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02/12/2015 | FRANCE | N°14-81866

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 décembre 2015, 14-81866


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Serefettin Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 8-1, en date du 4 mars 2014, qui, pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme, l'a condamné à huit ans d'emprisonnement ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 octobre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Carbonaro, conseiller rapporteur, M. Ca

stel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Serefettin Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 8-1, en date du 4 mars 2014, qui, pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme, l'a condamné à huit ans d'emprisonnement ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 octobre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Carbonaro, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARBONARO, les observations de la société civile professionnelle MONOD, COLIN et STOCLET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme, 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article préliminaire du code de procédure pénale, des articles 421-1, 421-2-1, 421-5 du code pénal, 591, 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Y... coupable d'avoir, sur le territoire national et notamment en région parisienne, depuis temps non couvert par la prescription et jusqu'au 16 septembre 1997, participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation caractérisée par ou plusieurs faits matériels d'un des actes de terrorisme mentionnés à l'article 421-1 du code pénal ;
" aux motifs que le DHKPC, qui a succédé au mouvement DELSOL, constitue une entreprise hiérarchisée et structurée, ayant pour but, par la commission d'infractions comportant des assassinats et tentatives d'assassinats, des violences volontaires, des extorsions de fonds au préjudice de commerçants, des ports d'armes et des attentats à l'explosif, de pratiquer à l'encontre de ses adversaires et opposants une violence révolutionnaire troublant gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'il s'agit donc d'une entreprise terroriste au sens des articles 421-1 et suivants du code pénal ; que, sur la participation de M. Y... au mouvement DHKPC, au mois d'août 1997, M. Y..., qui résidait à Dortmund et qui faisait l'objet d'investigations par la justice allemande pour des infractions commises dans ce pays, était placé sur écoute sur sa ligne portable ... ; que sur commission rogatoire délivrée, le 16 septembre 1997, par le juge d'instruction, le parquet fédéral allemand a transmis, le 18 septembre 1997, les procès verbaux de transcription de ces écoutes téléphoniques en langue allemande ; que le juge d'instruction les a faits traduire en langue française par ordonnance en date du 7 octobre 1997 ; que la lecture de leur retranscription permet d'établir la chronologie suivante ; qu'il est rappelé que le 11 août 1997, à 14 heures 45, devant le 29 rue d'Enghien à Paris 10e, le nommé M. Ozgur Z..., dit « A... », responsable en France de la faction DHKPC, est blessé au genou de deux balles tirées par un pistolet automatique 7/ 65 par des membres non identifiés de la faction rivale THKPC ; que l'écoute téléphonique révèle que le même jour à 15 heures 39, M. Y... indique à un correspondant qu'on aurait tiré dans le pied « d'A..., notre A... ». Il lui demande de prendre avec lui « Cebo » et « Kerlm » et de « sortir tout de suite » ; qu'à 16 heures 10, M. Y... explique à un interlocuteur : « cela se serait passé à coté du magasin. Oui, nous en avions discuté, à savoir que nous allions faire quelque chose et leur taper un peu dessus. Et cette cloche a couru vers l'un d'eux sans matériel... et celui-ci aurait dégainé et lui aurait tiré dans le pied », ajoutant ensuite : « il faut aller là-bas, je veux dire, vous savez bien ce qu'il faut faire... réglons aussi le problème du téléphone... j'enverrai alors un homme, je pourrais aussi venir moi-même... c'est pourtant l'action où il faut tirer/ frapper et partir en courant » ;- à 16 heures 32, un correspondant l'appelle de Paris : SG (Serefettin Y...) : Oui, garde le contact. Et comment