LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique pris en ses deux premières branches :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Fiducial expertise à compter du 8 septembre 2003 en qualité de directeur d'agence expert comptable ; qu'il a été licencié pour faute grave après mise à pied conservatoire le 9 février 2010 ;
Attendu que pour dire que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel relève que le salarié ne formule aucune critique à l'encontre du rapport d'analyse des données figurant sur son ordinateur et ne conteste ni n'avoir pas remis les clés du bureau lors de la notification de sa mise à pied à titre conservatoire, ni être revenu dans les locaux de la société postérieurement à cette notification et en tout cas dans la soirée du 18 janvier 2010 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que dans ses conclusions reprises oralement à l'audience, le salarié déniait toute pertinence au rapport d'analyse et contestait être revenu dans les locaux de l'entreprise après sa mise à pied conservatoire, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de cette pièce, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement de M. X... et le déboute de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, l'arrêt rendu le 21 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne la société Fiducial expertise aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Fiducial expertise et condamne celle-ci à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et d'AVOIR en conséquence, débouté monsieur Laurent X... de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;
AUX MOTIFS QUE « La faute grave, dont la charge de la preuve pèse sur l'employeur, est la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis. La lettre de licenciement pour faute grave du 9 février 2010 est ainsi rédigée : « Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour FAUTE GRAVE en raison de nombreux manquements à votre devoir de loyauté et de fidélité dans les circonstances rappelées ci-après. La société FIDUCIAL EXPERTISE s'est portée candidate, dans le cadre d'une procédure judiciaire, à la reprise d'un cabinet comptable. Vous avez décidé à titre personnel en tant qu'associé d'une société en cours de constitution, de vous porter candidat à cette reprise, vous plaçant ainsi dans une situation de concurrence à l'égard de votre employeur. Vous avez sciemment menti en minimisant la portée et les circonstances de votre candidature lors d'explications avec votre hiérarchie. C'est ainsi que verbalement puis par note du 2 décembre 2009, vous avez tenté de minimiser la part personnelle que vous auriez prise à cette candidature en la qualifiant de " curiosité ", et en nous indiquant que vous aviez répondu aux sollicitations pressantes d'un ami expert-comptable, avant de nous préciser que vous aviez abandonné ce projet " faute de carburant, le projet s'éteint de lui-même "... " (Ce qui m'arrange) ". Ayant endormi la vigilance de votre employeur, vous avez mis à profit le mois de décembre 2009 pour compléter votre offre, afin de soumettre à l'administrateur judiciaire une proposition comparable à celle de votre employeur. Vous avez alors obtenu des financements que vous aviez prétendu ne plus rechercher. L'ordinateur du bureau de Dax qui vous était attribué porte la trace de très nombreux documents établis dans cette perspective au cours des mois de décembre 2009 et janvier 2010 et qui témoignent du fait que vous avez, sur votre temps de travail et avec les outils de l'entreprise, continué à préparer votre projet. C'est dans ces conditions que vous vous êtes présenté au tribunal de commerce lors de l'audience du 13 janvier 2010, présentant personnellement et pour le compte de votre future société un projet concurrent à celui de votre employeur, et dans lequel vous apparaissez comme le dirigeant, dans la mesure où vous envisagiez d'être le président de la société B. L EXPERTISE SAS et de détenir 70 % du capital de cette société. Au cours de l'audience, vous avez mis en avant votre expérience professionnelle acquise au sein de FIDUCIAL au mépris des intérêts de celle-ci. Ce faisant, vous avez nui à l'image de FIDUCIAL EXPERTISE tant au sein même de l'entreprise qu'à l'extérieur et porté le discrédit sur notre offre. Vous avez contribué à ruiner les efforts déployés par FIDUCIAL pour se porter acquéreur de la reprise de ce cabinet. Le préjudice subi par la société est considérable, compte tenu des frais d'études, d'avocat et de déplacements engagés dans ce dossier. De plus, le lundi 18 janvier 2010, lors de la signification de votre mise à pied, votre directeur de région vous a demandé de lui restituer vos clés de bureau. Vous avez en réalité déposé sur votre bureau un trousseau de clés qui s'est avéré être vos clés de voiture. Vous avez quitté le bureau à 11 h 45 gardant ainsi vers vous les clés du bureau. Nous avons retrouvé les clés du bureau, déposées dans la boite aux lettres de FIDUCIAL le lendemain matin, 19 janvier 2010. Ce 19 janvier au matin, nous avons constaté que des mouvements sur votre ordinateur professionnel avaient été effectués