LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1743 du code civil ;
Attendu que l'acquéreur d'un bien ne peut expulser le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 18 décembre 2013), que les époux X... ont reçu, par acte authentique du 14 décembre 2009, donation de deux parcelles qualifiées de libres de toute occupation ; que M. Y..., qui exploitait ces terres en invoquant un bail rural verbal consenti par l'auteur des époux X..., a assigné ceux-ci en reconnaissance de ce bail rural et en nullité du congé délivré par les époux X... le 16 mars 2010 ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt retient qu'en percevant des loyers de M. Y..., qui exploitait au vu et au su de tous les parcelles en cause, l'auteur des époux X... a tacitement renoncé à se prévaloir de l'inobservation des règles édictées par l'article 1743 du code civil ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir la connaissance par les époux X... d'une convention de bail rural verbal et leur renonciation à se prévaloir de l'absence d'une date certaine de ce bail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne les époux X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les époux X... à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande des époux X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour les époux X...
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit l'appel injustifié, débouté M. et Mme X... de toutes leurs demandes et dit que M. Y... avait la qualité de preneur à bail rural régulier sur les fonds cadastrés section E n° 93 et 96 lieudit ... à Bellegarde sur Valserine ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, « sur l'opposabilité du bail rural verbal aux époux X..., ceux-ci soutiennent que cette convention leur serait inopposable au regard des dispositions de l'article 1743 du code civil ; que cependant ces dispositions légales ne sont pas d'ordre public ; qu'en percevant les loyers, les auteurs des époux X... ont tacitement renoncé à se prévaloir de l'inobservation des règles édictées par l'article 1743 précité qui ne vise qu'à la protection des tiers à la convention de bail rural ; que surabondamment, les appelants ne peuvent sérieusement prétendre avoir ignoré l'existence du bail rural verbal portant sur les parcelles litigieuses alors qu'eux-mêmes et leurs familles respectives comme l'intimé sont enracinés depuis plusieurs générations dans un hameau comptant une cinquantaine d'habitants, que les parcelles en cause ont toujours été régulièrement exploitées par Lucien Y..., puis par son fils et successeur Alain Y... au vu et au su de tous, en particulier des membres de la famille des appelants dont les domiciles dans ledit hameau ont une vue directe sur les parcelles en cause ou les joignent ; qu'enfin, les époux X... ne sauraient se prévaloir d'un constat d'huissier faisant état de la présence d'herbes hautes sur lesdites parcelles alors qu'il revient au fermier d'apprécier le moment de faire paître ces terrains par son troupeau ou de les faucher selon ce que commandent les circonstances météorologiques ; que rien n'établit que les parcelles litigieuses soient en état d'abandon ; qu'il apparaît qu'en réalité le donateur a effectué devant le notaire une déclaration mensongère destinée à éluder le statut du fermage au profit des donataires ; que, dans ces conditions, la décision querellée sera intégralement confirmée » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS DES PREMIERS JUGES QU'« il est demandé au Tribunal de statuer sur l'existence ou non d'un bail rural verbal au bénéfice de M. Alain Y..., mais que les époux X... n'entendent pas que leur courrier en date du 16 mars 2010 soit qualifié de congé puisqu'ils estiment que M. Alain Y... a la qualité d'occupant sans droit ni titre ; il sera donc constaté que les défendeurs renoncent à considérer que la lettre du 16 mars 2010 a valeur de congé au cas où le Tribunal reconnaîtrait l'existence d'un bail rural ; si dans l'acte de donation en date du 14 septembre 2009 il a été précisé que l'immeuble est libre de tout occupation, il ressort qu'en application de l'article 1319 du code civil, si l'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme, la preuve contraire peut être admise s'agissant d'énonciations des parties sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'inscription de faux ; en l'espèce, le notaire a manifestement recueilli les déclarations du donateur M. Jean Z... qui a estimé que le bien était libre d'occupation ; or cette énonciation ne peut faire foi que jusqu'à preuve contraire ; il n'y a donc aucune utilité à ordonner le sursis à statuer ou la comparution de M. Jean Z... puisqu'il appartenait aux défendeurs de recueillir son témoignage ou d'apporter au Tribunal tous éléments justifiant de la nature du lien contractuel ayant pu lier M. Alain Y... à M. Jean Z... ; il est de principe que la preuve de l'existence d'un bail verbal rural est libre et