LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Vu les articles 9, 10 et 11 du Règlement CE n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000, ensemble l'article 3 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 5 décembre 2012, n° 1126364), qu'à la suite d'un incendie survenu dans l'Aveyron en septembre 2009, un semi-remorque, donné en location-bail à la société Lucalphi, et son contenu, appartenant à la société Warmup Luc Alphand aventures, devenue Warmup aventures 72 (société Warmup), ont été détruits ; que les sociétés Lucalphi et Warmup ont assigné la société allemande Auto Gunster et son assureur R + V Allgemeine Versicherung devant un juge des référés pour obtenir une provision en soutenant qu'une réparation effectuée en Allemagne en août précédent serait à l'origine du dommage ;
Attendu que, pour rejeter l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les sociétés allemandes, l'arrêt retient que le principe de l'applicabilité de l'action directe se trouve régi par la loi du lieu où le fait dommageable s'est produit ;
Qu'en statuant ainsi, en matière de responsabilité contractuelle, alors que la personne lésée peut agir directement contre l'assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l'obligation contractuelle ou la loi applicable au contrat d'assurance le prévoit, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Lucalphi et M. Z..., en qualité de mandataire liquidateur de la société Warmup aventures 72, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Lucalphi et de M. Z..., en qualité de mandataire liquidateur de la société Warmup aventures 72 et les condamne in solidum à payer à la société R + V Allgemeine Versicherung la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour les sociétés R + V Allgemeine Versicherung AG et Autohaus Gunster GmbH.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR confirmé l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Rodez en ce qu'il s'était déclaré territorialement compétent pour connaître des demandes de provision formées contre la société R + V ALLGEMEINE VERSICHERUNG AG ;
AUX MOTIFS QUE « les articles 8 à 11 du Règlement (CE) n° 44/ 2001 du Conseil de l'Union européenne du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire prévoient des options de compétence territoriale au profit d'une victime d'un dommage qui souhaite engager une action en justice directement contre l'assureur du responsable, lorsqu'une telle action directe est possible. Que le principe de l'applicabilité de l'action directe se trouve régi par la loi du lieu où le fait dommageable s'est produit, c'est-à-dire le lieu où le dommage a été subi ou le lieu du fait générateur de ce dommage ; que cependant, pour trancher le conflit de lois, le juge doit retenir, parmi celles susceptibles de s'appliquer, la loi qui présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable ; Qu'en l'espèce le fourgon semi-remorque avait été donné en location-bail à une société et que son contenu appartenait à une autre société dont les sièges sociaux se trouvaient en France ; que le certificat d'immatriculation du véhicule accidenté avait été délivré en France ; que ce camion circulait dans plusieurs pays européens dont la France et l'Allemagne pour se rendre sur les circuits automobiles selon le calendrier des compétitions, mais qu'aucune pièce produite aux débats ne démontre qu'il était habituellement basé en Allemagne ou qu'il avait plus circulé dans ce pays qu'en France ; Qu'en outre, il apparaît que le choix du garage de la société Autohaus GUNSTER, situé à Coblence en Allemagne, pour procéder à la réparation du semi-remorque, avait été purement contingent puisqu'il découlait de ce que cet établissement se trouvait à proximité du lieu de la panne survenue au cours d'un trajet entre le circuit de Nürburgring en Allemagne et celui de Budapest en Hongrie et qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que la société WARMUP et/ ou la société LUCALPHI étaient des clients habituels de cette société AUTOHAUS GUNSTER ; Qu'ainsi la loi française présente des liens plus étroits avec le fait dommageable que la loi allemande et qu'elle est applicable au litige ; Que l'action directe contre la société R + V ALLGEMEINE VERSICHERUNG, assureur de responsabilité de la société AUTOHAUS GUNSTER, est alors possible en application de l'article L. 124-3 du Code des assurances et que les sociétés WARMUP et LUCALPHI étaient fondées à introduire leur action en référé devant le Tribunal de commerce de Rodez dans le ressort duquel le dommage objet des demandes de provision a été subi » ;
1. ALORS QUE, premièrement, en matière de responsabilité contractuelle, l'existence d'une action directe contre l'assureur est régie par la loi du contrat dont l'inexécution a généré la responsabilité de l'assuré ; qu'au cas d'espèce, il résulte de l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 6 octobre 2011 et de l'arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 2012 que la responsabilité de l'assuré, AUTOHAUS GUNSTER, à l'encontre des sociétés WARMUP et LUCALPHI était de nature contractuelle, les parties étant liées par un contrat de réparation ; qu'en jugeant les juridictions françaises compétentes, au motif que le principe de l'action directe était régi par la loi française, au titre de la loi du lieu où le préjudice a été subi, alors qu'il aurait dû être régi par la loi applicable au contrat de réparation, la Cour d'appel a violé les articles 9, 10 et 11 du règlement n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000, ensemble l'article 3 du Code civil ;
2. ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, à supposer qu'en matière de responsabilité contractuelle, l'existence d'une action directe soit régie par la loi du lieu du fait dommageable, les conclusions d'appel pour la société AUTOHAUS et R + V ALLGEMEINE VERSICHERUNG soutenaient que la dissociation du lieu du fait dommageable entre le lieu du fait générateur et le lieu où le dommage a été subi ne vaut qu'en matière délictuelle ou quasi-délictuelle et reste sans application en matière contractuelle (conclusions p. 10 § 3 et suivants) ; qu'en jugeant que la loi du lieu du fait dommageable visait aussi bien la loi du lieu du fait générateur que celle du lieu où le préjudice a été subi et qu'il convenait donc de rechercher entre les deux celle qui présentait les liens les plus étroits avec le litige, sans répondre, ne serait-ce que sommairement, au moyen soutenant que la dissociation du lieu du fait dommageable entre le lieu du fait générateur et celui où le dommage a été subi ne vaut que s'il s'agit de responsabilité délictuelle, et non de responsabilité contractuelle, la Cour d'appel a privé sa décision de motif en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
3. ALORS QUE, troisièmement, et en toute hypothèse, à supposer qu'en matière de responsabilité contractuelle, l'existence d'une action directe soit régie par la loi du lieu du fait dommageable et qu'il faille rechercher entre la loi du lieu du fait générateur du dommage et celle du lieu où le préjudice a été subi celle qui présente les liens les plus étroits, il reste que lorsque le lieu de réalisation du dommage est purement fortuit, la loi qui présente les liens les plus étroits est nécessairement celle du fait générateur ; qu'au cas d'espèce, la Cour d'appel a estimé que la loi française, loi du lieu où le préjudice a été subi, présentait des liens plus étroits avec le litige que la loi allemande, loi du lieu où le fait générateur s'est produit ; qu'en statuant ainsi, alors que le lieu où le préjudice a été subi était purement fortuit, et que le litige présentait donc des liens plus étroits avec la loi du lieu du fait générateur, à savoir la loi allemande, la Cour d'appel a violé les articles 9, 10 et 11 du règlement n° 44/ 2001 du 22 décembre 2000, ensemble l'article 3 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR condamné la société R + V ALLGEMEINE VERSICHERUNG à payer à la SARL LUCALPHI une provision de 42. 900 euros, à payer à Me Z..., es qualités, à titre provisionnel, la contrevaleur en euros de la somme de 954. 000 dollars américains à la date du paiement, dans la limite de la somme de 733. 816, 80 euros, à valoir sur la réparation du préjudice matériel, à payer les sommes de 20. 349 euros pour les taxes d'importation et de 1. 999, 33 euros pour le quad Gasgas, le tout sous déduction de la somme de 442. 377 euros déjà versée par Axa Assurances, et à payer à Me Z..., es qualités, à titre provisionnel la somme de 32. 455, 65 euros à valoir sur la réparation du préjudice immatériel ;
AUX MOTIFS QUE « 1°- Sur l'existence d'une obligation non sérieusement contestable à la charge de la société Autohaus Günster et de la société R + V Allgemeine Versicherung. Considérant que l'expert judiciaire M. X...a estimé que l'intervention de la société Autohaus Günster avait été incomplète sur l'essieu arrière du semi-remorque, le garagiste ayant seulement remplacé les pièces qui apparaissaient visuellement détruites, sans procéder à la recherche de la cause de l'explosion du tambour, alors que le manuel du constructeur du véhicule recommandait un examen des composants après le type d'incident mécanique survenu, qu'en outre l'usure limite des freins qui affectait l'essieu avant ne permettait pas la remise en circulation du véhicule et qu'enfin la société Autohaus Günster n'avait pas effectué de passage au banc de freinage, ce qui aurait pourtant permis de déceler que l'action de freinage ne se produisait pratiquement que sur l'essieu arrière ; Que l'expert ajoute que ces réparations incomplètes ont entrainé l'échauffement des tambours placés à l'arrière quand le véhicule, après avoir quitté l'autoroute, s'était engagé sur une route sinueuse et vallonnée et à ventilation moindre, route où s'était produit l'incendie ; Considérant que ces conclusions claires, univoques et étayées du rapport d'expertise ne sont pas sérieusement contestables dès lors que, M. X...a, en pages 10 et 14 de son rapport, répondu aux dires que lui avait adressés les 9 juillet et 26 juillet 2010 le conseil de la société Autohaus Günster et de la société R + V Allgemeine Versicherung sur l'imputabilité de l'accident ; Que de même, le document rédigé par M. Y...