Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Zheng X..., - M. Jinjie Y..., partie intervenante,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 9 avril 2015, qui, dans l'information suivie contre la première des chefs de recel, association de malfaiteurs et blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction prescrivant la saisie pénale d'un bien immobilier ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 octobre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, M. Germain, Mmes Planchon, Zerbib, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Guéguen ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général GUÉGUEN ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 22 juin 2015 ; joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 112-2, 113-1, 131-21 du code pénal, préliminaire, 706-141, 706-141-1, 706-150 à 706-152, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance de saisie en valeur d'un bien immobilier sis à Saint-Denis, dont Mme X...et M. Y... sont propriétaires indivis ;
" aux motifs que, sur l'inconventionnalité alléguée de l'article 131-21 alinéa 9, du code pénal, le neuvième alinéa de l'article 131-21 du code pénal dans sa version issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, dispose que la confiscation en valeur peut être exécutée sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné, ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, que ce texte n'est pas réservé à la confiscation des biens immobiliers, mais s'applique à la confiscation des biens de toute nature ; que la confiscation en valeur, comme toutes celles prévues par l'article 131-21 exige l'intervention d'un juge ; qu'en effet, elle suppose pour être prononcée, une déclaration de culpabilité et une condamnation à une peine principale, la confiscation n'étant qu'une peine complémentaire ; qu'enfin, elle ne peut être ordonnée que si le texte réprimant l'infraction la prévoit, et pour les infractions punies d'une peine d'emprisonnement supérieure à un an ; que dès lors, le neuvième alinéa de l'article 131-21 du code pénal n'est pas contraire au premier alinéa du premier protocole additionnel de la Convention européenne lequel permet aux Etats de légiférer pour assurer notamment le paiement des amendes, ni à l'article 8 de la Convention européenne, qui autorise l'ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, si elle est prévue par la loi, comme en l'espèce, et si elle constitue une mesure nécessaire, notamment à la protection de la morale ; que la peine de confiscation a pour finalité de priver les condamnés de leurs avoirs illicites et qu'elle est proportionnée au but recherché ; qu'il ne peut donc être sérieusement soutenu que les articles 706-141 à 706-147 et 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ne poursuivent plus le but général de garantir des peines complémentaires de confiscation ; qu'en l'espèce, Mme X...est mise en examen des chefs de blanchiment du produit du trafic de stupéfiants, recel de sommes d'argent provenant du trafic de stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement après avoir été interpellée alors que M. E..., lui-même mis en examen pour trafic de stupéfiants, importation de stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs dans une affaire d'infraction à la législation sur les stupéfiants de grande ampleur, lui remettait la somme de 220 980 euros issue de la vente de résine de cannabis ; que Mme X...a reconnu avoir déjà reçu, avant le 11 octobre 2013, de M. E...des fonds dont elle n'a pas précisé le montant ; qu'elle a également admis que depuis septembre 2013, " Tarik " déposait de l'argent au magasin ; que tous ces éléments laissent à penser que les infractions reprochées à Mme X...portent sur des sommes bien supérieures à 220 980 euros ; qu'en outre, l'analyse du fonctionnement des comptes bancaires de Mme X...et de M. Y... a démontré qu'ils disposaient d'espèces d'origine indéterminée pour financer les dépenses de la vie courante ; que dès lors, la saisie pénale en valeur du bien immobilier dont Mme X...est propriétaire pour moitié en indivision, fût-il le domicile familial, n'est pas disproportionnée à la gravité des faits reprochés ; qu'il sera rappelé que cette saisie n'emporte pas dépossession du bien, qu'il s'agit d'une mesure conservatoire ayant seulement pour effet d'interdire la cession du bien ; que sur l'absence de risque de dissipation de la valeur du bien immobilier ; que pour motiver l'ordonnance de saisie pénale en valeur critiquée, le juge d'instruction, après avoir rappelé les faits reprochés à Mme X...et la qualification juridique qui leur a été donnée, a relevé que cette dernière est propriétaire pour moitié en indivision de plusieurs lots d'un immeuble immobilier acquis le 24 juin 2011, pour la somme de 310 000 euros, avec inscription du vendeur à hauteur de 217 000 euros avec pour date de péremption le 31 décembre 2013 ; que cet immeuble encourt la confiscation en valeur conformément à l'article 131-21 alinéa 9, du code pénal ; qu'en l'absence de saisie pénale, une dissipation de la valeur de ce bien aurait pour effet de priver la juridiction de jugement de toute perspective de confiscation ; qu'en raison des infractions reprochées à Mme X..., le bien immobilier dont elle est propriétaire pour moitié en indivision encourt la peine complémentaire de confiscation en valeur, en application de l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal ; que le risque de dissipation de la valeur du bien immobilier, en l'absence de saisie pénale, est réel, au regard des mesures prises par Mme X...et M. Y... depuis la mise en examen pour tenter de soustraire leurs avoirs à une éventuelle saisie ; qu'ainsi, leur compte bancaire joint