Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article R. 1455-6 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé, que Mme X..., engagée le 12 octobre 1998 par la société Orange Caraïbes, exerçant en dernier lieu les fonctions de directrice juridique, a été licenciée le 5 avril 2013 pour faute ; que soutenant que son licenciement est illicite pour être consécutif à la dénonciation des faits de harcèlement moral qu'elle a subis, elle a saisi la juridiction prud'homale en référé pour faire juger son licenciement nul en application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, ordonner sa réintégration et prononcer la condamnation de l'employeur au paiement de ses salaires et accessoires jusqu'à celle-ci ;
Attendu que pour rejeter ces demandes et dire n'y avoir lieu à référé, l'arrêt, après avoir constaté que la salariée avait été licenciée pour avoir porté des accusations de harcèlement moral à l'encontre d'un cadre dirigeant de la société, retient que le trouble manifestement illicite n'était pas caractérisé, l'appréciation de la bonne ou mauvaise foi de la salariée lors de sa relation des faits échappant à la compétence du juge des référés et relevant de l'appréciation du juge du fond ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de se prononcer, comme il le lui était demandé, sur la mauvaise foi de la salariée lorsqu'elle avait dénoncé les faits de harcèlement moral, pour déterminer si son licenciement constituait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 mars 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne la société Orange Caraïbes aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Orange Caraïbes à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il n'y avait pas lieu à référé et d'AVOIR débouté Mme X... de ses demandes tendant à ce qu'il soit jugé que son licenciement était nul et de nul effet conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, que sa réintégration était de droit et que la société Orange Caraïbe devait être condamnée à lui verser diverses sommes à ce titre ;
AUX MOTIFS QUE les pouvoirs de la formation de référé sont définis par les articles R. 1455-5 et suivants du code du travail, lesquels sont libellés comme suit : « Dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. La formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, elle peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire » ; que l'examen du bien-fondé d'un licenciement se heurte à une contestation sérieuse, dont l'appréciation relève de l'examen du juge du fond et échappe à la compétence du magistrat des référés ; que cependant, même en présence d'une telle contestation sérieuse, le juge des référés qui est le juge de l'évidence peut statuer si le trouble qu'on lui demande de faire cesser est manifestement illicite et que la décision de l'employeur de licencier a un caractère illégal manifeste ; que la salariée fonde sa demande de réintégration sur l'existence d'un trouble manifestement illicite au sens du texte susvisé, résidant dans le fait que son licenciement est la conséquence directe de la dénonciation qu'elle a faite de faits de harcèlement à son encontre, qu'il serait donc nul de plein droit en vertu de l'article L. 1152-3 du code du travail ; que l'article L. 1152-2 du code du travail énonce : « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (...) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés » ; qu'il en résulte que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis et que le licenciement consécutif à ladite relation des agissements de harcèlement moral par la salariée est nul de plein droit, en application de l'article L. 1152-3 susvisé ; qu'il est constant que la salariée, lors de sa visite de reprise le 17 septembre 2012 devant la médecine du travail, a fait part de sa souffrance au travail, remontant déjà à juin 2011, et que le médecin du travail a alerté le même jour le directeur de la société Orange en mentionnant des faits de harcèlement moral de la part de M. Christian Z..., directeur juridique France, à l'encontre de Mme Y...
