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10/11/2015 | FRANCE | N°15-83605

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 novembre 2015, 15-83605


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Jean X...,- La société Gazechim,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 19 mai 2015, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'homicides et blessures involontaires, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 octobre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur,

M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mmes Schneider, Farrenq-Nési, conse...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Jean X...,- La société Gazechim,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 19 mai 2015, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'homicides et blessures involontaires, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 octobre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mmes Schneider, Farrenq-Nési, conseillers de la chambre, Mmes Harel-Dutirou, Guého, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller BELLENGER, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 27 juillet 2015, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ; Vu le mémoire, commun aux demandeurs, et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'un accident, survenu le 6 janvier 2011 dans l'usine Gazechim de Lavera à Martigues, au cours duquel un ouvrier a été tué et un autre blessé lors d'une opération de transfert de chlore, le juge d'instruction, saisi d'une information ouverte des chefs d'homicide et blessures involontaires, a ordonné le 24 février 2011 une expertise confiée à M. Y..., inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, aux fins de déterminer les causes de l'accident ; que le 14 septembre 2011, le juge d'instruction a confié une seconde mission au même expert aux fins d'assister les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire lors de perquisitions et d'auditions ; que l'expert a déposé son rapport le 6 novembre 2013 ; que, par requête, en date du 28 novembre 2014, M. X... et la société Gazechim, mis en examen, ont sollicité l'annulation de l'expertise ordonnée le 24 février 2011 ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 15 du décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires, 157 et 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en annulation de l'ordonnance du 24 février 2011 ayant confié une mission expertale à M. Y... et les opérations expertales réalisées en conséquence ;
"aux motifs qu'il résulte des dispositions des articles 156, alinéa 1er, et 434 du code de procédure pénale que, toutes les fois que se pose une question d'ordre technique que les connaissances du juge ne lui permettent pas de résoudre lui-même, toute juridiction d'instruction ou de jugement peut ordonner une expertise, soit à la demande du ministère public, soit d'office, soit à la demande des parties ; qu'il résulte des dispositions de l'article 157 du code de procédure pénale que les experts sont choisis parmi les personnes physiques ou morales figurant sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation, ou sur les listes dressées par les cours d'appel dans les conditions prévues par la loi n° 71-498 du 21 juin 1971 relative aux experts judiciaires ; qu'il apparaît que M. Bernard Y..., né en 1939, figurait bien sur la liste des experts en titre dressée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 2013 sous les rubriques : E 04-01 mécanique générale, matériaux et structures, E 05-01 métallurgie générale, en qualité d'expert ; que, ce sachant ayant sollicité le 26 mars 2013 son admission à l'honorariat, cette mesure lui a été concédée par assemblée générale des magistrats de la cour d'appel à compter du premier janvier 2014 ; que, dans ces conditions, il pouvait légitimement être désigné expert par ordonnance du 24 février 2011 par le juge d'instruction et n'avait pas à renouveler son serment, conformément aux dispositions de l'article 160 du code de procédure pénale ; que, compte tenu de ces éléments, tant l'ordonnance du 24 février 2011 de désignation de l'expert M. Bernard Y... pour une mission expertale, que celle du 14 septembre 2011, sont parfaitement régulières ;
"1°) alors que le défaut de réponse à une articulation essentielle d'un mémoire équivaut au défaut de motifs ; que, selon l'article 157 du code de procédure pénale, le juge d'instruction qui désigne un expert ne figurant pas sur la liste nationale établie par le bureau de la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d'appel doit motiver sa décision ; qu'en vertu des articles 2 et 15 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, une personne physique ne peut être inscrite sur la liste des experts lorsqu'au jour de la décision d'inscription sur cette liste qui est prise par l'assemblée générale des magistrats du siège, elle a atteint l'âge limite de 70 ans ; que, dans leur requête en nullité, les mis en examen invoquaient la nullité de l'ordonnance ayant confié une mission d'expertise à M. Y... en ce qu'elle n'était pas spécialement motivée, alors que la personne choisie pour réaliser cette expertise ne pouvait être qu'un expert honoraire, ayant eu plus de 70 ans au jour de sa désignation et l'article 2 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 prévoyant une telle limite d'âge pour être inscrit sur les listes d'experts des cours d'appel ; qu'en considérant que cette désignation était régulière dès lors que l'expert n'avait pas à renouveler son serment en vertu de l'article 160 du code de procédure pénale, ayant été inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, quand la requête n'invoquait pas la nullité résultant du défaut de prestation de serment de l'expert désigné, mais le défaut de motivation spéciale de l'ordonnance de désignation d'un expert ayant plus de 70 ans au moment de sa désignation, la chambre de l'instruction a insuffisamment motivé sa décision ;
