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10/09/2015 | FRANCE | N°14-24447

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 10 septembre 2015, 14-24447


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Laurent X... et Jacqueline Y..., son épouse, ont été assassinés à leur domicile dans la nuit du 31 décembre 1996 au 1er janvier 1997, alors que leur fils Jean-Laurent, âgé de deux ans, se trouvait près d'eux ; que M. Z... a été condamné par contumace pour ces crimes à la réclusion criminelle à perpétuité ; que M. Michel X..., Mme Gilberte X..., et M. Jean-Paul X..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal des biens du min

eur Jean-Laurent X... (les consorts X...), ont saisi une commission d'indemn...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Laurent X... et Jacqueline Y..., son épouse, ont été assassinés à leur domicile dans la nuit du 31 décembre 1996 au 1er janvier 1997, alors que leur fils Jean-Laurent, âgé de deux ans, se trouvait près d'eux ; que M. Z... a été condamné par contumace pour ces crimes à la réclusion criminelle à perpétuité ; que M. Michel X..., Mme Gilberte X..., et M. Jean-Paul X..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur légal des biens du mineur Jean-Laurent X... (les consorts X...), ont saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour confirmer la décision de la CIVI sur l'évaluation du préjudice psychologique subi par M. Jean-Laurent X..., l'arrêt énonce que c'est à bon droit que celle-ci s'est fondée sur un certificat médical daté du 20 octobre 2004, qui relate une prise en charge ancienne et une mise en oeuvre d'une psychothérapie par l'équipe pluridisciplinaire du centre médico-psychologique de Propriano depuis le 5 septembre 2001 ; que ce certificat fait état de graves troubles psychiques caractérisés par des troubles majeurs de la communication, un retard de langage, une désorganisation conceptuelle, un contact altéré avec la réalité, des désordres comportementaux sévères avec accès fréquent d'agitation ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle devait se placer au jour de sa décision pour apprécier le préjudice allégué par la victime, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et, sur le moyen unique, pris en ses trois dernières branches :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu que pour fixer le préjudice psychologique de la victime, ainsi que son préjudice d'établissement et celui, professionnel futur, d'enfant handicapé, l'arrêt énonce par motifs adoptés de la CIVI que les deux premiers doivent être appréciés de façon nécessairement forfaitaire, et le dernier in abstracto ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la réparation des préjudices doit correspondre à ces derniers et ne saurait être appréciée de manière forfaitaire ou évaluée in abstracto, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes. ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par M. Savatier, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller rapporteur empêché et par Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait alloué à M. Jean-Laurent X... une indemnité de 300.000 euros en réparation de son préjudice psychologique, une indemnité de 25.000 euros au titre de son préjudice d'établissement, et une indemnité de 200.000 euros au titre de l'incidence professionnelle, sous déduction des provisions déjà versées ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le Fonds de Garantie reproche à la CIVI de s'être basée pour l'évaluation du préjudice psychologique, du préjudice d'établissement et de l'incidence professionnelle, sur le seul certificat médical du 20 octobre 2004 émanant du docteur A..., alors qu'il n'établirait pas que les troubles de cet enfant sont imputables à l'infraction, qu'en outre ils sont évolutifs et que ce certificat est déjà ancien ; qu'il soutient en outre que le préjudice économique, incluant les incidences professionnelles, doit être chiffré en considération de la perte de revenus mais aussi des sommes versées par les organismes sociaux, qui absorberaient ce poste de préjudice ; que les intimés soulignent que le retard de la procédure est imputable au fonds de garantie et considèrent que les éléments contenus au certificat du Dr A... sont suffisamment probants ; que c'est à bon droit que la commission d'indemnisation des victimes d'infractions s'est fondée sur un certificat médical du docteur A..., daté du 20 octobre 2004, mais qui relate une prise en charge ancienne et une mise en oeuvre d'une psychothérapie par l'équipe pluridisciplinaire du centre médicopsychologique de Propriano depuis le 5 septembre 2001 ; que ce certificat fait état de graves troubles psychiques caractérisés par des troubles majeurs de la communication, un retard de langage, une désorganisation conceptuelle, un contact altéré avec la réalité, des désordres comportementaux sévères avec accès fréquent d'agitation ; qu'en l'absence du moindre élément pouvant laisser à penser que l'enfant était avant le drame déjà atteint de tels troubles, il n'est pas raisonnable de supposer que le jeune Laurent, qui a entendu les coups de feu alors qu'il se trouvait dans sa chambre, qui a été brutalement et sauvagement privé de ses parents, qui a été découvert sur les lieux de l'assassinat par les premiers intervenants, pourrait ne pas être atteint de troubles graves justifiant une indemnisation importante ; qu'il faut d'ailleurs relever que le préjudice de l'enfant a été évalué par la Cour d'assises de Corse-du-Sud, statuant sur intérêts civils, à la somme de 300.000 francs au titre du préjudice moral et celle de 500.000 francs au titre du préjudice économique, au vu des éléments figurant déjà au dossier ; qu'il ressort des considérations qui précèdent que l'entier préjudice peut être évalué en l'état sans qu'il y ait lieu de recourir à la nouvelle expertise sollicitée par le fonds de garantie ; que l'évaluation du préjudice psychologique retenue par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions d'Ajaccio apparaît conforme aux données du dossier et mérite donc confirmation ; que le préjudice économique, né de la disparition des revenus des parents, peut-être évalué comme le propose le fonds de garantie, et en l'absence de toute