LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° Z 13-21. 832 à K 13-21. 865 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X... et trente-trois autres salariés ont été engagés par la société Stein industries, filiale de la société Alstom Atlantique, spécialisée dans la fabrication d'éléments de chaudière, de centrales énergétiques, d'échangeurs nucléaires et de parties sous pression ; que le site implanté à Lys Lez Lannoy a ensuite été exploité par la société Alstom Power Boilers, devenue la société Alstom Power Systems ; que par arrêté du 1er août 2001 ce site a été classé dans la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante et susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), pour la période de 1956 à 1997, étendue à 2001 par arrêté du 7 avril 2006 ; que les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation de la société Alstom Power Systems à leur verser diverses sommes au titre de leurs préjudices d'anxiété, de bouleversement dans les conditions d'existence, de perte d'espérance de vie ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer, par une décision spécialement motivée, sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le deuxième moyen propre aux pourvois n° Z 13-21. 832, C 13-21. 835, S 13-21. 838, H 13-21. 839, J 13-21. 841, M 13-21. 843, N 13-21. 844, P 13-21. 845, Q 13-21. 846, T 13-21. 849, U 13-21. 850, V 13-21. 851, W 13-21. 852, X 13-21. 853, Z 13-21. 855, C 13-21. 858, E 13-21. 860, F 13-21. 861, H 13-21. 862, G 13-21. 863, J 13-21. 864, K 13-21. 865 :
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail ;
Attendu que pour allouer aux salariés des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice lié à la perte d'espérance de vie, les arrêts retiennent que les intéressés, particulièrement exposés, voyaient leur espérance de vie réduite de sorte qu'ils devaient être indemnisés de ce préjudice qui englobait notamment le dommage matériel occasionné par la perte de revenus ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les salariés qui ont choisi de continuer à travailler ne subissent pas de perte de revenus et que le préjudice lié à la perte d'espérance de vie est réparé par les dommages-intérêts déjà alloués au titre du préjudice d'anxiété, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen propre au pourvoi n° F 13-21. 838 :
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
Attendu que le salarié, qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et se trouve, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, subit un préjudice spécifique d'anxiété ; que l'indemnisation accordée au titre d'un préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ;
Attendu que pour condamner l'employeur à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant du bouleversement dans ses conditions d'existence, l'arrêt retient qu'il ressort d'un scanner des poumons effectué en octobre 2008, que l'intéressé présente des micronondules nécessitant un suivi médical, que l'obligation de se soumettre à des contrôles médicaux réguliers et sérieux affecte nécessairement l'organisation de la vie de celui-ci et a un retentissement sur ses activités ou sur ses projets de vie ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Alstom Power Systems à payer à MM. X..., B..., Y..., C..., D..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., K..., L..., M..., N..., O..., P..., Q...
Z..., R..., S... et à Mmes A... et T..., une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice de perte d'espérance de vie et à payer à M. Y... la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice résultant du bouleversement dans les conditions d'existence, les arrêts rendus le 31 mai 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. X... et les trente-trois autres salariés aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Alstom Power Systems, demanderesse aux pourvois n° Z 13-21. 832 à K 13-21. 865.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir condamné la société Alstom Power Systems à verser aux salariés une somme de 8. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QUE « (...) les différentes pièces dont la communication est sollicitée par l'appelante ne sont pas de nature à avoir une incidence sur l'évaluation des préjudices allégués ; qu'en effet il résulte des documents versés aux débats par l'intimé qu'il a été employé au sein de l'établissement de Lys-lez-Lannoy (...) et que par ailleurs il n'est pas contesté qu'il n'est pas atteint jusqu'à présent d'une maladie professionnelle ; qu'il apparaît toutefois qu'il a bien été exposé aux risques d'inhalation de l'amiante durant (...) période comprise entre 5 et 42 ans (...) ; que s'il n'a pas développé de maladie professionnelle, une telle exposition constitue bien un facteur d'anxiété permanent, (...) alimenté tant par la gravité intrinsèque du mal que par les décès d'anciens collègues de travail à la suite d'un mésothéliome, dont le directeur de l'établissement, et par le nombre de salariés atteints d'une telle maladie qui, selon les services de l'inspection du travail, s'élevait déjà en 2000 à 15 % des actifs et à 40 % des retraités ; qu'il convient d'évaluer à 8. 000 € le préjudice ainsi subi » ;