"2°) alors qu'en application des articles 2 et 15 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, une personne physique ne peut être inscrite sur la liste des experts lorsqu'au jour de la décision d'inscription sur cette liste qui est prise par l'assemblée générale des magistrats du siège, elle a atteint l'âge limite de 70 ans ; que, dans leur mémoire, les mis en examen invoquaient la nullité de l'ordonnance de désignation de l'expert en ce qu'elle n'était pas spécialement motivée, alors que la personne désignée pour réaliser l'expertise ne pouvait être qu'un expert honoraire, ayant eu plus de 70 ans au jour de sa désignation ; que la chambre de l'instruction a estimé que l'ordonnance de désignation de l'expert était régulière dès lors que, né en 1939, l'expert figurait sur la liste des experts en titre dressée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 2013 ; que, dès lors qu'il résultait de la liste des experts de l'année 2011 produite par le procureur général à l'appui de ses réquisitions que l'expert désigné avait été réinscrit sur la liste des experts en 2009 et de l'attestation du greffier du service des experts que cet expert était né en juin 1939, en ne recherchant pas si l'assemblée générale de la cour d'appel avait décidé de sa réinscription sur la liste des experts alors qu'il n'avait pas encore 70 ans, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale ;
"3°) alors qu'en application de l'article 6 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971, lors de leur inscription initiale sur une liste dressée par une cour d'appel, les experts prêtent serment, devant la cour d'appel du lieu où ils demeurent, d'accomplir leur mission, de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience ; qu'en considérant uniquement le fait que l'expert avait été désigné à une date où il était inscrit sur la liste des experts judiciaire, quand par ordonnance du 14 septembre 2011, le magistrat instructeur avait à nouveau désigné cet expert, en qualité d'expert honoraire et que, dès sa désignation, l'expert s'était lui-même présenté comme « honoraire », comme le rappelait le mémoire des mis en examen, sans rechercher si l'expert n'était pas à tout le moins tenu de refuser la mission qui lui était confiée, dès lors qu'il n'ignorait pas, comme le révélait cette seconde ordonnance, qu'il ne pouvait être inscrit sur la liste des experts, la chambre de l'instruction a encore privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour écarter les moyens de nullité selon lesquels l'expert avait été désigné sans ordonnance spécialement motivée alors qu'il avait dépassé l'âge de 70 ans, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que M. Y..., même s'il était âgé de plus 70 ans lors de sa désignation le 24 février 2011, avait été réinscrit en 2009 sur la liste des experts, pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013, par une décision de l'assemblée générale de la cour d'appel qui s'imposait à la chambre de l'instruction, celle-ci a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 15 du décret n°2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires, 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires 157, 162, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête contestant l'ordonnance du 14 février 2011, ayant désigné M. Y... comme expert ;
"aux motifs qu'il résulte des dispositions des articles 156, alinéa 1er, et 434 du code de procédure pénale que, toutes les fois que se pose une question d'ordre technique que les connaissances du juge ne lui permettent pas de résoudre lui-même, toute juridiction d'instruction ou de jugement peut ordonner une expertise, soit à la demande du ministère public, soit d'office, soit à la demande des parties ; qu'il résulte des dispositions de l'article 157 du code de procédure pénale que les experts sont choisis parmi les personnes physiques ou morales figurant sur la liste nationale dressée par la cour de cassation, ou sur les listes dressées par les cours d'appel dans les conditions prévues par la loi n° 71-498 du 21 juin 1971 relative aux experts judiciaires ; qu'il apparaît que M. Bernard Y..., né en 1939, figurait bien sur la liste des experts en titre dressée par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence pour la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 2013 sous les rubriques : E 04-01 mécanique générale, matériaux et structures, E 05-01 métallurgie générale, en qualité d'expert ; que, ce sachant ayant sollicité le 26 mars 2013 son admission à l'honorariat, cette mesure lui a été concédée par assemblée générale des magistrats de la cour d'appel à compter du premier janvier 2014 ; que, dans ces conditions, il pouvait légitimement être désigné expert par ordonnance du 24 février 2011 par le juge d'instruction et n'avait pas à renouveler son serment, conformément aux dispositions de l'article 160 du code de procédure pénale ; que, compte tenu de ces éléments, tant l'ordonnance du 24 février 2011 de désignation de l'expert M. Bernard Y... pour une mission expertale, que celle du 14 septembre 2011, sont parfaitement régulières ;