à la demande de la société R + V Allgemeine Versicherung et régulièrement produit aux débats, ne peut sérieusement contrecarrer l'expertise judiciaire dans la mesure où M. Y...s'est contenté de faire une critique et des déductions à partir des opérations de M. X..., en donnant son avis au regard des pièces versées aux débats, de la facture de réparation de la société Autohaus Günster et « des différentes prises de position », sans pour autant avoir procédé à un quelconque examen direct et personnel du système de freinage sur le véhicule incendié ; Qu'enfin, les griefs de la société Autohaus Günster et de la société R + V Allgemeine Versicherung, quant à un prétendu mode de conduite anormal du véhicule par les chauffeurs de la société Warmup, ne reposent que sur des supputations qui ne sont pas corroborées par les pièces versées aux débats ; Qu'il est donc évident que la société Autohaus Günster n'a pas effectué dans les règles de l'art les travaux nécessaires à la remise en état du véhicule semi-remorque, ce qui a été à l'origine de l'incendie des 1er/ 2 septembre 2009, de sorte que l'obligation de la société R + V Allgemeine Versicherung, assureur de la société Autohaus Günster, de réparer les conséquences dommageables du sinistre ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; 2°- Sur les demandes de la société Lucalphi. Considérant que la remorque détruite par l'incendie avait été achetée pour le prix de 187. 900 euros ; Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable que la société Lucalphi pourra prétendre devant le juge du fond à être replacée dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, le propre de la responsabilité civile étant de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage, si bien qu'aucun coefficient de vétusté n'est applicable puisqu'une telle opération, si elle était admise, aurait pour effet de faire supporter injustement à la victime une dépense supplémentaire rendue nécessaire par le fait de l'auteur du dommage ; Qu'en conséquence la provision revenant à la société Lucalphi doit être évaluée à cette somme de 187. 900 euros, sans appliquer la décote de 20 % proposée par l'expert ; Considérant que la société Lucalphi a déjà reçu de la société Axa France la somme de 144. 999, 50 euros ; qu'il conviendra donc de condamner la société R + V Allgemeine Versicherung à lui verser la somme de 42. 900 euros ; 3° Sur les demandes de Me Z..., es qualités de liquidateur judiciaire de la société Warmup. a ¿ Préjudice matériel : Considérant que la réparation revenant à M. Z..., es qualités, pour les biens détruits dans l'incendie, doit correspondre à la valeur de remplacement en vertu du principe déjà appliqué à propos de la remorque ; Que sur la base du prix actuel de chaque bien à l'état neuf, la provision doit porter sur la valeur du véhicule Corvette détruit, les moteurs n° 7R43 et 7R29 et un quad Gasgas, à quoi s'ajoute le montant des taxes d'importation ; Que cependant le véhicule et les moteurs ont été acquis en dollars américains (USD) et que dans la mesure où une condamnation à la réparation d'un dommage exprimée en une monnaie étrangère ne peut être que de la contrevaleur en euros, au jour du règlement, de la somme allouée à la victime il conviendra de condamner la société R + V Allegemeine Versicherung à payer la contrevaleur en euros de la somme de 954. 000 USD à la date du paiement ¿ dans la limite de la somme de 733. 816, 80 euros réclamée à ce titre par M. Z..., le juge ne pouvant accorder plus que ce qui est demandé ¿ ainsi que les sommes de 20. 349 euros pour les taxes d'importation et de 1. 999, 33 euros pour le quad Gasgas seront en outre allouées à M. Z..., le tout sous déduction de la somme de 442. 377 euros versée par l'assureur ; Considérant qu'en revanche, pour ce qui concerne les pièces détachées, l'expert judiciaire s'est contenté de renvoyer à la liste établie par la société Warmup sans qu'il ait procédé lui même à un récolement ; que s'il est certain que cette liste correspond bien à des matériels achetés par la société Warmup, il n'en reste pas moins que l'intensité de l'incendie et la composition de certains matériels inflammables n'ont pas permis de dresser de manière incontestable un inventaire des matériels qui se trouvaient réellement dans la remorque au moment de sa destruction ; Que la contestation sur ce point est donc sérieuse et le juge des référés n'a pas le pouvoir de la trancher » ;
1. ALORS QUE, premièrement, l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile subordonne l'octroi d'une provision à la condition que l'obligation ne soit pas sérieusement contestable ; qu'en condamnant la société R + V ALLGEMEINE VERSICHERUNG à indemniser la victime agissant par voie d'action directe, cependant qu'il existait une contestation sérieuse sur l'existence de l'obligation de R + V ALLGEMEINE VERSICHERUNG à l'égard des sociétés WARMUP et LUCALPHI, agissant par voie d'action directe, puisque cette dernière dépendait de la loi applicable à l'action directe, laquelle dépendait de la règle de conflit retenue, la Cour d'appel a violé l'article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
2. ALORS QUE, deuxièmement, le juge des référés excède ses pouvoirs s'il statue sur le fond du litige ; qu'en déclarant applicable à l'action directe exercée par les sociétés WARMUP et LUCALPHI la loi française après avoir reconnu son applicabilité selon une prétendue règle de conflit française déclarant applicable au principe de l'action directe la loi du lieu du fait dommageable, la Cour d'appel a statué sur le fond du droit excédant ainsi ses pouvoirs, en violation des articles 484 et 873, alinéa 2, du Code de procédure civile.