LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 3 décembre 2013), que M. X..., avocat, qui, courant 1999, avait rejoint, en qualité de collaborateur non salarié, la société « Ernst et Young société d'avocats » (la société) à laquelle il avait alors cédé sa clientèle, a décidé de cesser sa collaboration pour exercer son activité à son propre compte à dater du 1er octobre 2005 ; que la société l'a assigné en paiement d'une certaine somme pour prix de rétrocession de clientèle ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société la somme de 530 210 euros, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions ; qu'un commissaire aux comptes, à qui l'article L. 822-11- II du code de commerce interdit de prodiguer des conseils à son client, ne peut développer, recueillir ou céder une clientèle d'avocat ; qu'il résulte des constatations et énonciations de l'arrêt attaqué qu'en 2005 la société, qui poursuivait son activité de commissaire aux comptes, a rétrocédé une clientèle d'avocat à M. X... alors qu'était applicable l'article L. 822-11- II du code de commerce ; qu'en jugeant que cette opération était licite au prétexte que si la société ne pouvait continuer à travailler avec la clientèle en question elle pouvait néanmoins la céder, la cour d'appel a violé les articles 6 et 1128 du code civil et le texte susmentionné ;
2°/ que la cession d'une clientèle d'avocat n'est licite qu'à la condition que la liberté de choix du client soit préservée, de sorte qu'en suite d'une telle opération aucune obligation, fût-elle légale, ne doit contraindre le cédant à refuser ses services à un ancien client entrant dans le champ de la cession ; qu'à supposer même que la société pût procéder en 2005 à la cession d'une clientèle d'avocat bien qu'à son égard elle était hors du commerce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société ne pouvait, en suite de cette cession, que refuser de prodiguer des prestations d'avocat à un ancien client cédé qui le lui eût demandé, par application de l'article L. 822-11- II du code de commerce ; qu'à cet égard également, en validant néanmoins la cession litigieuse la cour d'appel a violé les articles 6 et 1128 du code civil et le texte susmentionné ;
3°/ que M. X... soulignait que le comportement de la société démontrait qu'elle avait renoncé au droit à rémunération visé par l'article V du contrat puisqu'alors qu'il avait repris son entière liberté au début de l'année 2005 durant cette année entière il avait continué à exercer son activité dans les mêmes locaux en exploitant la clientèle de son choix, en contrepartie de quoi la société s'était bornée à encaisser un loyer sans accomplir le moindre acte de présentation de clientèle ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce point pour condamner M. X... à payer l'indemnité prévue par ledit article V, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que, d'abord, l'arrêt retient à bon droit, au regard de l'article L. 822-11, II du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, et sans méconnaître les dispositions des articles 6 et 1128 du code civil que, si la société n'était plus autorisée à poursuivre son activité de conseil auprès de ses clients dont elle certifiait les comptes, elle pouvait céder à un tiers la clientèle de l'activité qu'elle délaissait, quelles qu'aient été les raisons de la cession, choisie ou forcée ;
Qu'ensuite, M. X... n'a pas prétendu, devant les juges du fond, que la cession litigieuse aurait contrevenu à la liberté de choix du client ;
Qu'enfin, ayant constaté que M. X... s'était maintenu, moyennant le versement d'un loyer, dans les locaux de la société afin de bénéficier d'une continuité visible d'exercice, la cour d'appel a fait ressortir que cette circonstance ne caractérisait pas une renonciation de la société à son droit à rémunération au titre de la rétrocession, répondant ainsi aux conclusions prétendument délaissées ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche nouvelle et mélangée de fait, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour M. X...