l'incident s'est-il produit ? As-tu pu avoir des précisions ? X : L'incident. Eh bien les nôtres se sont rués sur eux. SG : Combien étaient les nôtres ? X : Les nôtres devaient être trois. SG : Comment va A... ? X : On l'a transporté. Ils lui ont mis un pansement. C'est à la jambe, tu le sais. SG : Sait-on qui est l'auteur ? X : L'auteur fait partie du cercle de types que nous connaissons. SG : Comment s'appellent-ils ? X : L'un d'eux est Hasan et les autres, je ne sais pas. SG : Combien étaient-ils ? X : Je ne le sais pas exactement. SG : Il faut que tu le saches avec précision. X : Je le découvrirai. SG : Qui a appuyé sur la détente ? Essaie de savoir tout cela et transmets-moi les informations (...) ;- à 16 heures 46, suit l'échange suivant : SG : Nous devons maintenant laisser quelques travaux de coté. Y : D'accord. SG : Nous devons mener l'affaire à son terme. Quoiqu'il doive également être nécessaire. Le cas échéant nous pouvons aussi annuler le camp de jeunes. Y : Oui. SG : L'instruction reçue est de continuer jusqu'à ce que tout soit terminé conformément au plan et selon le programme. Y : Oui. On s'en occupe maintenant. Dois-je envoyer les trois personnes tout de suite ? SG : Oui. Nous devrions les machin... Tu sais bien, les équipements. Y : Oui SG : Nous devrions les renforcer. Car ils ne sont plus aussi forts à cet égard. Ils en ont, mais ils ne sont pas si forts (...) ;- à 17 heures 35 : SG : Comment l'incident s'est-il produit ? Z : L'incident, nous et moi sommes allés... et ils étaient en train de distribuer des journaux chez un commerçant. SG : Qui étaient-ils ? Z : Les infâmes... A... les voyait pour la première fois. Il a demandé qui ils étaient. J'ai dit B.... Nous nous sommes alors avancés sur eux ; qu'à l'intérieur nous les avons alors acculés. Nous nous en sommes alors occupés tous les deux, les avons poussés dans le coin. Nous en avons alors pris un en main, tiré deux, trois fois, l'autre a alors immédiatement fait feu. SG : Pourquoi ne l'avez vous pas fouillé et pourquoi n'avez vous pas sauté sur lui ? Z : Ils ne nous en ont pas laissé le temps mon frère... C'est comme cela que cela s'est passé. Nous essayons maintenant de ne pas le politiser. SG : Comment ? Z : Nous essayons de ne pas politiser l'affaire, afin que nous puissions nous en sortir sans problème. SG : Ah, on ne peut-pas en sortir comme ça... non, non, il faut raconter exactement le contraire (...) ;- à 21 : 56 : SG : Oui, laissez donc. Nous leur avons maintenant déclaré la guerre, laissez-les. Nous allons en terminer avec eux. Il n'y a pas d'autre moyen... ; peu importe ce que cela va coûter, vous pouvez faire maintenant tous les préparatifs (...) ; les amis sont aussi en route, ils arrivent... ; poursuivez le travail. Alors nous avons encore besoin d'hommes (...) ;- Il est rappelé ensuite que le 13 août 1997 à 12 heures 10, devant les locaux du THKPC, 5 bis rue Martel à Paris 10e un membre du DHKPC a ouvert le feu à cinq reprises sur la responsable du THKPC en France, dont le sac à main était traversé par une balle ; le même jour, à 12 heures 50, M. Y... est en relation téléphonique avec un individu, X : Allô, je te salue Abi (¿). Ensuite j'ai également laissé le camarade sur place et j'ai fait le tour du quartier/ secteur en courant. Exactement dans la zone d'entrée de leur machin. J'étais prêt. Lorsque je me suis préparé, quelques personnes l'ont vu là-bas. Auprès de la femme il y avait un jeune et il a vu cela. C'est ainsi qu'ils ont vu ce qui se passait. Je suis allé vers eux. Ainsi... j'ai fait machin 4 fois sur l'une et 2 fois sur l'autre... mais je ne sais pas si cela a fait exactement machin ou non..., SG : Mais pourquoi as-tu donc fait cela au hasard ?, X : Ce n'est pas au hasard..., SG : Nous aurions pu le faire plus méthodiquement, encore plus méthodiquement (...) ;-15 août 1997 à 19 heures 02, M. Ozgur Z..., dit « A... », rend compte du déroulement de sa garde à vue à M. Y..., lequel lui fait reproche d'avoir fait des déclarations ; il est rappelé enfin que le 11 septembre 1997 à 21 heures 15, face au 2 rue Martel, à proximité immédiate des locaux du THKPC, ont été interpellés deux membres du DHKPC, tous deux porteurs d'un pistolet automatique calibre 9 mm chargé ; il doit être rappelé aussi que le 12 septembre M. Y... a été interpellé par la police allemande en possession d'un revolver Smith et Wesson 38 et a été ensuite placé en détention provisoire ;
" et que la défense fait valoir, alors que les agissements reprochés au prévenu s'analysent comme des règlements de compte internes dans le contexte de rivalités politiques, que ceux-ci n'auraient pas eu pour objectif de provoquer par l'intimidation ou la terreur un grave trouble à l'ordre public propre à leur conférer la nature d'un terroriste, de deuxième part, alors que l'implication de M. Y... repose exclusivement sur le contenu d'enregistrements de communications téléphoniques réalisées par les autorités judiciaires allemandes, en langue turque et dont seules figurent au dossier une traduction en langue allemande et en langue française, l'absence de précision sur les modalités matérielles et juridiques des transcriptions et traductions et l'absence au dossier de ces enregistrements et de leur transcription en langue turque interdiraient toute certitude suffisante quant à leur teneur et à leur sens et ne permettraient pas au prévenu d'en discuter contradictoirement l'imputabilité, la traduction et la portée, en contradiction avec les exigences du procès équitable et fixées par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article préliminaire du code de procédure pénale ; qu'en ce qui concerne les écoutes téléphoniques, la cour observe que celles-ci n'ont pas été ordonnées par le juge d'instruction français pour la manifestation de la vérité des faits dont il était saisi, mais par les autorités judiciaires allemandes pour élucider des infractions qui avaient été commises sur leur territoire ; que le juge d'instruction, qui n'était dès lors pas tenu par les dispositions des articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale, a adressé, le 16 septembre 1997, une commission rogatoire aux autorités judiciaires allemandes, lesquelles, le 18 septembre 1997, lui ont transmis la copie certifiée conforme des procès-verbaux de transcription des écoutes téléphoniques de la ligne 0171/ 3412453, que le juge d'instruction a ensuite fait traduire de langue allemande en langue française par ordonnance de commission d'expert du 7 octobre 1997 ; que la procédure suivie est donc parfaitement régulière et que rien n'imposait au juge d'instruction de demander aux autorités allemandes des précisions sur les modalités matérielles et juridiques des transcriptions et traductions, ni d'obtenir de celles-ci la transmission des enregistrements et leur transcription en langue turque ; que par ailleurs, la cour relève qu'à aucun moment au cours de l'instruction, l'une des personnes mises en examen n'a demandé au juge d'obtenir des autorités allemandes les enregistrements originaux ou une copie de ceux-ci ; que s'il est vrai que M. Y... n'a jamais été mis en examen par le juge d'instruction, il doit aussi être observé qu'il a toujours refusé de l'être et d'être interrogé, n'ayant pas voulu, dans le cadre de l'entraide judiciaire, faire des déclarations aux autorités judiciaires allemandes les 12 septembre 1997, 3 septembre 1997 et 10 octobre 1997 ; qu'il sera observé qu'ici encore, ces écoutes ont été lues contradictoirement à l'audience et que la défense n'a pas allégué que l'une quelconque des conversations traduites auraient été inexactes, que les exigences du procès équitable n'ont donc pas été méconnues ; qu'en ce qui concerne les agissements reprochés au prévenu, la cour observe qu'il s'agit d'actes positifs de participation au mouvement DHKPC, peu important que ceux-ci puissent aussi ressortir de règlements de compte avec les membres du mouvement adverse THKPC caractérisant la participation du prévenu à l'entente visée à la prévention, entente à laquelle il a sciemment adhéré et dont il connaissait l'objet ; que la cour estime dès lors qu'il résulte de ces écoutes téléphoniques que M. Y... responsable pour l'Europe du DHKPC, à la suite d'une tentative d'homicide dont avait été victime, le 11 août 1997, à 14 heures 45, devant le 29 rue d'Enghien à Paris 10e, un membre du DHKPC, le nommé Ozgur Z..., blessé au genou de deux balles tirées par un pistolet automatique 7/ 65, a, dans les jours qui ont suivi, depuis la ville de Hambourg en Allemagne où il résidait, préparé, organisé et commandité à l'encontre des auteurs de ces faits, membres de la branche rivale THKPC, des opérations armées de représailles, concrétisées notamment par l'envoi en France d'armes et d'hommes de main, puis se traduisant, dès le 13 août 1997, à 12 heures 10, devant les locaux du THKPC, 5 bis rue Martel à Paris 10e, par une attaque à l'arme à feu d'une responsable de cette branche rivale, dont le sac à main avait été traversé par une balle, puis le 11 septembre 1997, à 21 heures 15, face au 2 rue Martel, par l'interpellation de deux membres du DHKPC, tous deux porteurs d'un pistolet automatique calibre 9 mm chargé, ces faits constituant autant d'actes positifs de participation au mouvement DHKPC, ci-dessus reconnu entreprise terroriste au sens des articles 421-1 et suivants du code pénal ;
" 1°) alors que les juges sont tenus de procéder à un contrôle effectif de la régularité des actes de accomplis dans la procédure dont ils ont été saisis comme de celle des actes dépendant d'une procédure distincte ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, en l'espèce, que les écoutes téléphoniques, dont la traduction en langue française de la traduction en langue allemande de la transcription en langue turque fonde la déclaration de culpabilité, n'ont pas été ordonnées par une juge d'instruction français mais par des autorités judiciaires allemandes pour élucider des infractions commises sur le territoire allemand, pour en déduire qu'elle n'était pas tenue de vérifier la régularité de ces écoutes téléphoniques ni d'obtenir des autorités judiciaires allemandes la transmission des enregistrements et leur transcription en langue turque ;
" 2°) alors que M. Y... avait soutenu que les charges retenues contre lui ne résultaient que de la traduction en langue française de la traduction en langue allemande des transcriptions d'écoutes téléphoniques en langue turque réalisées quatorze ans avant l'audience de jugement et que l'absence au dossier des transcriptions en langue turque faisait obstacle à ce qu'il puisse contester la teneur de leur traduction indirecte en français en violation du droit au procès équitable ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à retenir que les écoutes ont été lues contradictoirement à l'audience et que la défense n'a pas allégué que l'une quelconque des conversations traduites aurait été inexacte, pour en déduire que les exigences du procès équitable n'avaient pas été méconnues, sans répondre au moyen soulevé par M. Y... tiré de ce que la méconnaissance du droit au procès équitable résultait de l'impossibilité, en l'état du dossier de procédure, de contester la teneur des traductions en raison de l'absence au dossier des transcriptions en langue turque des écoutes téléphoniques datant de plus de quinze ans ;
" 3°) alors que le fait pour un prévenu de garder le silence et ainsi de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne saurait constituer un motif de nature à démontrer sa culpabilité ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, pour déclarer M. Y... coupable des infractions qui lui étaient reprochées, qu'il a toujours refusé d'être mis en examen par le juge d'instruction et d'être interrogé, n'ayant pas voulu, dans le cadre de l'entraide judiciaire, faire des déclarations aux autorités judiciaires allemandes, cependant que le silence gardé par M. Y... ne pouvait fonder une déclaration de culpabilité ;
" 4°) alors qu'il résulte de l'article 421-2-1 du code pénal que constitue un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du même code ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer M. Y... coupable de participation à la préparation d'actes de terrorisme sans rechercher si le DHKPC avait commis un ou des faits matériels constitutifs de préparation d'actes de terrorisme " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'une information a été ouverte contre M. Y..., ressortissant turc, du chef de participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme ; qu'il lui est reproché d'avoir, en tant que responsable pour l'Europe d'un mouvement révolutionnaire prônant la lutte armée contre l'Etat turc, activement contribué à l'organisation d'actions violentes de représailles, sur le sol