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10/11/2015 | FRANCE | N°14-84137

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 novembre 2015, 14-84137


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Philippe X..., tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Augustin,
- M. Ghislain X...,
- Mme Véronique Y...,
- Mme Lucette Z..., épouse Y..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-9, en date du 9 mai 2014, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. Clément A...des chefs d'homicide et blessures involontaires ;

La COUR, statuant après débats en l'au

dience publique du 29 septembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. Philippe X..., tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur Augustin,
- M. Ghislain X...,
- Mme Véronique Y...,
- Mme Lucette Z..., épouse Y..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-9, en date du 9 mai 2014, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. Clément A...des chefs d'homicide et blessures involontaires ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 septembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Pers, conseiller rapporteur, Mme Dreifuss-Netter, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller PERS, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, et de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs, le mémoire en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6, du code pénal, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Clément A...non coupable des faits d'homicide et de blessures par imprudence et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;

" aux motifs que les charges visées dans l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, qui reprennent en tous points le réquisitoire définitif, n'ont fait l'objet d'aucun recours des parties dans le cadre de la phase d'instruction, particulièrement avant l'ordonnance de règlement, qu'elles sont particulièrement limitées puisqu'elles ne concernent ni les dégradations volontaires ni l'attitude de M. A...postérieurement à son réveil, lorsqu'il a quitté précipitamment les lieux, sans refermer la porte de son appartement ; qu'il convient donc de vérifier s'il est établi qu'un mégot mal éteint est à l'origine de l'incendie et, dans l'hypothèse où la matérialité de ces faits est exacte, s'ils constituent une infraction pénale ; que le rapport d'expertise de M. B..., puis le complément d'expertise du même expert ordonné par la chambre d'instruction lorsque M. A..., mis en examen, a contesté les conclusions de l'expertise initiale, ne démontre pas que, de façon certaine, une cigarette est à l'origine de l'incendie ; que ce rapport considère seulement cette hypothèse comme étant la plus probable et la plus vraisemblable ; que les termes utilisés dans l'expertise ne sont d'ailleurs pas péremptoires et utilisent l'adverbe « vraisemblablement » et laissent ouvertes d'autres hypothèses ; que si l'origine de l'incendie est une cigarette mal éteinte, cette affirmation ne peut être considérée comme certaine ; qu'en effet, le fait que M. A...fumait allongé sur son lit, considéré comme évident par l'expert, a toujours été contesté par l'intéressé lui-même puisqu'il a indiqué ne pouvoir fumer après avoir consommé des produits stupéfiants ; que ce n'est donc pas la seule hypothèse possible, les autres n'ayant pas été sérieusement étudiées ; qu'en outre, lors de son audition devant les enquêteurs, immédiatement après les faits, puis ultérieurement, M. A...a décrit une situation susceptible de crédibiliser d'autres hypothèses (notamment une surchauffe de la plaque électrique qu'il n'a pas le souvenir d'avoir éteinte ou un incident sur le circuit électrique) ; qu'il fait en effet état de flammes dans sa penderie et, dans l'hypothèse où il se serait endormi avec une cigarette aux lèvres, la douleur due à la brûlure devait le réveiller avant même que la fumée ne devienne épaisse et les flammes importantes ; que si l'origine de l'incendie est une cigarette non éteinte ou mal éteinte, il s'agit d'une hypothèse, certes la plus