LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Lucien X... est décédé le 15 septembre 1985, en laissant pour lui succéder son épouse commune en biens, Raymonde A..., et ses deux filles, Arlette, veuve Y..., et Mireille, épouse Z...; que Raymonde A... est décédée le 21 juin 2007, en laissant pour lui succéder ses deux filles ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que Mme Z...fait grief à l'arrêt de dire que Mme Y...dispose à l'égard des successions d'une créance d'un montant de 39 392, 83 euros ;
Attendu, d'abord, qu'ayant retenu que, dès lors que la cession de l'entreprise agricole par Lucien X... à sa fille Arlette était intervenue, non pas en mars 1984, époque où l'expert avait évalué l'exploitation, mais en novembre 1984, époque où Lucien X... avait cessé son activité, il n'existait plus, à cette période postérieure aux récoltes, de valeurs en terre, la cour d'appel en a souverainement déduit que, sur la somme de 364 000 francs versée par Mme Y...lors de la reprise de l'entreprise, seule celle de 105 600 francs avait une contrepartie réelle correspondant à la cession du matériel, de sorte qu'elle a nécessairement décidé d'écarter tous les autres éléments à caractère temporaire dont les stocks, justifiant ainsi légalement sa décision ;
Attendu, ensuite, que le grief qui tend à dénoncer une erreur matérielle pouvant être réparée selon la procédure prévue à l'article 462 du code de procédure civile ne donne pas ouverture à cassation ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que Mme Z...fait encore grief à l'arrêt d'attribuer préférentiellement à Mme Y...des parcelles situées Terroirs d'Epelny et de VillersGuislain ;
Attendu qu'après avoir apprécié les intérêts en présence et relevé que Mme Y..., à la différence de Mme Z..., justifiait encore de la poursuite de son activité d'agricultrice, la cour d'appel a estimé souverainement, par une décision motivée, qu'il y avait lieu d'attribuer préférentiellement les parcelles en cause à Mme Y..., une telle mesure lui permettant de préserver l'intégrité de l'exploitation qu'elle mettait en valeur ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le moyen relevé d'office, après avertissement donné aux parties dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution, ensemble la décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, publiée au journal officiel du 24 novembre 2013, et l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 ;
Attendu que l'arrêt dit que Mme Y...dispose à l'égard des successions d'une créance d'un montant de 39 392, 83 euros, avec intérêts à compter du 27 mars 1985 au taux pratiqué par le Crédit agricole pour les prêts à moyen terme et capitalisation des intérêts à compter du 25 janvier 2011 ;
Attendu cependant que, d'abord, dans sa décision susvisée, le Conseil constitutionnel a décidé que les mots « et égal au taux pratiqué par la caisse régionale de Crédit agricole pour les prêts à moyen terme » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime étaient contraires à la Constitution et que la déclaration d'inconstitutionnalité prenait effet le 1er janvier 2014 dans les conditions prévues au considérant 9, selon lequel il appartient, d'une part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1er janvier 2014 dans les instances dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles, d'autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de la décision ; qu'ensuite, il résulte de l'article L. 411-74, alinéa 2, précité, applicable aux instances en cours au 15 octobre 2014, que les sommes indûment perçues et sujettes à répétition sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l'intérêt légal mentionné à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier majoré de trois points ;
Que l'arrêt, qui se trouve ainsi privé de fondement juridique, doit être annulé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen :
ANNULE, mais seulement en qu'il a assorti d'intérêts à compter du 27 mars 1985 au taux pratiqué par le Crédit agricole pour les prêts à moyen terme et capitalisation des intérêts à compter du 25 janvier 2011 la créance d'un montant de 39 392, 83 euros dont Mme Y...dispose à l'égard des successions, l'arrêt rendu le 4 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que Mme Arlette X... veuve Y...disposait d'une créance à l'égard des successions de ses parents pour un montant de 39. 392, 83 euros,
AUX MOTIFS QUE " l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime interdit le versement d'une somme d'argent au bailleur par le preneur d'un bail rural lors de l'entrée de ce dernier dans les lieux, sans contrepartie justifiée ; il ressort des pièces produites que
-M. Lucien X... a cessé toute activité agricole le 1er octobre 1984
- selon acte notarié du 14 février 1985 reçu par Me C..., un bail à ferme a été accordé par M. et Mme X...-A...à Mme Arlette X... sur différentes parcelles situées à Epehé, Heudicourt et VillersGuislain (soit une surface totale de 19 hectares, 71 ares et 27 centiares) ;
- Mme Arlette X... a contracté à cette période, un prêt de 364. 000 francs, débloqué le 27 mars 1985 soit un peu plus d'un mois après la passation du bail,
- M. Jean D...atteste qu'il s'est porté caution pour ce prêt " correspondant à la reprise de matériel agricole de la ferme Lucien X... au profit de Mme Arlette Y.... Une batteuse de 20 ans et le reste pareil. Ce matériel a été surévalué pour obtenir un prêt plus important à la banque (...). Par contre, il n'a pas été possible d'évaluer les arrières fumures puisque les pailles étaient brûlées chaque année depuis de nombreuses années. "
- M. E...décrit le matériel de l'exploitation rachetée en 1984 comme particulièrement vétuste et en mauvais état ;
Mme Arlette X... rapporte la preuve, par ces éléments, qu'elle a réglé à l'occasion de la reprise de l'exploitation de son père, une somme de 364. 000 francs, opération qui a été réalisée par la passation du contrat de bail à ferme portant sur les parcelles précédemment exploitées par M. Lucien X..., étant précisé que le prêt souscrit par Mme Arlette X... l'a été un peu plus d'un mois après la passation de ce contrat de bail ; il ressort néanmoins des attestations produites que du matériel a été cédé dans le cadre de la cession de l'exploitation ;
Mme Mireille X... verse aux débats une évaluation des éléments de l'exploitation de M. et Mme X... " en vue de sa cession à leur fille Mme Arlette X... par M. F..., expert agricole et foncier, datée du 29 mars 1984, probablement faite à la demande des exploitants ; le matériel de ferme a été évalué 150. 600 francs, les stocks 41. 846 francs, les arrière-fumures 43. 194 francs, les valeurs en terre 52. 318 francs et le fonds cultural 102. 106 francs ; il doit être relevé que la liste du matériel dressée par l'expert correspond aux éléments décrits par M. E...comme ayant appartenu à M. Lucien X... ; bien que ce matériel soit décrit par M. E...comme étant vétuste, Mme Arlette X... ne rapporte aucune preuve que les tracteurs, moissonneuse-batteuse, remorque, benne et épandeur cédés ont été surévalués par cet expert en vue de dissimuler l'existence de sommes réglées au titre d'arrière-fumures (qui figurent dans l'estimation de M. F...) ;
Dans la mesure où la cession de l'entreprise agricole est intervenue non pas en mars 1984 mais en octobre 1984, date à laquelle M. X... a cessé son activité (avec conclusion du bail à ferme en février), il n'existait plus, à cette période postérieure aux récoltes, de valeurs en terre de sorte que sur la somme de 364. 000 frs finalement fixée pour la cession de l'exploitation, seule celle de 105. 600 francs avait une contrepartie réelle, à savoir la cession du matériel ; dans la mesure où Mme Arlette X... ne justifie pas que le matériel a été surévalué d'au moins 10 %, l'action en répétition n'est pas ouverte pour cette somme ; pour le surplus, la demande en répétition de l'indû, dirigée contre les bailleurs qui ont perçu les fonds litigieux lors du changement d'exploitant est fondée et Mme Arlette X... dispose à l'égard des successions de ses parents, d'une créance de 258. 400 francs (364. 000-105. 600 francs), soit 39. 392, 83 euros ; il sera précisé que ces sommes doivent être remboursées sur l'actif successoral, avant tout partage, de sorte que la condamnation ne peut être prononcée pour seulement la quote-part susceptible d'être, en cas d'insuffisance de l'actif successoral, mise à la charge de Mme Mireille X... ; " (arrêt p. 12 et 13)
ALORS D'UNE PART que la demande en répétition des sommes indûment versées au bailleur à l'occasion de la conclusion d'un bail ne peut porter que sur la remise d'argent ou de valeurs non justifiée ou sur la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci ; qu'en l'espèce au titre des éléments de l'exploitation cédés par les bailleurs à leur fille Arlette Y..., figuraient en particulier des stocks évalués à 41. 846 francs par M. F..., expert ; que dès lors, en retenant pour statuer comme elle l'a fait, que seule la cession du matériel de la ferme évalué à 150. 600 francs avait une contrepartie réelle, sans même rechercher si la valeur des stocks n'était pas justifiée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime ;
ALORS D'AUTRE PART QU'en toute hypothèse, en retenant pour statuer comme elle l'a fait, que sur la somme de 364. 000 francs finalement fixée pour la cession de l'exploitation, seule celle de 105. 600 francs avait une contrepartie réelle, à savoir la cession du matériel, de sorte que Mme Arlette Y...disposait à l'égard des successions de ses parents d'une créance de 258. 400 francs (364. 000 ¿ 105. 600 francs), soit 39. 392, 83 euros, tout en constatant cependant que le matériel avait été évalué par l'expert à la somme de 150. 600 francs et que Mme Arlette Y...ne justifiait pas qu'il eût été surévalué d'au moins 10 %, la cour d'appel n'a pas davantage légalement justifié sa décision au regard de l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le montant de la créance de Mme Arlette Y...à l'égard des successions de ses parents, portera intérêt au taux pratiqué par le Crédit agricole pour les prêts à moyen terme à compter du 27 mars 1985,
AUX MOTIFS QUE " le taux d'intérêt applicable est selon cette loi, fixé au regard du taux pratiqué par un établissement commercial et n'est pas contrôlé par une autorité particulière ; que le crédit agricole n'a aucun intérêt dans la présente procédure et ne dépend d'aucune des deux parties ; que l'intérêt commercial de cette banque qui ne sera pas bénéficiaire du paiement, est donc sans aucun lien avec la présente procédure et il ne saurait être prétendu que l'application du taux d'intérêt pour les prêts à moyen terme, peut constituer une violation du droit au respect des biens de Mme Mireille X... ; qu'en outre ce taux est déterminé et déterminable annuellement ; " (arrêt p. 14)
ALORS QUE par une décision n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la constitution, les mots " et égal au taux pratiqué par la caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme " figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a procédé d'une violation du texte ci-dessus visé.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, dit que Mme Arlette Y...est recevable et bien fondée en sa demande d'attribution préférentielle des parcelles louées, situées sur le territoire des communes d'Epehy et de VillersGhislain désignées au dispositif,
AUX MOTIFS QUE " chacune des deux soeurs sollicite l'attribution préférentielle ; en cas de pluralité de demandes, conformément aux termes de l'article 832- l du code civil, il convient de prendre en compte l'aptitude des différents postulants par le biais d'une appréciation à faire en tenant compte de l'avenir de l'exploitation et en considération des personnes qui postulent effectivement à l'attribution ; en l'espèce, si Mmes X... justifient toutes deux avoir participé aux travaux sur l'exploitation agricole de leurs parents avant leur mariage, Mme Mireille X..., malgré son diplôme relatif aux « travaux agricoles » n'a pas poursuivi une profession liée à l'agriculture au contraire de sa soeur qui a racheté, en 1984, l'exploitation de son père et qui exploite actuellement encore les terres litigieuses sur lesquelles elle dispose de baux (elle allègue un bail verbal sur les parcelles Z17 et ZK43 situées sur le territoire d'Epehy actuellement parcelle YM 31 ; en tout état de cause, un contrat de bail à ferme lui a été accordé par sa mère et sa soeur sur cette parcelle le 4 mai 2000) outre d'autres parcelles dont environ 9 hectares dont elle est propriétaire en indivision avec ses enfants et 9 hectares dont elle est pleinement propriétaire ; il ne ressort d'aucun élément que les fermages dus par Mme Arlette X... n'ont pas été régulièrement payés ; aucun retard de paiement n'est justifié depuis 2009 ; en outre, Mme Arlette X... rapporte la preuve d'un bénéfice net comptable de son exploitation à hauteur de 14. 295 euros en 2009 et de 20. 129 euros en 2010, résultat qui a atteint 32. 753 euros en 2011 ; elle justifie poursuivre son activité agricole encore actuellement et investir notamment dans l'achat de matériel ; dès lors, les difficultés financières alléguées ne sont pas établies ; il ne saurait être prétendu que Mme Arlette X... a renoncé à solliciter cette attribution préférentielle puisque, si elle a indiqué dans un courrier du 17 décembre 2008 qu'elle accepterait de renoncer à une telle demande, ce n'était que sous diverses conditions ; or, il apparaît que ses conditions n'ont pas été acceptées puisque la présente procédure a été introduite ; en conséquence, alors que Mme Mireille X... ne rapporte la preuve d'aucune activité personnelle dans le domaine agricole depuis de nombreuses années, qu'elle n'a pas d'expérience dans la gestion d'une entreprise agricole et que son fils exerce la profession d'expert-comptable sans qu'il soit justifié qu'il ait une quelconque compétence en matière agricole, il convient de faire droit à la demande d'attribution préférentielle présentée par Mme Arlette X... ce qui permettra à cette dernière de préserver l'intégrité de l'exploitation qu'elle met actuellement en valeur " ; (arrêt p. 11)
ALORS QUE le juge saisi d'une demande d'attribution préférentielle de parcelles à vocation agricole doit se prononcer en fonction des intérêts en présence et de l'aptitude du postulant à se maintenir sur les immeubles en cause en vue d'en poursuivre la mise en valeur ; que dès lors en se déterminant comme elle l'a fait pour accueillir la demande d'attribution préférentielle de Mme Arlette X... veuve Y..., sans rechercher comme elle y avait été spécialement invitée par les conclusions de Mme Mireille Z..., si celle-ci, malgré son âge qui lui permettait de bénéficier d'un avantage vieillesse, était apte à exploiter personnellement les parcelles agricoles faisant l'objet de la demande et à s'y maintenir, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 831 et 832 du code civil.