qu'elle résulte de la mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole ; les époux X... se prévalent des déclarations de M. Jean Z... dans l'acte notarié et d'un constat d'huissier dressé le 15 septembre 2010 établissant l'existence d'herbes hautes ou de buissons de ronces et d'une absence de fauchage cette saison et la saison dernière ; quant à M. Alain Y... il produit trois attestations régulières où il est indiqué qu'il exploite les parcelles E 96 et 93 depuis plusieurs années en ayant succédé à son père ; il produit également le relevé d'exploitation de la MSA attestant qu'il exploite ces deux parcelles pour le compte de M. Jean Z... et le registre parcellaire sur plusieurs années ; il produit en outre l'attestation signée le 31 janvier 1992 par M. Jean Z... par laquelle celui-ci a précisé que M. Alain Y... succède à son père Lucien dans l'exploitation des parcelles E 93 et E 96 ; le Tribunal remarque que M. Jean Z... est seul propriétaire de ces deux parcelles suite à un acte de partage du 16 décembre 1978 comme cela résulte de l'acte de donation à la rubrique " origine de propriété " ; il est en outre démontré par la production des copies des chèques que M. Jean Z... reçoit depuis plusieurs années des versements réguliers de M. Alain Y..., le demandeur justifiant auparavant de versements réguliers à Georges Z... ; le fait que les prés n'aient pas été fauchés le 15 septembre 2010, un huissier n'ayant pas compétence pour attester de la date de la dernière fauche, mais ne pouvant que constater la hauteur des herbes, ne saurait démontrer qu'ils ne sont pas ou plus exploités alors que M. Alain Y... justifie que le 18 avril 2011 que les parcelles sont délimitées et entretenues à usage de pâturage ; il convient donc de considérer que M. Alain Y... rapporte devant le Tribunal des éléments 140034/ MV/ OFD de preuve concordants attestant qu'il est titulaire d'un bail rural sur les parcelles E 93 et E 96 depuis mars 1992 jusqu'à ce jour ; en conséquence il convient de débouter les époux X... de toutes leurs demandes et de dire que M. Alain Y... a la qualité de preneur à bail rural régulier sur les fonds cadastrés section E n° 93 et 96 lieudit ... à Bellegarde sur Valserine » ;
1°) ALORS QUE si le bailleur cède la chose louée, le nouveau propriétaire peut expulser l'occupant qui ne peut se prévaloir d'un bail ayant date certaine ; que seule une renonciation du nouveau propriétaire qui se prévaut de l'absence de bail ayant date certaine est susceptible de le priver de la possibilité de solliciter l'expulsion ; qu'en considérant que M. et Mme X..., donataires, ne pouvaient se prévaloir de l'absence de publication du bail verbal dont M. Y... se prétendait titulaire dès lors que leurs auteurs avaient tacitement renoncé à se prévaloir de l'inopposabilité du bail rural verbal en percevant des loyers, motifs impropres à établir une renonciation des époux X... eux-mêmes à se prévaloir de l'absence de date certaine du prétendu bail verbal, la cour d'appel a violé l'article 1743 du code civil ;
2°) ALORS QU'il appartient à celui qui se prétend titulaire d'un bail verbal n'ayant pas date certaine, consenti par l'auteur du propriétaire actuel, de démontrer que ce dernier avait connaissance de ce bail antérieurement à l'acte translatif de propriété ; qu'en retenant que les époux X..., donataires, ne pouvaient prétendre avoir ignoré l'existence d'un bail rural verbal portant sur les parcelles litigieuses quand il appartenait à M. Y... de démontrer que ceux-ci avaient connaissance du bail verbal, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article 1743 du même code ;
3°) ALORS QUE seule la connaissance par les propriétaires actuels antérieurement à l'acte translatif de propriété est susceptible de les priver du droit de se prévaloir de l'inopposabilité du bail n'ayant pas date certaine ; qu'en se bornant à constater, pour considérer que le prétendu bail verbal était opposable aux époux X..., que M. Y... exploitait les parcelles litigieuses au vu et au su de tous, et en particulier des membres de la famille des époux X..., sans relever que ces derniers avaient une connaissance personnelle de l'existence d'un bail rural antérieurement à la donation qui leur avait été faite de ces parcelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1743 du code civil ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, la simple connaissance d'une occupation des lieux, qui peut être précaire, ne saurait suffire à établir la connaissance de l'existence d'un bail antérieurement à l'acte translatif de propriété, seule susceptible de priver le nouveau propriétaire du droit de se prévaloir de l'inopposabilité du bail verbal n'ayant pas date certaine ; qu'en se bornant à constater que M. Y... exploitait au vu et au su de tous les parcelles litigieuses, motifs impropres à établir la connaissance par les époux X... d'une convention de bail rural verbal, la cour d'appel a violé l'article 1743 du code civil.