LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique pris en sa première branche :
Vu l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., blessée dans un accident de la circulation alors qu'elle était la passagère d'une motocyclette conduite par son compagnon, Jean-François Y..., qui est décédé des suites de cet accident ayant résulté d'une collision provoquée par un side-car conduit par M. Z..., a assigné la société Sada assurances, assureur de ce dernier, en indemnisation de ses divers préjudices ;
Attendu que pour rejeter la demande de Mme X... tendant à la réparation de son préjudice professionnel, l'arrêt énonce que l'expert ne retient aucune inaptitude à la reprise par Mme X... de son activité professionnelle en relation de causalité avec l'accident ; que l'expert a pris soin de solliciter l'avis d'un sapiteur psychiatre, qui relève, à l'examen, un état de stress post-traumatique associé à un état dépressif majeur, dont il indique qu'il est en lien certain et direct avec l'accident, alors que l'état dépressif est en relation avec le décès de son compagnon, et qui précise que son inaptitude professionnelle est en relation avec son état dépressif ; qu'aucune critique n'est apportée à cet avis motivé émanant d'un professionnel spécialisé qui repose sur des données objectives, après consultation de son entier dossier médical, examen de cette victime et analyse de ses doléances ; que Mme X... ne produit pas le moindre élément technique de nature à remettre en cause cette conclusion ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'état dépressif de Mme X... qui avait entraîné son inaptitude professionnelle était la conséquence de l'accident dans lequel était décédé son compagnon la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ces constatations, a violé le texte et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulon du 15 septembre 2011 en sa disposition déboutant Mme X... de sa demande d'indemnisation de préjudice professionnel, et en ce qu'il fixe le préjudice corporel global de Mme X... à la somme de 115 866, 19 euros, dit que l'indemnité lui revenant au titre de son préjudice corporel s'établit à 83 349, 15 euros et condamne la société Sada assurances à lui payer cette somme de 83 349, 15 euros au titre de ce préjudice, l'arrêt rendu le 25 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Sada assurances aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille quinze, signé par Mme Flise, président, et par Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Tiffreau, Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme X... de son préjudice professionnel consécutif à son inaptitude en relation avec son état dépressif provoqué par le décès de son compagnon dans l'accident du 28 mars 2004,
AUX MOTIFS QUE « (¿) le droit à indemnisation intégrale du préjudice corporel subi par Mme X..., victime non conducteur qui n'a commis aucune faute inexcusable, n'a jamais été contestée ; seule est discutée en cause d'appel l'évaluation de ce préjudice (¿) ¿ (sur la) Perte de gains professionnels futurs ; ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable ; aucune indemnité ne peut être allouée à ce titre ; l'expert ne retient aucune inaptitude à la reprise par Mme X... de son activité professionnelle en relation de causalité avec l'accident ; que les séquelles sont à la fois physiques (13 %) et psychiques caractérisées par un syndrome de stress post-traumatique (7 %) à l'exclusion de l'état dépressif ; que l'expert B...a pris soin de solliciter l'avis d'un sapiteur psychiatre, le docteur C...; que ce dernier note que Mme X... avait présenté avant l'accident une symptomatologie anxio-dépressive qui avait évolué entre 1998 et 2002, pour laquelle elle avait été traitée par un psychiatre avec un traitement psychotrope ; qu'il relève, à l'examen, un état de stress post traumatique associé à un état dépressif majeur ; il indique que cet état de stress post-traumatique est en lien certain et direct avec l'accident du 28 mars 2004, alors que l'état dépressif est en relation avec le décès de son compagnon et précise que son inaptitude professionnelle est en relation avec son état dépressif ; qu'aucune critique n'est apportée à cet avis motivé émanant d'un professionnel spécialisé qui repose sur des données objectives, après consultation de son entier dossier médical, examen de cette victime et analyse de ses doléances ; que Mme X... ne produit pas le moindre élément technique de nature à remettre en cause cette conclusion (¿) » (arrêt attaqué pp. 6, 8 et 9),
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « (¿) sur le préjudice professionnel allégué : selon l'avis du docteur C..., sapiteur psychiatre, Mme X... présente une inaptitude professionnelle en relation avec son état dépressif, lui-même consécutif non pas à l'accident, mais au décès de son amant survenu dans cet accident (rapport du 18/ 6/ 07, page 12 in fine) ; s'agissant d'un préjudice essentiellement indirect, l'expert B...n'a dès lors justement retenu aucune incidence professionnelle dans les conclusions de son propre rapport ; que Mme X... doit en conséquence être déboutée comme infondée tant de sa demande d'indemnisation pour perte de revenus depuis sa consolidation le 28 mars 2006 jusqu'à sa mise à la retraite le 28 mai 2009 que de sa demande indemnitaire pour perte de revenus à compter de sa mise en retraite ; que les mêmes raisons conduisent à rejeter la demande de l'Etat Français tendant au remboursement de la retraite anticipée servie à l'intéressée à partir de juin 2009 (¿) » (jugement entrepris, p. 4),
ALORS QUE 1°), l'état dépressif qui est la conséquence psycho-réactionnelle résultant du décès d'un proche dans un accident, constitue la suite directe du traumatisme créé par ce dernier et l'inaptitude professionnelle qui s'ensuit, en relation directe avec l'accident, doit être indemnisée ; qu'en refusant une telle indemnisation, tout en constatant que l'inaptitude professionnelle de Mme X... était en relation avec son état dépressif dû au décès de son compagnon dans l'accident du 28 mars 2004, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 2 et suivants de la loi du 5 juillet 1985,
ALORS QUE 2°), au surplus, la prédisposition à une névrose ne constitue pas une circonstance de nature à limiter le droit à la réparation intégrale des conséquences dommageables d'un accident, si l'état névrotique antérieur n'a précédemment occasionné aucune gêne dans la vie sociale et professionnelle de la victime ; qu'en relevant (arrêt attaqué, p. 8) que « Mme X... avait présenté avant l'accident une symptomatologie anxio-dépressive qui avait évolué entre 1998 et 2002, pour laquelle elle avait été traitée par un psychiatre avec un traitement psychotrope », sans constater qu'une telle prédisposition aurait eu une incidence sur sa vie professionnelle avant l'accident, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et suivants de la loi du 5 juillet 1985.