"1°) alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, par ailleurs, en vertu des articles 156, 157 et 162 du code de procédure pénale, le juge ne peut désigner en qualité d'expert qu'une personne présentant des compétences suffisantes pour mener à bien la mission qui lui est confiée ; que, dans la requête et le mémoire déposés devant la chambre de l'instruction, les mis en examen soutenaient que M. Y... avait été désigné pour une mission nécessitant une compétence en matière de chimie, comme le magistrat instructeur l'avait reconnu dans une ordonnance ultérieure du 14 septembre 2011 confiant au même expert une mission d'assistance des enquêteurs, alors que cet expert ne présentait pas une telle compétence, comme l'établissait la circonstance qu'il n'avait pas été inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans la rubrique « chimie » ; que la chambre de l'instruction qui n'a pas répondu à ce chef péremptoire de conclusions a privé sa décision de base légale ;
"2°) alors qu'à tout le moins, il résulte des articles 157 du code de procédure pénale, et 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires, un expert inscrit sur l'une des listes des cours d'appel ne peut être désigné pour accomplir une mission impliquant une compétence autre que celle qui lui a été reconnue dans l'une des rubriques de ces listes que par décision spécialement motivée ; qu'en se bornant à rappeler les termes de l'article 157 du code de procédure pénale, permettant de désigner un expert inscrit sur les listes des cours d'appel, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les spécialités pour lesquelles M. Y... avait été inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence lui donnaient compétence pour réaliser la mission qui lui avait été confiée et, dans le cas contraire, si le magistrat instructeur avait justifié de l'adéquation de la désignation de l'expert au regard de ses compétences dans l'ordonnance du 24 février 2011, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité tiré de l'absence de compétence de l'expert en matière de chimie, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, et dès lors que l'ordonnance du 24 février 2011 désignant M. Y..., expert inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel sous les rubriques mécanique générale, matériaux et structures, métallurgie générale, n'avait pas à être motivée, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 156, 158, 161, 163, 164, 174, 206, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler le rapport d'expertise établi par M. Y... ;
"aux motifs que l'article 158 du code de procédure pénale stipule expressément que la mission des experts, qui ne peut avoir pour objet que l'examen de questions d'ordre technique, est précisée dans la décision qui ordonne l'expertise ; qu'il apparaît que l'ordonnance désignant M. Bernard Y..., en date du 24 février 2011, avait bien pour objet l'examen de questions d'ordre technique, à savoir déterminer les causes, circonstances et conséquences de l'explosion du 6 janvier 2011, en veillant, notamment, à décrire les lieux de l'accident, les activités de l'usine Gazechim et le processus industriel ; que, pour mener à bien sa mission, l'expert devait faire des vérifications, investigations, auditions des divers intervenants sur le site et recueillir des éléments de toute nature en matière d'hygiène et de sécurité du travail pour pouvoir déterminer avec certitude l'enchaînement des faits à l'origine de l'accident du 6 janvier 2011 ; que ces mesures s'imposaient avant d'émettre un avis sur les questions qui lui étaient soumises dans le cadre de sa mission expertale ; que l'ordonnance complémentaire du 14 septembre 2014 désignant à nouveau M. Bernard Y... n'avait pour but que d'assister les enquêteurs agissant sur commission rogatoire sur les points techniques ou scientifiques susceptibles d'être évoqués ; qu'en tout état de cause, les missions de l'expert confiées par le magistrat instructeur ne peuvent s'analyser en une délégation générale de pouvoir ; qu'il n'apparaît pas établi à la lecture du rapport de l'expert que ce dernier ait outrepassé les limites de sa mission ; qu'il lui était loisible de recevoir, au terme des dispositions de l'alinéa premier de l'article 164 du code de procédure pénale, à titre de renseignement et pour l'accomplissement strict de sa mission, les déclarations de personnes autres que les mis en examen, les témoins assistés ou les parties civiles, l'expert appréciant librement le choix des moyens propres lui permettant de répondre aux questions posées par le juge mandant dans le cadre de la mission à lui confiée ; que, pour obtenir les renseignements d'ordre technique que sa mission commandait, avant de rendre son rapport, il n'est nullement établi que le comportement de M. Bernard Y..., dont les motivations et les buts n'étaient que de concourir à une meilleure administration de la justice, soit critiquable, l'expertise pénale n'étant pas, à ce stade, considérée comme contradictoire ; qu'aucune violation des droits de la défense entraînant la nullité du rapport d'expertise ne saurait, dès lors, être constatée, ce dernier étant une pièce de procédure pouvant être discutée contradictoirement dès son versement au dossier et la notification de ses conclusions aux parties ; que, dans ces conditions, le moyen ne saurait être admis ;
"1°) alors qu'en vertu des articles 158, 163 et 164 du code de procédure pénale, les experts qui ont seulement pour mission d'effectuer des vérifications matérielles ou d'émettre leur avis sur les questions qui leur sont soumises ne sont pas chargés de l'administration de la justice ; que, dès lors, ils n'ont pas qualité pour accomplir les actes qui ont pour objet de constater les délits et d'en découvrir les auteurs, c'est-à-dire les actes d'instruction ou de poursuite ; qu'il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer que l'expert n'a pas excédé les limites de sa mission et n'a pas accompli des actes manifestement disproportionnés au regard de sa mission de nature technique ; que, dans leur mémoire, les mis en examen soutenaient que l'expert avait procédé à la recherche de tous les manquements éventuels aux obligations des installations classées et aux obligations en matière de sécurité et d'hygiène des travailleurs, entendu le personnel de l'entreprise, d'anciens salariés et des contractants de la société Gazechim et avait exigé toutes sortes de documents, outrepassant ainsi sa mission de recherche des causes et circonstances de l'accident dans les locaux de cette entreprise et les pouvoirs dont l'expert dispose pour mener à bien sa mission ; qu'en retenant que l'expert n'apparaissait pas avoir outrepassé les limites de sa mission et appréciait seul les moyens utiles à la réalisation de son expertise, refusant ainsi de rechercher si les moyens utilisés n'étaient pas disproportionnés par rapport à la mission confiée et s'ils ne révélaient pas une véritable enquête réalisée par l'expert, dépourvue des garanties qui assortissent une telle procédure, la chambre de l'instruction a méconnu ses propres pouvoirs ;
"2°) alors que, et à tout le moins, en admettant implicitement que l'expert avait pu entendre l'ensemble du personnel sur les conditions d'organisation du travail dans l'entreprise et exiger toutes pièces qu'il estimait utiles à sa mission, quand seul le juge d'instruction et les enquêteurs agissant sur commission rogatoire pouvaient entreprendre de telles auditions, sous la garantie qu'elles seraient retranscrites dans un procès-verbal et signées par la personne entendue et quand seul le magistrat instructeur peut transmettre à l'expert des documents et pièces utiles à sa mission, la chambre de l'instruction, qui a ainsi validé une véritable enquête, sans rapport avec une mission expertale et dépourvue de toute garantie quant à la fiabilité des témoignages recueillis et des pièces sollicitées, a méconnu les articles 158, 163 et 164 du code de procédure pénale ;
"3°) alors que, si l'expert peut entendre toute personne autre que la partie civile, le mis en examen et le témoin assisté, à titre de renseignement, de sa propre initiative, le fait de ne pas consigner les déclarations des personnes entendues, dans des conditions en assurant la fiabilité, contrairement à ce que prévoit par ailleurs le code de procédure pénale concernant l'audition des témoins, porte atteinte au principe d'équité de la procédure et d'égalité des justiciables ; que la chambre de l'instruction, qui a retenu que l'expert pouvait déterminer lui-même les moyens propres à assurer sa mission, a méconnu le droit à un procès équitable et l'égalité des justiciables, tels que garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale ;
"4°) alors que le principe du contradictoire impose aux experts d'entreprendre les opérations expertales en présence des personnes soupçonnées si cette présence est seule de nature à garantir les droits de défense ; que dans leur mémoire, les mis en examen invoquaient que l'expert avait procédé à l'audition de l'ensemble du personnel, d'anciens salariés et de cocontractants, sans que ces auditions aient été consignées dans des conditions en assurant la fiabilité et sans que des représentants de la société aient pu y assister, ce qui ne permettait pas de discuter efficacement les éléments d'information ainsi consignés dans l'expertise et justifiait l'annulation de l'expertise réalisée ; qu'en estimant qu'il n'y avait pas lieu à annulation de l'expertise dès lors que le rapport d'expertise constituait une pièce de procédure qui pourrait être discutée contradictoirement, sans rechercher, si compte tenu de l'ampleur des auditions effectuées, le caractère contradictoire de la procédure ne pouvait être assuré que si l'expert réalisait ses actes en présence de représentants de l'entreprise qui était à tout le moins soupçonnée d'avoir commis une faute d'imprudence, au vu de l'objet de la mission d'expertise, et recevait pendant ses opérations leurs observations, la chambre de l'instruction a méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense telles que garantis par l'article 6, § 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité tiré du fait que l'expert aurait outrepassé ses pouvoirs en effectuant des auditions non contradictoires du personnel de l'entreprise et d'autres personnes, hors de tout cadre légal, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;
Qu'en effet, l'expert tient des dispositions de l'article 164, alinéa 1, du code de procédure pénale, la faculté de procéder, à titre de renseignement, à toutes les auditions, hors celles du mis en examen, du témoin assisté ou de la partie civile, qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission, qu'aucune disposition légale n'impose que ces auditions soient retranscrites dans un procès-verbal ni qu'elles soient effectuées contradictoirement, les parties ayant la possibilité de discuter l'avis des experts et de solliciter du juge d'instruction des compléments d'expertise ou des contre-expertises ; que le cas échéant, de telles demandes peuvent être formulées devant la juridiction de jugement éventuellement saisie ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 156, 158, 161, 174, 206, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler l'expertise réalisée par M. Y... ;
"aux motifs que l'article 158 du code de procédure pénale stipule expressément que la mission des experts, qui ne peut avoir pour objet que l'examen de questions d'ordre technique, est précisée dans la décision qui ordonne l'expertise ; qu'il apparaît que l'ordonnance désignant M. Bernard Y... en date du 24 février 2011 avait bien pour objet l'examen de questions d'ordre technique, à savoir déterminer les causes, circonstances et conséquences de l'explosion du 6 janvier 2011, en veillant notamment à décrire les lieux de l'accident, les activités de l'usine Gazechim et le processus industriel ; que, pour mener à bien sa mission, l'expert devait faire des vérifications, investigations, auditions des divers intervenants sur le site et recueillir des éléments de toute nature en matière d'hygiène et de sécurité du travail pour pouvoir déterminer avec certitude l'enchaînement des faits à l'origine de l'accident du 6 janvier 2011 ; que ces mesures s'imposaient avant d'émettre un avis sur les questions qui lui étaient soumises dans le cadre de sa mission expertale ;
"et aux motifs que n'excède pas les limites fixées par la loi la mission d'expertise qui après avoir précisé les questions techniques sur lesquelles devaient porter les vérifications des experts indique que leur avis doit permettre au juge d'instruction de mieux apprécier les responsabilités encourues ; que, dès lors que l'expert a été chargé d'examiner des questions d'ordre technique ses conclusions de quelque nature qu'elles soient n'encourt pas la censure dès lors qu'elles restent soumises à la discussion des parties et à l'appréciation des juges du fond ; que, dans ces conditions, aucune violation des droits de la défense ne saurait valablement être constatée ni aucune nullité accueillie ;
"1°) alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, dans leur mémoire, les mis en examen soutenaient qu'en entreprenant la recherche de tous les manquements aux obligations légales et réglementaires s'appliquant à la société Gazechim, l'expert avait excédé sa mission ; qu'ayant constaté que la mission de l'expert avait pour objet de déterminer les causes, circonstances et conséquences de l'explosion du 6 janvier 2011, en veillant notamment à décrire les lieux de l'accident, les activités de l'usine Gazechim et le processus industriel, ce qui ne visait pas la recherche des manquements éventuels de la société à ses obligations légales et réglementaires en matière de sécurité, la chambre de l'instruction ne pouvait sans se contredire en déduire que l'expert n'avait pas excédé sa mission qui, selon elle, impliquait de recueillir des éléments de toute nature en matière d'hygiène et de sécurité du travail pour pouvoir déterminer avec certitude l'enchaînement des faits à l'origine de l'accident du 6 janvier 2011 ;
"2°) alors qu'en vertu de l'article 158 du code de procédure pénale, les experts, qui ont seulement pour mission de faire des vérifications matérielles ou d'émettre leur avis sur les questions qui leur sont soumises ne sont chargés d'aucune partie de l'administration de la justice ; que, dès lors, ils n'ont pas qualité pour accomplir les actes qui ont pour objet de constater les délits et d'en découvrir les auteurs, c'est-à-dire les actes d'instruction ou de poursuite ; qu'en estimant que l'expert n'avait pas excédé sa mission, dès lors qu'il pouvait rechercher toutes les causes de l'accident, tant techniques que résultant éventuellement de manquements aux obligations légales et réglementaires qu'il lui appartenait ainsi de déterminer, qui plus est en utilisant tous les moyens de nature à lui permettre d'accomplir cette mission, moyens encore accrus par l'ordonnance du 14 septembre 2011 lui confiant une mission d'assistance des enquêteurs, et qu'il pouvait alors procéder à toutes les conclusions de quelque nature qu'elle soit, ce qui impliquait que l'expert avait reçu une délégation générale du magistrat instructeur, la chambre de l'instruction a violé l'article 158 du code de procédure pénale ;
"3°) alors qu'en tout état de cause, en vertu des articles 156 et 158 du code de procédure pénale, il appartient au seul juge de dire le droit et de se prononcer sur l'existence de charges suffisantes à l'encontre d'une personne ; qu'excède sa mission l'expert qui se livre à une analyse juridique des faits et des responsabilités pénales ; que la chambre de l'instruction qui a refusé de rechercher, comme cela lui était demandé par les mis en examen, si le rapport d'expertise qui s'est prononcé sur des questions juridiques, les fautes commises et la responsabilité des dirigeants de l'entreprise, en considération du fait que ses conclusions « de quelque nature qu'elles soient » pourront être discuté dans le cadre d'un débat contradictoire, a méconnu les articles 156 et 158 du code de procédure pénale interdisant à l'expert de se prononcer sur des questions juridiques et les responsabilités, lesquelles ne peuvent relever de sa mission" ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité selon lequel l'expert aurait excédé sa mission en se prononçant sur des questions étrangères à celle-ci et en émettant des appréciations juridiques relevant du seul office du juge ou aurait été bénéficiaire de la part du juge d'instruction d'une délégation générale de pouvoirs, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'expert, dont la mission a été circonscrite par l'ordonnance du juge d'instruction à des investigations et constatations techniques, à la description des lieux de l'accident, des activités de la société Gazechim et du processus industriel, ainsi qu' à la recherche des causes de l'explosion, a donné un avis sur l'origine de l'accident, soumis à la libre discussion des parties, permettant au juge d' apprécier les responsabilités encourues, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix novembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-83605
Date de la décision : 10/11/2015
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

