale n'est pas conforme à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'Etat bénéficierait d'une prescription plus longue pour agir que ses créanciers ; d'une part, les articles 1er, 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968 modifiée ont été édictés dans un but d'intérêt général en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées contre elles, sans préjudice des droits qu'il est loisible aux créanciers de faire valoir dans les conditions et délais fixés par ces textes ; que, par suite, ceux-ci ne peuvent être regardés comme portant atteinte au droit à un procès équitable, et notamment pas au principe de l'égalité des armes, énoncé par les stipulations du 1° de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel n'est pas absolu et peut se prêter à des limitations, notamment en ce qui concerne les délais dans lesquels les actions peuvent être engagées ; que si le souci d'apurer de manière prompte les dettes de l'Etat et d'éviter de surcharger son budget de dépenses imprévues ne saurait justifier, sans rompre le nécessaire équilibre devant exister entre la protection de la propriété privée et les exigences de l'intérêt général et par suite, sans méconnaître les dispositions conventionnelles susvisées, le fait que le délai de prescription opposable aux créances ordinaires de l'Etat en vertu de l'ancien article 2227 du Code civil et fixé à trente ans, en matière de responsabilité contractuelle, par les dispositions de l'ancien article 2262 du même code, ait été six à sept fois supérieur au délai durant lequel les consorts Y... auraient pu faire valoir leur propre créance, il convient de relever qu'au jour où la Cour statue, le nouveau délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2224 du Code civil institué par la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008, coexiste avec celui de la prescription quadriennale ; que la durée de ces prescriptions est quasi-identique et qu'il ne peut être soutenu dès lors que l'application à la créance des consorts Y... de cette prescription quadriennale est incompatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il convient de rechercher le point de départ de cette prescription quadriennale pour apprécier si elle est acquise ; que cette prescription commence à courir le premier jour suivant l'année au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué ; que les appelants déclarent avoir été victimes d'un déni de justice au regard du temps écoulé entre la date du recours gracieux devant le préfet du Var et la décision de la Cour de cassation du 19 décembre 2006 soit 26 années ; que dès lors, à compter de cette décision, les consorts Y... connaissaient l'événement qui était à la source de leur dommage ; que le point de départ du délai était donc le 1er janvier 2007 et qu'il leur appartenait d'agir avant le 1er janvier 2011; qu'en assignant l'Etat le 13 octobre 2011 à raison d'un déni de justice constaté dès le 19 décembre 2006, l'action ainsi engagée était prescrite de ce chef ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics dispose :« Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (..) » ; que l'article 3 de ladite loi énonce : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement » ; qu'en outre, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes » ; qu'en premier lieu, les demandeurs soutiennent que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'opposeraient, selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme en date du 6 novembre 2009 (CEDH, ZOUBOULIDIS c/Grèce, n° 36963/06) à la conventionalité d'une différence aussi marquée que celle existant entre, d'une part, le délai de prescription trentenaire dont bénéficiait, pour ses créances ordinaires, l'État, avant l'intervention de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et, d'autre part, la prescription quadriennale opposable à ses propres créanciers ; qu'il importe de rappeler que les articles précités de la loi du 31 décembre 1968 modifiée ont été édictés dans un but d'intérêt général en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions sans préjudice des droits qu'il est loisible aux créanciers de faire valoir dans les conditions et les délais fixés par ces textes ; que par suite, les dispositions des articles 1er, 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968 ne peuvent être regardées comme portant atteinte au droit à un procès équitable et spécialement au principe de l'égalité des armes énoncé par les stipulations du 1° de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel n'est pas absolu et peut se prêter à des limitations notamment quant aux délais dans lesquels ces actions peuvent être engagées ; qu'en outre, si le souci d'apurer de manière prompte les dettes de l'État et d'éviter de surcharger son budget de dépenses imprévues ne saurait certes justifier, sans rompre le nécessaire équilibre devant exister entre la protection de la propriété privée et les exigences de l'intérêt général et, par suite, méconnaître les stipulations conventionnelles susrappelées, le fait que le délai de prescription de droit commun, opposable aux créances ordinaires de l'État en vertu de l'ancien article 2227 du Code civil et fixé à trente ans, en matière de responsabilité contractuelle, par les dispositions de l'ancien article 2262 du même code, ait été entre six et sept fois et demi supérieur au délai durant lequel les demandeurs auraient pu faire valoir leurs propres créances à l'encontre de l'État, il doit cependant être constaté, au cas présent, que le nouveau délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2224 du Code civil a coexisté avec le délai de prescription quadriennale précité durant plus de deux années ; qu'en effet, s'agissant d'une action en recherche de la responsabilité de l'État sur le fondement des dispositions des articles L. 141-1 et suivants du Code de l'organisation judiciaire du fait d'un fonctionnement défectueux du service public de la justice nationale, le point de départ du délai de prescription quadriennale ne peut qu'être fixé au 1er janvier 2007, l'arrêt susévoqué en date du 19 novembre 2006 par lequel la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par Mme Z... et M. X... à l'encontre de l'arrêt rendu le 26 mai 2005 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence devant être, en l'espèce, considéré comme étant le fait générateur du dommage invoqué par les demandeurs ; que ces derniers ne peuvent par ailleurs être légitimement regardés comme ayant ignoré l'existence de leur créance dès lors qu'il est constant que, par un jugement du 8 juin 1983, le Tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de Mme X... tendant notamment à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 7.000.000 francs en réparation du préjudice résultant du refus de lui garantir l'exécution des engagements contractuels contenus dans l'acte de cession du 14 mai 1971 ; que de plus, le rappel de la procédure ayant abouti à l'intervention de l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 19 novembre 2006 démontre que cette créance n'a cessé, depuis lors, d'être réaffirmée par ses titulaires ; que dès lors, en application des dispositions dont s'agit de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 modifiée, ledit délai de prescription quadriennale a donc expiré le 1er janvier 2011 ; que la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile étant entrée en vigueur, en application de l'article 1er du Code civil, le 19 juin 2008, la durée au cours de laquelle le délai de prescription civile de cinq ans et celui de prescription quadriennale se sont simultanément écoulés est par suite de deux ans, six mois et douze jours ; qu'eu égard à ces éléments et notamment à la quasi-identité des deux délais de prescription dont s'agit, ainsi qu'à la circonstance que le délai de prescription quadriennale a donc expiré plus de deux ans et demi après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, MM. X... ne peuvent à bon droit soutenir que l'application à leur créance de ladite prescription quadriennale serait, dans les circonstances de l'espèce, incompatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en second lieu et ainsi qu'il vient d'être dit, le délai de prescription quadriennale ayant, au cas présent, expiré le 1er janvier 2011, l'action, introduite par acte d'assignation du 13 octobre 2011, est prescrite ; que par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'éventuel défaut d'intérêt à agir de M. Jean X..., il y a lieu de rejeter les présentes demandes indemnitaires.
1°) ALORS QUE l'application à une personne, par les juridictions internes, des dispositions spéciales accordant à l'Etat des privilèges porte atteinte au droit de cette personne au respect de ses biens et rompt le juste équilibre aménagé entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ; qu'il en est ainsi en cas d'asymétrie entre le délai de prescription des dettes des personnes publiques et celui de leurs créances ; que cette asymétrie doit être appréciée à la date d'expiration du délai de prescription opposé par la personne publique à la personne concernée ; qu'en décidant néanmoins qu'il convenait, pour apprécier cette asymétrie, de se placer à la date à laquelle elle statuait, la Cour d'appel a violé les articles 1er de la loi n° 68-1250 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, 2227 ancien du Code civil et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE l'application à une personne, par les juridictions internes, des dispositions spéciales accordant à l'Etat des privilèges porte atteinte au droit de cette personne au respect de ses biens et rompt le juste équilibre aménagé entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ; qu'il en est ainsi, matière contractuelle, en cas d'asymétrie entre le délai de prescription des dettes des personnes publiques et celui de leurs créances ; que le nouveau délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2224 du Code civil, lorsqu'il réduit la durée de la prescription antérieure, commence à courir à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit à compter du 19 juin 2008 ; qu'il en résulte que la prescription trentenaire dont bénéficiait l'Etat et qui était en cours à la date du 19 juin 2008 avait été remplacée par une prescription quinquennale ayant commencé à courir à compter de cette même date, pour expirer le 19 juin 2013 ; qu'il en résultait que l'Etat bénéficiait, à la date de l'action exercée par les consorts X..., d'un délai pour agir qui n'était pas expiré et qui, après avoir été sept fois plus important avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, demeurait deux fois plus important après l'entrée en vigueur de cette loi; que cette asymétrie, dont il résultait que l'action exercée par les consorts X... était prescrite et qu'une action exercée par l'Etat ne l'aurait pas été, était constitutive d'un privilège portant atteinte au droit des consorts X... au respect de leur bien ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 1er de la loi n° 68-1250 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Messieurs Jean, Maxime et François X... de leur demande de dommages-intérêts dirigée contre l'Agent judiciaire de l'Etat à raison d'une faute lourde liée au fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, seule la faute lourde du service de la justice peut permettre de retenir la responsabilité de l'Etat ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il-est investi ; que les appelants font grief à l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence d'avoir motivé sa décision en disant que l'article 1er du protocole additionnel était inapplicable en l'espèce dans la mesure où il y a eu vente de gré à gré et non expropriation par la puissance publique ; qu'ils reprochent à la Cour de cassation d'avoir aussi violé ce texte et de ne pas avoir cassé l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence ; qu'il convient de rappeler que l'inaptitude du service public à remplir la mission de service public de la justice dont il est investi ne peut être apprécié que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ; que l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation ; que la Cour constate que la Cour de cassation a été saisi de trois moyens de cassation à l'encontre de cette décision ; que le premier faisait grief à. l'arrêt de ne pas avoir satisfait aux exigences des articles 453 et 454 du Code civil, le deuxième visait une violation de l'article 1134 du Code civil et le troisième contestait une disposition de l'arrêt et en demandait la cassation par voie de conséquence ; qu'il résulte de cet examen qu'aucun des moyens soumis à la Cour de cassation n'a évoqué une violation de l'article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la Cour de cassation qui ne répond qu'aux moyens qui sont soulevés devant elle et uniquement à ceux-ci n'a donc pas statué sur la question de cette violation ; que les appelants qui n'ont donc pas critiqué devant la juridiction suprême la décision de la Cour d'appel de ce chef et n'ont pas, de ce fait, exercé toutes les voies de recours qu'ils avaient à disposition, ne peuvent venir invoquer une faute de la Cour d'appel ou de la Cour de cassation au titre d'une telle violation ; qu'il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être reprochée aux juridictions françaises et a fortiori aucune faute qui pourrait être qualifiée de lourde ; que les consorts Y... ne peuvent qu'être déboutés de leur demande d'indemnisation de ce chef ;
ALORS QUE l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que sa responsabilité est engagée en cas de faute lourde ; qu'en décidant que le service de la justice n'avait commis aucune faute lourde en rejetant les demandes des consorts X..., motif pris de ce que, s'ils avaient invoqué devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et si ladite juridiction avait rejeté ce moyen, ils n'avaient pas repris spécifiquement la violation de cette disposition à l'appui de leur pourvoi en cassation, de sorte que toutes les voies de recours n'avaient pas été exercées, bien qu'une telle circonstance n'ait pas été de nature à exclure que les voies de recours internes avaient été épuisées, ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme l'avaient jugé à l'égard de cohéritiers, par un arrêt du 18 novembre 2010, concernant cette même procédure, la Cour d'appel a violé les articles L.141-1 du Code de l'organisation judiciaire et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 14-50074
Date de la décision : 24/02/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

ETAT - Responsabilité - Responsabilité du fait du fonctionnement défectueux du service de la Justice - Action du justiciable contre l'Etat - Action réciproque de l'Etat contre le justiciable - Défaut - Portée

ETAT - Créance sur l'Etat - Prescription quadriennale - Convention européenne des droits de l'homme - Protocole additionnel - Article 1er - Protection de la propriété - Compatibilité CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Protocole additionnel - Article 1er - Protection de la propriété - Restrictions - Exigences de l'intérêt général - Cas - Prescription quadriennale des créances sur l'Etat

L'Etat ne dispose, en cas de fonctionnement défectueux du service public de la justice, d'aucune action à l'encontre du justiciable concerné, de sorte qu'en l'absence d'actions réciproques pouvant avoir le même objet, soumises à des délais de prescription distincts, aucune rupture du juste équilibre entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ne peut être invoquée pour soutenir que des dispositions spéciales, accordant à l'Etat des privilèges, portent atteinte au droit de ce justiciable au respect de ses biens


Références :

article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics

article 2227 ancien du code civil

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 08 octobre 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 24 fév. 2016, pourvoi n°14-50074, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat général : Mme Ancel
Rapporteur ?: Mme Gargoullaud
Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 25/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:14.50074
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award