X..., et qu'après enquête interne diligentée par le contrôle général du groupe, selon convocation du 8 février 2013, elle a été convoquée à un entretien préalable en vue de son licenciement et licenciée par lettre du 5 avril 2013 ; que la lettre de licenciement est libellée en ce sens : « Le contexte de cette procédure s'inscrit dans le cadre de l'enquête engagée à la suite de vos dernières accusations portées à l'encontre de Christophe Z.... S'il apparaît à l'issue de celle-ci, qu'aucun élément ne permet d'accréditer votre thèse, ces vérifications ont toutefois mis en exergue votre comportement fautif, non conforme à vos responsabilités et au poste de Directrice juridique que vous exercez. Pour rappel les griefs reprochés constituent :- Votre volonté réitérée de déstabiliser Christophe Z..., Directeur du pôle Outremer au niveau du groupe.- Pour rappel en juin 2011 vous aviez déjà écrit à ce dernier un mail qui intégrait un panel très large de qualificatifs négatif sur les échanges que ce collaborateur vous adressait en portant vos accusations auprès de la chaîne hiérarchique de ce dernier. L'enquête a révélé l'absence d'élément factuel démontrant une quelconque volonté de nuire de Monsieur Z... à votre encontre et a mis en exergue le fait que votre attitude s'est révélée très destructrice pour Christophe Z.... En tout état de cause, le management à la suite de cette alerte a apporté des changements à l'organisation afin que chacun ait un périmètre clair de ses fonctions et responsabilités qui se sont révélés positifs pour tous et de nombreuses actions ont été entreprises à cette fin. Un entretien téléphonique qui s'est tenu le 19 avril 2012 entre vous-même Madame A..., Directrice Juridique d'Orange France et Christophe Z... confirme ce retour positif. Vous avez toutefois répondu au mail de Christophe Z... qui en a suivi en rappelant à ce dernier vos accusations de juin 2011 ce qui de nouveau traduit une volonté de déstabilisation. Interrogée sur les raisons de ce visa, vous avez notamment répondu à l'enquêteur qu'il y avait encore des points non réglés dans le fonctionnement de l'organisation notamment dans le domaine marketing et la direction de la stratégie. En tout état de cause, ces deux points ultimes ne dépendaient pas de la direction juridique ce qui avait déjà fait l'objet d'un échange avec vous. L'enquête a révélé que ce comportement s'est poursuivi par-la mise en cause de Christophe Z... dans la gestion des dossiers du pôle ; une attitude méprisante à son égard ;- une absence de transparence dans la gestion de certains dossiers ;- voir même l'éviction de ce dernier de la chaîne d'information sur plusieurs dossiers (échanges de mails sur les dossiers Krysalid, DJ concurrence).- En septembre 2012, Christophe Z... est de nouveau mis en cause par l'intermédiaire du médecin du travail en accord avec vous. Interrogée par le contrôleur général, vous avez justifié vos propos à l'encontre de Christophe Z... par un mail de ce dernier du 5 septembre 2012 au terme duquel il s'indignait de votre méthode consistant à écrire à sa propre hiérarchie sur un sujet concernant le pôle tout en ignorant sa position exprimée la veille. La mise en cause de ce collaborateur s'est révélée de nouveau infondée, et a contribué une fois de plus à déstabiliser profondément ce dernier qui a dû être accompagné psychologiquement. En outre, malgré ma demande claire qu'aucun contact n'ait lieu entre vous, vous lui adressez un mail notamment le 19 novembre pour lui donner instruction de ne pas payer une facture.- Cette déstabilisation traduit en réalité la remise en cause de l'organisation pourtant arrêtée avec le pôle Outre-mer. Outre Christophe Z..., c'est tout l'environnement de travail qui a été impacté par votre comportement. Nous avions déjà constaté votre difficulté à adhérer aux démarches engagées au premier trimestre 2011 permettant de définir les compétences de chacun dans l'organisation, votre passivité et votre retard à répondre aux actions proposées qui permettaient pourtant à chacun d'être conforté dans ses responsabilités et fonctions. Nous avons identifié que vous ne respectiez pas toujours les compétences de chacun (exemple objectifs métiers définis par le pôle en octobre 2011), la réciprocité des informations transmises avec les Directions nationales. Votre comportement à l'encontre du Directeur du pôle traduit de façon ultime cette remise en cause de l'organisation plusieurs fois constatée et votre refus de toute forme de complémentarité dans le cadre de la mission du pôle Outre-Mer nécessaire dans notre politique de gestion des risques juridiques. L'ensemble de ce qui précède traduit l'exécution de mauvaise foi de votre contrat de travail et n'est pas compatible avec nos attentes. Nous avons constaté que le comportement qui vous est reproché est intervenu :- suite à des échanges managériaux sur la question de la carrière professionnelle conformément à la politique du groupe, dans le but de vous protéger d'une éventuelle mobilité ou d'une évolution professionnelle qui aurait pu vous être proposée,- et se poursuit dans un contexte de non acceptation de l'organisation mise en oeuvre. En tout état de cause, la méthode utilisée sciemment à l'encontre de Christophe Z... et sa réitération en l'absence de tout élément nouveau témoigne de votre mauvaise foi certaine, déstabilise l'organisation du pôle et nuit à l'environnement de travail. Ce comportement n'est en outre pas compatible avec une collaboration sereine et constructive recherchée avec le pôle outre-mer et n'est pas conforme à mes attentes au regard de votre niveau de responsabilité et de l'importance de votre fonction. Je suis donc contraint pour toutes ces raisons de vous notifier votre licenciement. Ces griefs fautifs justifient un licenciement pour faute au regard de la gravité de votre comportement... » ; que l'employeur, aux termes de la lettre de licenciement susvisée, énonce un comportement fautif de Mme Y...
