LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 64 du décret du 31 juillet 1992, devenu l'article R. 211-9 du code des procédures civiles d'exécution ;
Attendu qu'en cas de refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu'il a reconnu devoir ou dont il a été jugé débiteur, la contestation est portée devant le juge de l'exécution qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a fait pratiquer, le 6 avril 2011, une saisie-attribution au préjudice de M. Y..., entre les mains de la société Neopost France (la société) ; que Mme X... a assigné la société devant un juge de l'exécution pour obtenir la délivrance d'un titre exécutoire sur le fondement de l'article 64 du décret du 31 juillet 1992 ; que le juge de l'exécution l'a déboutée de sa demande ; que Mme X... a interjeté appel puis a fait pratiquer, le 6 mars 2012, une nouvelle saisie-attribution ;
Attendu que, pour faire droit à la demande de Mme X... et condamner la société à lui payer la somme de 57 456, 43 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2011 pour la somme de 26 394, 47 euros et à compter du 6 mars 2012 pour le surplus, l'arrêt retient que le blocage des fonds par la société n'était pas justifié par le principe de l'opposabilité au créancier saisissant, par le tiers saisi, des exceptions pouvant être invoquées à l'encontre du saisi, faute pour la créance du tiers saisi à l'encontre de ce dernier d'être certaine, liquide et exigible au jour de la saisie ;
Qu'en statuant ainsi alors qu'elle était saisie d'une demande de délivrance d'un titre exécutoire contre le tiers saisi et qu'il résulte des pièces de la procédure que la société n'avait pas reconnu devoir une somme quelconque à M. Y... et n'avait pas été jugée débitrice de celui-ci, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du premier moyen ni sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Neopost France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Société NEOPOST FRANCE à payer à Madame Frédérique X... épouse Y... la somme de 57. 456, 43 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2011 pour la somme de 26. 394, 47 euros et à compter du 6 mars 2012 pour le surplus, outre une somme de 1. 500 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
AUX MOTIFS QU'il résulte de l'article R 211. 9 du Code des procédures civiles d'exécution, qui a repris en le codifiant l'article 64 du Décret du 31 juillet 1992, qu'" en cas de refus de paiement par le tiers saisi des sommes qu'il a reconnu devoir ou dont il a été jugé débiteur, la contestation est portée devant le Juge de l'Exécution qui peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi ; que ce texte ne prévoit la possibilité pour le juge de l'Exécution de délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi que lorsque celui-ci a reconnu devoir ou a été jugé débiteur des fonds dont il dispose envers le saisi ; que l'arrêt de la Cour d'appel de DOUAI du 24 novembre 2011 relevait par ailleurs que la Société NEOPOST FRANCE avait conservé par devers elle le montant de l'earn-out dû pour l'année 2009, soit la somme de 348. 780 ¿, et n'avait pas voulu débloquer la somme due au titre des arriérés de pension dont elle était détentrice ; que le premier juge a estimé que la Société NEOFOST FRANCE ne saurait être condamnée à payer une dette qu'elle n'a ni reconnu devoir, ni pour laquelle elle aurait été jugée débitrice ; que toutefois, si la Société NEOPOST FRANCE a effectivement fourni à l'huissier les renseignements prévus à l'article R 211-5 du Code des procédures civiles d'exécution, il résulte des documents de la cause que :
- par lettres recommandées adressées à Monsieur Y... et Madame X... du 21 juin 2010, la Société NEOPOST écrivait : « le versement des fonds est en suspens du fait du différend qui vous oppose et auquel nous sommes étrangers, au titre duquel Mme X... a engagé deux procédures. (l'une) 1- devant le Tribunal de Commerce de LILLE... dont l'objet est l'obtention des comptes de VALIPOST ainsi que du mode de calcul de l'earn-out (et) 2- une procédure devant le Tribunal d'Instance de LENS... dont l'objet est une demande en paiement en principal d'arriérés de pensions alimentaires. Sur le point 2. nous souhaiterions connaître votre position commune sur ce litige ¿ à supposer que... vous vous mettiez d'accord sur les modalités de versement de l'earn-out, sans désistement de Mme X... de cette procédure, nous serions contraints de retenir l'ensemble des sommes réclamées par Mme X... afin de sauvegarder les intérêts de toutes les parties en présence " ;
- par courrier recommandé du 27 mai 2010, la Société NEOPOST informait Madame X... du montant de l'earn-out : « la quote-part de l'earn-out revenant aux cédants X.../ Y... restant à être versée correspondant donc à 37 % de 942 k ¿, soit 348 k ¿... (nous) attendons de votre part des instructions communes avec M. Y... pour procédure de paiement de la somme de 341. 500 ¿ ;
- le 7 septembre 2010, la Société NEOPOST écrivait à Me SEGARD avocat de Mme X... " Voici le décompte des sommes actuellement en cause dans la communauté X.../ Y... :
+ montant de l'earn-out : 348. 780 ¿ + pensions alimentaires et autres demandes de Mme X... actuellement en litige.
Nous attendons donc de votre part des instructions précises et recueillant l'accord de M. situation et solder définitivement ce dossier " ;
- enfin par courrier du 22 septembre 2010, la Société NEOPOST écrivait à Me Z..., Huissier : « Nous ne sommes pas en mesure à ce jour de savoir si les sommes détenues au titre de l'earn-out reviendront à M. Y..., à Mme X... ou aux deux, car les deux époux n'ont pas encore établi de comptes liquidatifs de leur régime matrimonial... » ;
qu'il résulte de ces correspondances que la Société NEOPOST, dans l'année précédant la découverte par elle des actes de concurrence déloyale qu'elle reproche aujourd'hui à Monsieur Hocine Y..., a reconnu devoir aux deux époux, dans la proportion pour chacun déterminée par leurs accords ou par la décision à intervenir sur la liquidation de leur régime matrimonial, une somme de 341. 500 ¿ au titre de la dernière annuité (2009) de l'earn-out convenu à l'acte de cession de la Société VALPOST ; que depuis la seconde saisie-attribution, les réticences au versement de la Société NEOPOST ne pouvaient plus concerner la répartition des droits des époux sur la somme due, la dette de pensions alimentaires étant incontestablement imputable à Monsieur Y... ; que, si ainsi que l'a relevé le Juge de l'exécution, le tiers saisi est fondé à invoquer la survenance de faits nouveaux faisant qu'il ne reconnaît plus au jour de la saisie être débiteur du saisi, il convient d'examiner si Société NEOPOST FRANCE était fondée à opposer à Madame X... les exceptions qu'elle pouvait invoquer à l'encontre de son débiteur ; qu'en l'espèce, après avoir reconnu l'existence de sa dette, le tiers saisi fait valoir l'extinction de la créance de Monsieur Y... par l'effet de la compensation ; qu'en vertu de l'article 1291 du Code civil, " la compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce, et qui sont également liquides et exigibles " ; que force est de constater que la créance du tiers saisi à l'encontre du saisi, pour la reconnaissance de laquelle la Société NEOPOST n'a fait que délivrer le 31 mars 2011 une assignation en concurrence déloyale, sur laquelle le Tribunal de commerce de LILLE, après un premier renvoi sur incompétence territoriale, n'a encore rendu aucune décision, n'était pas certaine, liquide et exigible au jour de la saisie ; qu'en conséquence, le blocage des fonds par le tiers saisi n'étant pas justifié par le principe de l'opposabilité des exceptions, à défaut de compensation possible, le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Madame X... ; que la Société NEOPOST FRANCE est donc condamnée à payer à Madame Frédérique X... une somme de 57. 456, 43 ¿ ;
1°) ALORS QUE le juge de l'exécution ne peut délivrer un titre exécutoire contre le tiers saisi qu'en cas de refus, par celui-ci, des sommes qu'il a reconnu devoir lors de la saisie ou dont il a été jugé débiteur ; qu'en condamnant néanmoins la Société NEOPOST FRANCE à payer à Madame X... épouse Y... les causes de la saisie, après avoir constaté qu'elle ne s'était pas reconnue, au jour de la saisie, débitrice envers Monsieur Y... de la somme saisie, dont elle n'avait pas été jugée débitrice, la Cour d'appel a violé l'article R 211-9 du Code des procédures civiles d'exécution ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, la Société NEOPOST FRANCE soutenait, devant la Cour d'appel, qu'elle n'invoquait pas l'extinction de sa créance par compensation au titre d'une prétendue créance qu'elle aurait détenue à l'égard de Monsieur Y..., née des actes de concurrence déloyale réalisés par lui, mais qu'elle invoquait uniquement l'exception d'inexécution vis-à-vis de Monsieur Y... ; qu'en affirmant néanmoins que la Société NEOPOST FRANCE « fait valoir l'extinction de la créance de M. Y... par l'effet de la compensation », la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'appel de la Société NEOPOST FRANCE, en violation de l'article 4 du Code de procédure civil ;
3°) ALORS QUE, à titre également subsidiaire, le tiers saisi peut opposer au créancier saisissant l'exception d'inexécution qu'il aurait pu opposer au saisi ; que la mise en oeuvre de l'exception d'inexécution ne suppose pas que le tiers saisi dispose, à l'encontre du saisi, d'une créance certaine, liquide et exigible au jour de la saisie ; qu'en décidant néanmoins que la Société NEOPOST FRANCE ne disposant pas d'une créance certaine, liquide et exigible au jour de la saisie, elle ne pouvait se prévaloir de l'exception d'inexécution de ses obligations par Monsieur Y..., à défaut de compensation possible, la Cour d'appel a violé l'article R 211-9 du Code des procédures civiles d'exécution.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Société NEOPOST FRANCE à payer à Madame Frédérique X... épouse Y... la somme de 1. 500 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
AUX MOTIFS QUE Madame X... est fondée à invoquer la résistance abusive et vexatoire de la Société NEOPOST FRANCE à l'exercice de ses droits ; que son préjudice sera justement compensé par l'allocation d'une somme de 1. 500 ¿ à titre de dommages-intérêts ;
ALORS QUE l'exercice ou la résistance à une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier, constituer un abus de droit dans le cas où sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ; qu'en se bornant, pour condamner la Société NEOPOST FRANCE à payer des dommages-intérêts à Madame X... épouse Y..., à affirmer que celle-ci était fondée à invoquer sa résistance abusive et vexatoire à l'exercice de ses droits, la Cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances particulières qui auraient pu faire dégénérer en abus le droit de la Société NEOPOST FRANCE à s'opposer à la demande, résistance dont la légitimité avait été reconnue en première instance, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.