le 18 janvier entre 20 h 40 et 21hl0. Une collaboratrice a travaillé sur le dossier client CO... à partir de l'ordinateur de votre bureau le lundi 18 janvier 2010 après-midi, après la signification de votre mise à pied. Elle a constaté le 19 janvier 2009 que ce dossier avait disparu. Vous avez alors été contacté par Madame Y..., une collaboratrice de l'agence qui cherchait à récupérer ce dossier. Vous lui avez proposé de lui restituer ces documents que vous auriez, selon vos dires, supprimés par erreur, ce qui est l'aveu de votre retour à l'agence la veille au soir. Vous avez effectivement restitué à Madame Y... des fichiers lors d'un rendez-vous qui s'est tenu le 20 janvier 2010 à l'extérieur de la société. Tout indique que vous avez sciemment conservé les clés du bureau et pénétré dans les locaux de FIDUCIAL EXPERTISE, le soir même, hors des heures de travail, après la fermeture des locaux et ce alors que vous étiez mis à pied à titre conservatoire, pour faire disparaître toutes traces de données qui pouvaient vous compromettre. En votre qualité d'associé mandataire, expert-comptable et qui plus est de directeur, vous jouissez d'une grande liberté d'organisation et de responsabilité notamment hiérarchique sur l'ensemble des collaborateurs de l'agence de Dax. Cette fonction nécessite confiance et transparence. La révélation de vos agissements successifs au cours de ces derniers mois, votre comportement déloyal, vos dissimulations, vos mensonges avérés et votre duplicité rendent impossible le maintien de nos relations contractuelles. En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave qui deviendra effectif à compter de la première présentation de cette lettre recommandée à votre domicile par les services de la poste. (...) ». La lettre de licenciement énonce donc plusieurs griefs : d'une part, la candidature du salarié à la reprise d'un cabinet comptable dans le cadre d'une procédure judiciaire, à l'insu de son employeur ; d'autre part, le fait de ne pas avoir restitué les clés du bureau et d'avoir pénétré dans les locaux de la société, après sa mise à pied conservatoire, pour faire disparaître des documents informatiques. Ce deuxième grief est clairement dissocié du premier par la mention « de plus, le lundi 18 janvier 2010 (etc.) ». Sur la prescription : (¿) L'employeur avait donc connaissance de l'adresse personnelle de la messagerie électronique de Monsieur Laurent X..., qui devenait donc ainsi parfaitement identifiable dans la liste des repreneurs potentiels portés à sa connaissance dès le 25 septembre 2009, de sorte qu'il avait connaissance des faits plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement. La SA FIDUCIAL EXPERTISE ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'elle n'aurait eu connaissance de cette candidature qu'elle reproche au salarié que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure, qui a débuté par la convocation à l'entretien préalable le 18 janvier 2010. En conséquence, il y a lieu de dire ce premier grief prescrit. En revanche, le deuxième grief n'est pas prescrit dans la mesure où les faits reprochés au salarié ont été commis le 18 janvier 2010, soit le jour même de la mise à pied à titre conservatoire et de la convocation à l'entretien préalable. Sur le deuxième grief : Il convient de relever que la lettre de licenciement, qui sert de cadre strict au contrôle du juge, n'énonce pas, comme grief, le fait pour le salarié d'avoir utilisé le matériel informatique à des fins autres que professionnelles et dans l'intérêt de l'employeur, mais de n'avoir pas restitué les clés du bureau le jour de sa mise à pied à titre conservatoire et avoir, postérieurement à celleci, pénétrer dans les locaux de la société pour y faire disparaître des données informatiques. Monsieur Laurent X... soulève l'illicéité des moyens de preuve produits par la SA FIDUCIAL EXPERTISE au motif que ses fichiers personnels ne pouvaient pas être consultés par l'employeur sans son autorisation ou sans qu'il ait été prévenu. Il résulte des articles 9 du Code civil et L. 1121-1 du code du travail que si j'employeur ne peut, sans violation de la liberté fondamentale du salarié du respect de sa vie privée et du secret de sa correspondance, prendre connaissance, à l'insu du salarié, des messages personnels qu'il a émis et reçus au moyen d'un outil informatique à usage professionnel, et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur, c'est à la condition que cet outil ait été mis à la disposition de ce salarié pour son travail et que ces messages aient été localisés dans un fichier identifié comme personnel au salarié. La SA FIDUCIAL EXPERTISE a fait analyser l'ordinateur utilisé par Monsieur Laurent X... par la société KROLLONTRACK, société de récupération de données informatiques effacées ou altérées, analyse dont il a été dressé rapport en date du 17 mars 2010. Aucun élément de ce rapport ne permet d'établir que des fichiers analysés avaient été identifiés par l'utilisateur comme des fichiers personnels. Monsieur Laurent X... ne formule aucune critique à l'encontre de ce rapport d'analyse, et ne produit aucun élément de nature