ALORS QUE le principe de réparation intégrale du préjudice implique que doit être réparé tout le préjudice et seulement le préjudice ; qu'en allouant à chacun des salariés une somme uniforme de 8. 000 euros au titre du préjudice d'anxiété sans adapter cette évaluation à la situation personnelle de chacun, la Cour d'appel a statué par voie de disposition générale en violation de l'article 5 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
PROPRE AUX POURVOIS n° Z 13-21832 ; C 13-21835 ; F 13-21838 ; H 13-21839 ; J 13-21841 ; M 13-21843 ; N 13-21844 ; P 13-21845 ; Q 13-21846 ; T 13-21849 ; U 13-21850 ; V 13-21851 ; W 13-21852 ; X 13-21853 ; Z 13-21855 ; C 13-21858 ; E 13-21860 ; F 13-21861 ; H 13-21862 ; G 13-21863 ; J 13-21864 ; et K 13-21865.Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir condamné la société Alstom Power Systems à verser aux salariés 10. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d'espérance de vie ;
AUX MOTIFS QUE « par ailleurs l'exposition à l'amiante a bien pour effet une perte d'espérance de vie puisque l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 a instauré un dispositif spécifique destiné à la compenser par l'octroi d'une allocation aux salariés faisant ou ayant fait partie des établissements classés par arrêté dans la liste de ceux ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante et des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle et sous certaines conditions ; que le fait que l'intimé n'ait pas bénéficié de ce dispositif ne lui interdit pas d'obtenir réparation du préjudice subi dès lors qu'il est établi que du fait de son employeur il a été astreint à une telle exposition durant la relation de travail ; que par ailleurs il résulte du rapport d'information présenté au Sénat au nom de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination de l'amiante, lors de sa séance du 20 octobre 2005, que les personnes particulièrement exposées aux poussières d'amiante voyaient leur espérance de vie particulièrement réduite, certains l'évaluant même en moyenne à 58 ans ; que ces observations confirment les informations diffusées par le ministère de l'emploi et de la solidarité le 19 novembre 1998 à l'occasion de la présentation des mesures sur l'amiante et selon lesquelles le temps de latence entre le début de l'exposition et l'apparition de la maladie serait de l'ordre de trente à quarante ans, le rapport de l'INSERM d'où sont tirées ces informations ajoutant qu'il n'existait aucun seuil d'exposition ; que compte tenu de l'âge de l'intimé (...) et de son emploi antérieur, le préjudice allégué qui englobe notamment le dommage matériel occasionné par une perte de revenus doit être évalué à la somme de 10. 000 € » ;
1°/ ALORS QUE le salarié non bénéficiaire de l'ACAATA perçoit l'intégralité de sa rémunération, et ne subit donc aucune perte de revenu ; qu'en l'espèce, ainsi que la Cour d'appel l'a constaté, les salariés n'avaient « pas bénéficié de ce dispositif » de l'ACAATA ; qu'il en résultait qu'ils n'avaient subi aucune perte de revenu ; qu'en leur allouant pourtant une indemnisation « englob ant notamment le dommage matériel occasionné par une perte de revenus », la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1147 du Code civil ;
2°/ ALORS QUE l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés à la perte d'espérance de vie, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'en allouant aux salariés, en sus de la réparation de leur préjudice d'anxiété, une indemnité au titre de la « perte d'espérance de vie » englobant notamment le trouble psychologique, la Cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice et violé l'article 1147 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Propre au pourvoi n° F 13-21838.Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Alstom Power Systems à verser à Monsieur Jacky Y... une somme de 5. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du bouleversement dans ses conditions d'existence ;
AUX MOTIFS QUE « s'agissant du préjudice résultant du bouleversement dans les conditions d'existence celui-ci ne peut résulter du simple fait que l'intimé a été exposé aux risques d'inhalation de l'amiante ; que toutefois il apparaît des pièces versées aux débats qu'un scanner des poumons effectué en octobre 2008 a révélé la présence de micronodules nécessitant un suivi médical ; que l'obligation de l'intimé de se soumettre depuis cette date à des contrôles médicaux réguliers et sérieux affecte nécessairement l'organisation de sa vie et a un retentissement sur ses activités ou sur des projets de vie ; qu'il convient donc de condamner la société au versement de la somme de 5. 000 € en réparation du préjudice subi de ce chef » ;
ALORS QUE l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'en allouant au salarié, en sus de la réparation de son préjudice d'anxiété, une indemnité au titre du « bouleversement dans ses conditions d'existence », la Cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, en violation de l'article 1147 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.