X..., consistant en des accusations de harcèlement moral de sa part, portées à l'encontre d'un dirigeant de la société, de nature à déstabiliser et remettre en cause l'organisation de cette dernière et par là même, un manquement à son obligation de loyauté dans l'exécution de la relation contractuelle, en violation de l'article L. 1222-1 du code du travail ; que l'employeur allègue la mauvaise foi de la salariée et sa volonté de porter des accusations de harcèlement moral à l'encontre de M. Z..., pour déstabiliser ce dernier et remettre en cause l'organisation duale de la direction juridique de la société ; qu'il importe peu à ce stade de savoir si les faits de harcèlement moral allégués par la salariée sont établis mais qu'il y a lieu d'apprécier si la salariée a dénoncé ces faits de mauvaise foi ou non, car il est de jurisprudence qu'un licenciement fondé sur de telles accusations portées de mauvaise foi est fondé sur une cause réelle et sérieuse ; que le trouble manifestement illicite, au sens de l'article R. 1455-6 du code du travail, n'est donc pas caractérisé en l'espèce, l'appréciation de la bonne ou mauvaise foi de Mme X... lors de sa relation des faits échappant à la compétence du magistrat des référés et relevant de l'appréciation du juge du fond déjà saisi de l'affaire ; que c'est à juste droit que l'ordonnance déférée a dit n'y avoir lieu à référé et doit être confirmée ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU'il ressort des éléments et des explications fournis à la formation de référé que la demande ne remplit pas les conditions d'urgence prévues par les articles R. 1455-5 et suivants du code du travail ; que le Conseil constate qu'il y a contestations sérieuses et qu'il convient de renvoyer les parties devant le juge du fond ;
1°) ALORS QUE le grief tiré de la relation par le salarié d'agissements de harcèlement moral emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement, sauf mauvaise foi du salarié démontrée par l'employeur, la mauvaise foi ne se présumant pas ; que le juge des référés, auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue le licenciement d'un salarié qui a relaté des faits de harcèlement moral, doit donc apprécier si le salarié, en dénonçant ces faits, était de bonne ou mauvaise foi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir constaté que Mme X... avait été licenciée pour avoir porté des accusations de harcèlement moral à l'encontre d'un dirigeant de la société, a cependant refusé de prononcer la nullité du licenciement et la réintégration de la salariée en relevant que le trouble manifestement illicite n'était pas caractérisé, l'appréciation de la bonne ou mauvaise foi de la salariée lors de sa relation des faits échappant à la compétence du juge des référés et relevant de l'appréciation du juge du fond ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand il lui appartenait de rechercher si la salariée était de bonne ou mauvaise foi lorsqu'elle avait relaté les faits de harcèlement moral, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-6 du code du travail, et entaché sa décision d'un excès de pouvoir négatif ;
2°) ALORS QUE le licenciement d'un salarié motivé par la dénonciation par ce dernier de faits de harcèlement moral constitue un trouble manifestement illicite, sauf mauvaise foi du salarié, qui doit être démontrée par l'employeur et ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'employeur, dans la lettre de licenciement, avait reproché à Mme X... d'avoir porté des accusations de harcèlement moral à l'encontre d'un dirigeant de la société, de nature à déstabiliser et remettre en cause l'organisation de cette dernière et par là-même d'avoir manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution de la relation contractuelle en violation de l'article L. 1222-1 du code du travail ; que la cour d'appel en a conclu que dès lors que l'employeur alléguait la mauvaise foi de la salariée il n'y avait pas lieu à référé car c'était au juge du fond qu'il appartenait d'apprécier la bonne ou mauvaise foi de la salariée ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ses propres constatations que dans la lettre de licenciement l'employeur avait uniquement invoqué la mauvaise foi de la salariée dans l'exécution du contrat de travail et nullement sa mauvaise foi dans la dénonciation des faits de harcèlement moral, qui seule pouvait écarter l'existence d'un trouble manifestement illicite en l'état de l'immunité due en principe au salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a derechef violé l'article R. 1455-6 du code du travail ;
3°) ALORS QUE la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le conseil de prud'hommes, pour débouter Mme X... de sa demande de nullité du licenciement et de réintégration, a jugé que les demandes ne remplissaient pas les conditions d'urgence prévues par les articles R. 1455-5 et suivants du code du travail ; qu'en adoptant ce motif, quand l'urgence n'est pas une condition de l'intervention du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite, la cour d'appel a encore violé l'article R. 1455-6 du code du travail.