français, contre une faction rivale, à la suite d'un attentat visant un membre de son réseau, en particulier l'organisation d'une attaque par arme à feu à Paris le 13 août 1997 ; que M. Y..., qui réside en Allemagne, ne s'est pas rendu en France pour y être interrogé par le juge d'instruction ; que le mandat d'arrêt délivré à son encontre le 12 janvier 1999 est demeuré sans effet ; qu'il en a été donné mainlevée le 1er décembre 2012 ; que M. Y... a par ailleurs refusé de faire des déclarations aux autorités judiciaires allemandes saisies dans le cadre de l'entraide judiciaire internationale ; qu'ayant appris que M. Y... était placé sous surveillance en Allemagne et que ses communications téléphoniques étaient interceptées et écoutées, le juge d'instruction a délivré une commission rogatoire afin d'obtenir le compte-rendu de ces écoutes ; que le parquet fédéral allemand a transmis au juge d'instruction une copie certifiée conforme de la transcription des conversations téléphoniques de M. Y..., après traduction de celles-ci du turc en allemand ; que le juge d'instruction a fait traduire ces documents en français par un expert ; que M. Y..., renvoyé devant le tribunal correctionnel, n'a comparu ni devant le tribunal, ni devant la cour d'appel, saisie par l'appel du ministère public ; que la cour d'appel, devant laquelle le prévenu était représenté par un avocat, a retenu sa culpabilité pour les motifs repris au moyen ;
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que, pour écarter l'argumentation de la défense tendant à dénier toute force probante à la retranscription des écoutes téléphoniques, au motif, notamment, qu'en l'absence des enregistrements originaux en langue turque, il n'était pas possible de s'assurer de la fidélité des traductions successives, l'arrêt retient, d'une part, que les dispositions des articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale, relatives à l'interception des communications téléphoniques, sont inapplicables à des communications téléphoniques interceptées en Allemagne par les autorités allemandes, que le juge français n'a pas qualité pour apprécier la régularité de ces interceptions au regard de la législation allemande, qu'au cours de l'information, aucune des personnes mises en examen dans le dossier n'a sollicité la communication des enregistrements originaux, qu'on ne saurait dés lors faire grief au juge d'instruction de ne pas en avoir pris l'initiative, que la retranscription des écoutes téléphoniques a été lue à l'audience de la cour et que la défense n'a, à aucun moment, allégué que l'une des conversations enregistrées aurait été traduite de manière inexacte ;
Attendu qu'en prononçant par ces motifs, dont il résulte que M. Y..., représenté par son avocat qui avait pu prendre connaissance à l'avance du contenu des écoutes téléphoniques puisqu'elles figuraient au dossier, a été mis en mesure de contester à l'audience la fidélité de la traduction et n'a formulé aucune critique, notamment sur les passages pouvant constituer des éléments à charge, la cour d'appel, qui a fait une exacte interprétation des articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale, a justifié sa décision, sans méconnaître l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
D'où, il suit que le grief doit être écarté ;
Sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt que la cour d'appel a essentiellement fondé sa conviction sur une note de synthèse de la division antiterroriste de la police nationale, soumise à la discussion contradictoire, et sur certains passages de la retranscription des écoutes téléphoniques ; que, dès lors, la troisième branche manque en fait ;
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt que la cour d'appel a établi que le mouvement DHKPC, dont M. Y... était l'un des responsables, avait pour but, par la commission d'infractions comportant des assassinats et tentatives d'assassinats, des violences volontaires, des extorsions de fond, au préjudice de commerçants, des ports d'armes et des attentats à l'explosif, de pratiquer à l'encontre de ses adversaires et opposants une violence révolutionnaire troublant gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, et constituait ainsi une entreprise terroriste ; que les juges ajoutent que les écoutes téléphoniques ont révélé que M. Y... avait activement participé à l'organisation d'actions violentes de représailles à la suite de l'attentat contre un membre de son réseau, notamment à l'attaque du 13 août 1997 à Paris ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-19 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. Y... à une peine de huit ans d'emprisonnement ;