vraisemblable, mais qui n'est pas certaine ; que le droit pénal étant d'application stricte, elle ne peut être retenue à charge contre M. A...; que si le fait de laisser une cigarette se consumer et provoquer un incendie est un acte qui engage la responsabilité de l'auteur des faits civilement (il doit dédommager les victimes des faits), il n'est pas, en l'état actuel des textes, particulièrement ceux visés à la prévention, et de la jurisprudence, responsable pénalement ; que les articles 221-6 et 121-3 du code pénal, ce dernier donnant les critères d'application du premier, exigent en effet que l'auteur des faits ait violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer, ce qui n'est pas le cas de l'espèce, dans l'hypothèse d'une cigarette non ou mal éteinte ; que si une requalification des faits devant une juridiction pénale est possible, la juridiction de premier degré étant saisie in rem, le respect du contradictoire exige que la requalification envisagée ait été débattue à l'audience ou que les débats aient été rouverts ; que la cour constate que, devant les premiers juges, la nouvelle qualification retenue pour condamner M. A...concerne le même article du code pénal mais des faits différents de ceux dont le tribunal était saisi (le fait de ne pas refermer la porte de l'appartement après avoir quitté celui-ci en raison de l'incendie) ; que ces faits ne figuraient pas dans l'ordonnance du juge d'instruction qui a en effet renvoyé devant la juridiction de jugement M. A...pour avoir à Paris et en tout cas sur le territoire national, le 21 mars 2009 et depuis temps non couvert par la prescription, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité et de prudence imposée par la loi et le règlement, en l'espèce en laissant un mégot mal éteint dans un cendrier situé sur la table de chevet ayant enflammé le matelas et provoqué un incendie dans l'immeuble, involontairement causé la mort d'Inès X...; qu'avoir, à Paris et en tout cas sur le territoire national, le 21 mars 2009 et depuis temps non couvert par la prescription, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité et de prudence imposée par la loi et le règlement, en l'espèce en laissant un mégot mal éteint dans un cendrier situé sur la table de chevet ayant enflammé le matelas et provoqué un incendie dans l'immeuble, involontairement causé à M. Gabriel De C..., Mmes Gwenaelle D..., Danielle E..., Bachira L..., Catherine M..., Billy F..., Juana G..., Maria H..., Zahra I..., Joséphine J...et Sirapi K...une incapacité totale de travail de moins de trois mois ; que cette prévention qui, seule, saisit la juridiction de jugement, a été retenue par le magistrat instructeur ; qu'elle a repris le réquisitoire définitif sans qu'aucun avocat des parties ne conteste cette saisine particulièrement réduite et précise puisqu'elle ne s'attache qu'à une faute (un mégot mal éteint) susceptible d'avoir provoqué l'incendie et non au comportement ultérieur de M. A...; qu'elle n'a été pas été contestée par les parties devant le juge d'instruction avant l'ordonnance de renvoi, permettant ainsi aux parties civiles d'envisager, le cas échéant, une procédure civile, d'une part, sur les agissements de M. A...autres que ceux, supposés, du mégot mal éteint (tel le fait de ne pas avoir fermé sa porte en quittant son appartement non visé dans la prévention et que le tribunal ne pouvait donc examiner) et, d'autres part, des tiers, la propagation des fumées et des flammes et, plus encore du monoxyde de carbone, à l'origine du décès d'Inès X...étant susceptible d'engager la responsabilité civile d'autres personnes, physiques ou morales ; que les faits visés à la prévention, les seuls à pouvoir être examinés par la juridiction pénale puisque celle-ci n'est pas saisie de faits connexes pour lesquels le juge d'instruction a estimé qu'il n'existait pas d'éléments à charge suffisants, ne sont pas établis, ce que les premiers juges avaient d'ailleurs constaté ; que M. A...sera donc déclaré non coupable des faits visés à la prévention qui étaient qualifiés homicide involontaire et blessures involontaires ;