contestation sur ce point, en tenant compte des revenus du père de l'enfant et du prix de l'euro de rente, à la somme de 13.345,96 euros ; qu'il est établi que les organismes sociaux ont versé la somme totale de 123.809,58 euros. Cette somme absorbe effectivement le poste de préjudice économique ; qu'il existe indépendamment du préjudice économique un préjudice d'établissement, né des séquelles du traumatisme psychologique, indépendant de tout préjudice économique, constitué par la difficulté particulière à mener un projet de vie familiale et sociale normale ; que l'aspect personnel de ce préjudice peut, comme l'a décidé le premier juge, être réparé par une somme de 25.000 euros et l'aspect professionnel peut être évalué à 200.000 euros ; qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer intégralement la décision frappée d'appel, en y ajoutant cependant la mention du montant des débours des organismes sociaux ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE par décision en date du 25 mars 2002, la Commission a déjà jugé qu'il résultait de la procédure pénale jointe au dossier que le requérant n'a pas commis aucune faute de nature à limiter ou supprimer son droit à indemnisation ; que la commission dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer ainsi qu'il suit, le préjudice de Monsieur Jean-Laurent X... ; que, sur le préjudice psychologique, il convient de rappeler que le déficit fonctionnel permanent, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, correspond à "la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours" ; que le préjudice psychologique sollicité par le requérant est constitué de ces répercussions psychologiques précitées telles que reprises dans la nomenclature Dintilhac ; que ce poste de préjudice est justifié par un certificat médical établi à la demande du Juge d'instruction et qui, même s'il est daté de 2004, décrit avec précision et sans ambiguïté les atteintes subies par la victime, soit « des troubles majeurs de la communication, un retard de langage, une désorganisation conceptuelle, un contact altéré avec la réalité, des désordres comportementaux sévères avec accès fréquents d'agitation... Ces troubles sont à l'origine ... d'un échec scolaire. Ils ont nécessité une prise en charge psychothérapique qui s'est intensifiée au fil des années...le handicap mental correspondant aux troubles actuels doit être considéré comme majeur et continue de nécessiter une prise en charge spécialisée » ; que la répercussion psychologique liée à l'infraction à l'origine des présentes demandes d'indemnisation est justifiée ; qu'il sera donc fait droit à ce chef de demande pour une somme nécessairement forfaitaire de ¿ ; que, sur le préjudice économique, ce poste de préjudice est sollicité au titre de l'aide alimentaire qu'auraient consacré les parents décédés à l'éducation de l'enfant ; que cette contribution financière est prise en compte par les pensions versées par les divers organismes et particulièrement par la pension principale d'orphelin versée par la Caisse des Dépôts et Consignations ; que ce chef de demande sera donc rejeté ; que, sur le préjudice de jeunesse, dans le cadre de la réparation des dommages, ce préjudice juvénile a désormais cédé la place au préjudice d'établissement, lequel est constitué par la perte de chance personnelle ci-après évoquée ; qu'il ne sera donc pas fait droit à ce chef de demande pris séparément mais celui-ci sera examiné dans le cadre des pertes de chances personnelles et professionnelles ; que, sur la perte de chances personnelles et professionnelles, ce chef de demande correspond au préjudice d'établissement ; que s'agissant de l'aspect personnel, ce préjudice concerne des personnes jeunes atteintes de traumatismes importants et dont le projet de vie familiale « normale » est compromis ; qu'à ce titre, le requérant est fondé à en solliciter réparation pour une somme nécessairement forfaitaire que la Commission fixe à 25.000 ¿ ; que s'agissant de l'aspect professionnel de ce chef de demande, lequel correspond à l'incidence professionnelle et plus précisément au préjudice professionnel futur de l'enfant handicapé, celui-ci est évalué in abstracto ; qu'au vu des conclusions du certificat médical du 20 octobre 2004, du caractère non figé des troubles constatés et des progrès réalisés sur le plan clinique, ce chef de demande sera indemnisé par l'allocation de la somme de 200.000 ¿ ;
1°) ALORS QUE le juge doit apprécier le préjudice allégué par la victime au jour de sa décision ; qu'en appréciant, en 2014, le préjudice psychologique subi par M. Jean-Laurent X... sur la seule foi d'un certificat médical établi le 20 octobre 2004, soit dix ans avant la décision, alors qu'il n'était, à cette date, âgé que de dix ans, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
2°) ALORS QUE la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en confirmant le jugement ayant évalué le préjudice psychologique subi par M. X... à la « somme nécessairement forfaitaire de 300.000 ¿ » (jugement confirmé, p. 4, § 7), sans se livrer à son appréciation in concreto, la Cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale ;

3°) ALORS QUE la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en confirmant le jugement ayant évalué le préjudice d'établissement subi par M. X... à la « somme nécessairement forfaitaire » de euros (jugement confirmé, p. 5, § 4), sans se livrer à son appréciation in concreto, la Cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale ;
4°) ALORS QUE la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en confirmant le jugement ayant jugé que le «préjudice professionnel futur de l'enfant handicapé » devait être « évalué in abstracto » (jugement, confirmé, p. 5, § 7) à la somme de 200.000 euros, quand il lui appartenait de se livrer à son appréciation in concreto, la Cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 14-24447
Date de la décision : 10/09/2015
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 04 juin 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 10 sep. 2015, pourvoi n°14-24447


Composition du Tribunal
Président : Mme Flise (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.24447
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