à permettre d'établir que certains des fichiers effacés et analysés avaient été identifiés par lui-même comme étant des fichiers personnels. L'employeur avait donc la possibilité de faire analyser ce matériel professionnel hors la présence ou l'information du salarié à qui ce matériel avait été confié pour un usage professionnel. Il résulte de ce rapport d'analyse que des fichiers ont été supprimés le janvier 2010 entre 20 h 40 et 21hl0. Monsieur Laurent X... a été mis à pied à titre conservatoire le 18 janvier 2010 à 11 heures et il a quitté l'entreprise le même jour à 11 h 45. Dans une attestation en date du 28 janvier 2010, Madame Marie-Christine Y... écrit : « j'atteste avoir pris contact avec le demandeur, dès que dans l'agence, nous avons constaté que certains documents, dossiers sur lesquels il avait travaillé, avaient disparu de ses fichiers informatiques. Reconnaissant immédiatement qu'en voulant récupérer des données personnelles, il avait effectivement dans la précipitation pris et effacé ces documents par erreur, Monsieur X... m'a proposé de me rencontrer à l'extérieur du cabinet afin de, par le biais de sa clé USB, nous les restituer. Ceci a été fait le jour même, soit le mercredi 20/ 01/ 2010 ». En outre, Monsieur Laurent X... ne conteste pas ni n'avoir pas remis les clés du bureau lors de la notification de sa mise à pied à titre conservatoire, ni être revenu dans les locaux de la société postérieurement à cette notification et en tout cas dans la soirée du 18 janvier 2010. Par conséquent il y a lieu de dire ce deuxième grief établi, constituant un motif réel et sérieux de licenciement. Mais, compte tenu de la nature de ces faits, de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, et de l'absence de sanction disciplinaire antérieure, il y a lieu de dire que ces faits ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, de sorte que la faute grave sera écartée » ;
1) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, le salarié faisait valoir, par conclusions déposées le 15 janvier 2013 (page 32) auxquelles la Cour d'appel a affirmé qu'il convenait de se référer, que le rapport d'analyse de son ordinateur portable professionnel que l'employeur avait fait établir unilatéralement ne pouvait être retenu dès lors que l'employeur avait conservé par devers lui l'ordinateur pendant un mois après la mise à pied avant de l'adresser à la société chargée d'en analyser les données et qu'il était précisé en conclusion de ce rapport que « nos opérations techniques mettent en évidence des manipulations effectuées sans respect des règles de l'art liées à l'analyse de traces informatiques " Post Mortem ", après la restitution de l'ordinateur. Ces manipulations ont modifié et altéré tous les éléments probatoires susceptibles d'être mis en évidence et en ont écarté toute recevabilité » ; qu'en affirmant cependant que « Monsieur Laurent X... ne formule aucune critique à l'encontre de ce rapport d'analyse », la Cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ;
2) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions aux-quelles la Cour d'appel a affirmé qu'il convenait de se référer, monsieur X... contestait expressément (pages 30 et 31) avoir conservé les clefs de l'entreprise et s'y être rendu pendant sa mise à pied et spécialement le 18 janvier 2012 au soir, offrant de prouver le contraire (pièce d'appel n° 18) ; qu'en affirmant cependant que « Monsieur Laurent X... ne conteste pas ni n'avoir pas remis les clés du bureau lors de la notification de sa mise à pied à titre conservatoire, ni être revenu dans les locaux de la société postérieurement à cette notification et en tout cas dans la soirée du 18 janvier 2010 », la Cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ;
3) ALORS QUE la simple erreur ne caractérise pas une faute susceptible de fonder un licenciement disciplinaire ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a elle-même constaté que madame Y... attestait que c'est « par erreur » que monsieur X... aurait « pris et effacé » sur son ordinateur professionnel des données appartenant à l'entreprise ; qu'en imputant cependant à faute à monsieur X... le fait d'avoir fait « disparaître des données informatiques », sans caractériser que la disparition des fichiers procédait d'une volonté délibérée de monsieur X..., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1235-1 du Code du travail ;
4) ALORS subsidiairement QUE le refus par le salarié d'exécuter une mise à pied conservatoire n'est fautif qu'autant que son comportement antérieur est de nature à justifier une telle mesure en ce qu'il caractérise une faute grave ; qu'en imputant en l'espèce à faute au salarié le fait de n'avoir prétendument pas rendu les clefs de l'entreprise et d'y être retenu après sa mise à pied à titre conservatoire quand il ressortait de ses propres constatations que cette mise à pied était injustifiée, les faits prétendument constitutifs d'une faute grave reprochés au salarié (autres que le non respect de la mise à pied) étant prescrits, la Cour d'appel a violé les articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du Code du travail.