a été transformé en compte personnel de M. Y... ; que le livret A de leur fille mineure a été clôturé, le solde de 23 479, 65 euros étant viré sur l'un des comptes de M. Y... ; que Mme X...a clôturé le 26 février 2014, son PEL et son livret jeune ; que Mme X...ne figure pas parmi les associés de la société Lorelei, société familiale dont sa mère est la gérante, et dans laquelle, outre son père, sa soeur et le mari de celle-ci sont associés ; que les explications fournies quant à la non-participation de Mme X...dans la société Lorelei il, à savoir que son compagnon, M. Y... y participe et que le couple est déjà engagé dans une opération d'acquisition d'un bien immobilier sont dépourvues de pertinence, en ce que Mme Wei X..., soeur de Mme Zheng X..., et le mari de Mme Wei X...sont tous deux associés de la société et que si, du fait de l'engagement du couple Zheng X.../ Jinjié Y... dans une autre opération immobilière, seul l'un des deux pouvait participer à la société, au regard du caractère familial de cette société, Mme X...y avait davantage sa place que son compagnon ; que tous ces éléments font craindre la cession de leur bien immobilier par Mme X...et M. Y..., et la dissipation du produit de la vente ; que cette saisie pénale en valeur est donc fondée ; qu'en conséquence, au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise ; qu'il appartiendra à la juridiction de jugement, dans l'hypothèse d'un renvoi de Mme X...devant elle, si elle entre en voie de condamnation à son encontre, et si elle prononce la peine complémentaire de confiscation, de fixer le montant de la somme à confisquer et de procéder au cantonnement qui en résultera ;
" 1°) alors qu'une saisie pénale spéciale ne peut porter que sur des biens susceptibles de confiscation ; que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère interdit au juge d'appliquer une peine qui n'était pas légalement prévue au moment de la commission des faits ; que la peine complémentaire de confiscation en valeur prévue à l'alinéa 9, de l'article 131-21 du code pénal ne s'applique aux biens dont la personne condamnée n'est pas propriétaire mais dont elle a seulement la libre disposition que depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 ; qu'en l'espèce, la période de la prévention s'étend seulement jusqu'en octobre 2013, de sorte que cette peine n'est pas susceptible d'être appliquée sur la part indivise dont Mme X...n'est pas propriétaire ; qu'en confirmant néanmoins la saisie de la totalité du bien immobilier, après avoir considéré à tort que le bien immobilier dont elle est propriétaire pour moitié en indivision encourt la peine complémentaire de confiscation en valeur, en application de l'article 131-21 alinéa 9, du code pénal, la chambre de l'instruction a méconnu les principes précités ; " 2°) alors qu'en tout état de cause, les parts indivises d'un bien qui n'appartiennent pas au mis en examen ne peuvent être saisies qu'à la condition que ce dernier en ait la libre disposition et que leur propriétaire soit de mauvaise foi ; qu'en motivant sa décision au regard du seul risque de dissipation du produit de la vente, sans s'expliquer sur la libre disposition qu'aurait eu Mme X...des parts de M. Y..., ni sur la mauvaise foi de ce dernier, la Chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
" 3°) alors que la saisie en valeur ne peut frapper des biens que dans la limite de la valeur du produit de l'infraction ; qu'en l'espèce, pour confirmer la saisie d'un bien immobilier acquis à un prix de 310 000 euros, la chambre de l'instruction s'est bornée à une référence à la somme de 220 980 euros déposée par M. E...au magasin de Mme
X...
, le 11 octobre 2013, laquelle a d'ores et déjà fait l'objet d'une saisie, et sur la circonstance que cette dernière ait admis avoir déjà reçu des fonds ; que c'est au prix de motifs totalement hypothétiques et insuffisants à justifier une saisie d'une telle ampleur qu'elle considère que « tous ces éléments laissent à penser que les infractions reprochées à Mme X...portent sur des sommes bien supérieures à 220 980 euros " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 131-21 du code pénal et 706-141-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'article 706-141-1 du code de procédure pénale que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 11 octobre 2013 M. E..., soupçonné d'être l'un des membres les plus actifs d'un important réseau de trafiquants de stupéfiants, a été appréhendé dans un magasin exploité par la société Xin wang, alors qu'il s'apprêtait à remettre à Mme Zheng X..., salariée de cette société et fille du gérant, la somme de 220 980 euros en espèces, et que, selon les déclarations de celle-ci et de son père, d'autres sommes avaient été déposées dans des conditions similaires depuis le mois de septembre 2013 ; que le 8 décembre 2014, le juge d'instruction a ordonné, pour garantir l'éventuelle confiscation du produit de l'infraction, la saisie en valeur d'un bien immobilier appartenant en indivision à Mme X...et son époux, M. Jinjie Y... ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, la chambre de l'instruction énonce notamment que les éléments du dossier laissent à penser que les infractions reprochées à Mme X...portent sur des sommes bien supérieures à 220 980 euros ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans s'assurer que le montant de la saisie n'excédait pas celui du produit des infractions de recel et blanchiment pour lesquelles Mme X...a été mise en examen, alors même que la somme de 220 980 euros avait déjà été saisie, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 9 avril 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze novembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.