INSTRUCTION - Expertise - Expert - Audition - Conditions - Retranscription dans un procès-verbal (non) - Portée

EXPERTISE - Mission - Etendue - Audition à titre de renseignement - Conditions - Retranscription dans un procès-verbal (non) - Portée

Aucune disposition légale n'impose que les auditions auxquelles peut procéder un expert, en application des dispositions de l'article 164, alinéa 1er, du code de procédure pénale, soient retranscrites dans un procès-verbal, ni qu'elles soient effectuées contradictoirement, les parties ayant la possibilité de discuter l'avis de l'expert et de solliciter du juge d'instruction ou de la juridiction de jugement éventuellement saisie des compléments d'expertise ou des contre-expertises


Références :

Sur le numéro 1 : articles 156, 158, 161, 174 et 206 du code de procédure pénale


Sur le numéro 2 : article 164, alinéa 1er, du code de procédure pénale

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-En-Provence, 19 mai 2015

Sur le n° 1 : Sur la légalité de l'intervention de l'expert qui, après avoir précisé les questions techniques sur lesquelles devaient porter ses vérifications, indique son avis en vue de permettre au juge d'instruction de mieux apprécier les responsabilités encourues, à rapprocher :Crim., 13 avril 2005, pourvoi n° 05-80668, Bull. crim. 2005, n° 132 (1) (rejet)

arrêt cité.Sur la nécessité de motiver une désignation d'expert lorsque l'expert n'est pas inscrit sur la liste dressée par la cour d'appel, à rapprocher :Crim., 27 octobre 2004, pourvoi n° 04-85182, Bull. crim. 2004, n° 260 (2) (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 nov. 2015, pourvoi n°15-83605, Bull. crim. criminel 2015, n° 245
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2015, n° 245

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Lemoine
Rapporteur ?: M. Bellenger
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 26/08/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:15.83605
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