" 1°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel qui retient que l'hypothèse selon laquelle l'incendie aurait été déclenché par un mégot non éteint par le prévenu est la plus vraisemblable mais n'est pas certaine, en l'état d'autres causes possibles et de la contestation par le prévenu d'avoir fumé dans son lit le soir des faits ainsi que du fait allégué par lui qu'il était possible qu'il ait laissé la plaque de la cuisinière allumée, sans avoir recherché quel était le point d'initiation de l'incendie, situé par l'expert judiciaire dans la chambre et si, en considération de ce point, d'autres hypothèses de la cause de l'incendie que celle d'une cigarette non éteinte par le prévenu alors qu'il était dans son lit étaient envisageables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 2°) alors qu'en considérant pour relaxer qu'il n'était pas établi que l'incendie trouvait son origine dans une cigarette non éteinte par le prévenu, aux motifs inopérants qu'il avait toujours nié avoir fumé dans son lit, la nuit des faits, quand il résulte de ses propres constatations, que le prévenu avait consommé des stupéfiants le soir des faits et qu'il a lui-même reconnu avoir pu oublier d'éteindre la plaque de sa cuisinière, autre fait fautif, démontrant qu'il n'était pas dans son état normal lorsqu'il était allé dans sa chambre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 3°) alors que le prévenu avait toujours nié avoir fumé dans son lit le soir des faits, quand il résulte des procès-verbaux d'enquête qu'interrogé sur ce point, le prévenu a seulement affirmé ne pas se souvenir avoir fumé ; que la cour d'appel qui a ainsi dénaturé ces procès-verbaux, a privé sa décision de base légale ;

" 4°) alors que le fait de ne pas éteindre une cigarette ne pouvait constituer la violation d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi et le règlement, sans avoir recherché si un tel comportement n'était pas, à tout le moins, constitutif d'une faute caractérisée, au besoin en appelant les observations du prévenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 388 du code de procédure pénale ;

" 5°) alors qu'elle ne pouvait se prononcer que sur la faute visée dans l'ordonnance de renvoi que constituait le fait de n'avoir pas éteint une cigarette et ne pouvait dès lors se prononcer sur le fait pour le prévenu de n'avoir pas refermé la porte de son appartement dont la chambre était en flamme, lorsqu'il en est sorti, alors que ces faits étaient visés dans les motifs de l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine en violation de l'article 388 du code de procédure pénale ;

" 6°) alors qu'à tout le moins, étant saisie des faits de consommation de stupéfiants, la cour d'appel qui n'a pas recherché si le prévenu n'avait pas commis une faute d'imprudence caractérisée l'ayant empêché de réagir à temps à l'incendie, comme cela était soutenu dans les conclusions déposées par certaines parties civiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;

Vu l'article 388 du code de procédure pénale ;

Attendu que les juridictions correctionnelles doivent statuer sur l'ensemble des faits dont elles sont saisies par l'ordonnance de renvoi ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'Inès X...est décédée lors d'un incendie qui a pris naissance dans un appartement occupé par M. Clément A...situé au rez-de-chaussée de l'immeuble ; que renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, celui-ci a été déclaré coupable d'homicide par imprudence ; qu'appel a été interjeté par l'ensemble des parties ;

Attendu que, pour relaxer le prévenu des faits d'homicide involontaire, sur le fondement de l'article 221-6 du code pénal, tant dans son premier alinéa que dans son second alinéa, la cour d'appel retient que la nouvelle qualification appliquée par les premiers juges pour condamner M. A...concerne des faits différents de ceux dont le tribunal était saisi, en l'occurrence le fait de ne pas avoir refermé la porte de l'appartement après avoir quitté celui-ci en raison de l'incendie, qui ne figuraient pas dans l'ordonnance du juge d'instruction qui a renvoyé le prévenu pour avoir en laissant un mégot mal éteint dans un cendrier situé sur la table de chevet ayant enflammé le matelas et provoqué un incendie dans l'immeuble, involontairement causé la mort d'Inès X...;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il lui incombait de statuer sur tous les faits mentionnés dans l'ordonnance de renvoi en relation avec le décès accidentel par incendie d'Inès X...dont elle était saisie et qui étaient dans les débats, la cour d'appel a méconnu les termes de sa saisine ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2014, mais en ses seules dispositions ayant débouté les parties civiles de leurs demandes, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix novembre deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 14-84137
Date de la décision : 10/11/2015
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 09 mai 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 nov. 2015, pourvoi n°14-84137


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.84137
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