" aux motifs que M. Y..., né le 13 mai 1956 en Turquie, avait 41 ans à la date des faits ; qu'il a aujourd'hui 57 ans ; qu'il est de nationalité turque, d'origine kurde, qu'à la date des faits, il était domicilié à Dortmund ; qu'il a été condamné par les juridictions turques à une peine de quinze ans d'emprisonnement ; qu'il a bénéficié le 27 août 1990, de l'asile politique en Allemagne ; qu'il a été condamné à plusieurs reprises en Allemagne, à deux reprises pour des détentions d'armes de poing et le 17 février 1999, par le tribunal d'Hambourg à une peine de dix ans d'emprisonnement pour participation à une association terroriste ; que la particulière gravité des faits qui lui sont reprochés, la dangerosité qu'ils révèlent et le rôle éminent qui était le sien dans l'entreprise terroriste justifient sa condamnation à une peine de huit ans d'emprisonnement ferme, seule de nature à sanctionner justement l'infraction commise à l'exclusion de toute autre sanction manifestement inadéquate dès lors qu'il s'agit d'actes portant gravement atteinte à la sécurité publique ; que la cour constate par ailleurs qu'elle ne dispose pas en l'état du dossier d'éléments matériels suffisants lui permettant d'aménager immédiatement la peine d'emprisonnement conformément aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal ;
" alors qu'aux termes de l'article 132-24 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours, si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que la cour d'appel ne pouvait se fonder, pour condamner le prévenu à la peine de huit ans d'emprisonnement, sur les antécédents judiciaires du prévenu en Allemagne, la gravité et la dangerosité des faits, l'atteinte à la sécurité publique et l'absence d'éléments au dossier permettant un aménagement ; cependant que ces motifs étaient impropres à caractériser la nécessité de la peine d'emprisonnement ferme conformément aux dispositions de l'article 132-24 du code pénal ou l'impossibilité d'ordonner une mesure d'aménagement " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a prononcé une peine d'emprisonnement sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l'article 132-24 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux décembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 14-81866
Date de la décision : 02/12/2015
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Exceptions - Exception de nullité - Nullité de pièces de la procédure - Documents transmis en exécution d'une commission rogatoire internationale - Transcription d'écoutes téléphonique diligentées dans une procédure distincte par l'Etat requis - Valeur probante - Eléments de preuve soumis au débat

PREUVE - Débat contradictoire - Actes de procédure réalisés par un Etat étranger - Documents transmis en exécution d'une commission rogatoire internationale - Transcription d'écoutes téléphonique diligentées dans une procédure distincte par l'Etat requis - Valeur probante - Eléments de preuve soumis au débat

Toutefois, lorsque la retranscription de ces communications téléphoniques a été transmise au juge français dans le cadre d'une demande d'entraide répressive internationale, leur valeur probante peut être discutée contradictoirement


Références :

Sur le numéro 1 : Convention européenne d'entraide judiciaire du 20 avril 1959
Sur le numéro 2 : article 427 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 04 mars 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 déc. 2015, pourvoi n°14-81866, Bull. crim. 2016, n° 841, Crim., n° 641
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle 2016, n° 841, Crim., n° 641

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Liberge
Rapporteur ?: Mme Carbonaro
Avocat(s) : SCP Monod, Colin et Stoclet

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.81866
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