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a condamné Monsieur X... à payer à la société ERNST et YOUNG 530 210 ¿ outre les intérêts au taux légal capitalisés ;
AUX MOTIFS QU'« aux termes du protocole d'accord du 19 novembre 1999, monsieur X... cédait à la société HSD Ernst et Young " l'intégralité de la clientèle " qu'il exploitait, qu'il intégrait la société d'avocats " avec le statut d'avocat indépendant " et s'engageait à " consacrer la totalité de son temps professionnel à IISD Ernst et Young et s'interdira de traiter des clients pour son compte personnel ", moyennant quoi il percevait un honoraire fixe de 900. 000 f HT ainsi qu'un honoraire proportionnel au titre des missions générées par lui au profit des sociétés du groupe ; que l'article V du protocole prévoit une transaction dans les mêmes conditions " dans tous les cas de rupture " " si maître X... souhaite reprendre l'exploitation de tout ou partie de la clientèle " ; que cette clause de modalités de cession n'est applicable que si l'avocat partant souhaite reprendre la clientèle, mais qu'aucune clause ne le lui impose ; que monsieur X... ne soutient à aucun moment avoir été contraint de reprendre sa clientèle, qu'il a accepté de se maintenir dans les locaux de l'exercice antérieur afin de bénéficier d'une continuité visible d'exercice, et qu'il n'apparaît pas qu'il y ait eu une quelconque entorse, contractuelle ou de fait, à sa liberté d'établissement ; que monsieur X... a cédé sa clientèle et la reprend ; qu'il est normal qu'ayant bénéficié du prix de la cession il paie le prix du rachat en sorte que le contrat apparaît équitable et légal ; qu'il ne peut être fait une distinction de clientèle disponible ou non, et que quelles que soient pour le cédant les raisons de la cession, choisies ou forcées, il a droit à la rémunération de cette cession ; qu'en effet, le premier juge a semblé considérer comme indisponible, et donc insusceptible de cession, ou de présentation, la clientèle avec laquelle une société du groupe poursuivait l'activité de commissaire aux comptes ; que, si HSB Ernst et Young ne pouvait pas poursuivre son activité d'avocat auprès de ces clients, elle n'en était pas moins libre, a priori, de les céder, ou les présenter, à qui bon lui semblait dans la mesure où le protocole laisse le choix à monsieur X... de conserver tout ou partie de la clientèle, voire de ne pas la conserver du tout ; que la clientèle, ou la présentation de clientèle, de l'avocat qui cesse son activité n'est ni sans valeur ni incessible ; que, dès lors, le jugement sera infirmé et qu'il sera fait droit à la demande principale de l'intimée » ;
ALORS premièrement QU'il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions ; qu'un commissaire aux comptes, à qui l'article L. 822-11- II du code de commerce interdit de prodiguer des conseils à son client, ne peut développer, recueillir ou céder une clientèle d'avocat ; qu'il résulte des constatations et énonciations de l'arrêt attaqué qu'en 2005 la société ERNST et YOUNG, qui poursuivait son activité de commissaire aux comptes, a rétrocédé une clientèle d'avocat à Monsieur X... lors-même qu'était applicable l'article L. 822-11- II du code de commerce ; qu'en jugeant que cette opération était licite au prétexte que si la société ERNST et YOUNG ne pouvait continuer à travailler avec la clientèle en question elle pouvait néanmoins la céder, la cour d'appel a violé les articles 6 et 1128 du code civil et le texte susmentionné ;
ALORS deuxièmement QUE la cession d'une clientèle d'avocat n'est licite qu'à la condition que la liberté de choix du client soit préservée, de sorte qu'en suite d'une telle opération aucune obligation, fût-elle légale, ne doit contraindre le cédant à refuser ses services à un ancien client entrant dans le champ de la cession ; qu'à supposer même que la société ERNST et YOUNG pût procéder en 2005 à la cession d'une clientèle d'avocat bien qu'à son égard elle était hors du commerce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société ERSNT et YOUNG ne pouvait, en suite de cette cession, que refuser de prodiguer des prestations d'avocat à un ancien client cédé qui le lui eût demandé, par application de l'article L. 822-11- II du code de commerce ; qu'à cet égard également, en validant néanmoins la cession litigieuse la cour d'appel a violé les articles 6 et 1128 du code civil et le texte susmentionné ;
ALORS troisièmement QUE Monsieur X... soulignait que le comportement de la société ERNST et YOUNG démontrait qu'elle avait renoncé au droit à rémunération visé par l'article V du contrat puisqu'alors qu'il avait repris son entière liberté au début de l'année 2005 durant cette année entière il avait continué à exercer son activité dans les mêmes locaux en exploitant la clientèle de son choix, en contrepartie de quoi la société ERNST et YOUNG s'était bornée à encaisser un loyer sans accomplir le moindre acte de présentation de clientèle (conclusions, p. 8 in fine, et p. 9 in limine) ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce point pour condamner l'exposant à payer l'indemnité prévue par ledit article V, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil.