LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1167 du code civil ;
Attendu que les créanciers peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 décembre 2012), que par acte du 12 août 2006, la Banque populaire Côte d'Azur (BPCA), a consenti à la société Mysil un crédit-bail d'un montant de 23 903, 80 euros, pour le remboursement duquel Mmes X... et Y... se sont portées cautions solidaires ; qu'à la suite de loyers impayés, la BPCA a résilié le contrat le 24 septembre 2008 et a réclamé aux cautions le paiement des sommes dues ; que par acte authentique du 31 octobre 2008, Mme X... a apporté un bien immobilier lui appartenant à la société civile immobilière MJO (la SCI) créée le même jour entre elle-même et M. Z... ; que par ordonnance de référé du 8 juillet 2009 du tribunal de commerce de Draguignan, la société Mysil, Mmes X... et Y... ont été condamnées solidairement à payer à la BPCA la somme de 21 516, 29 euros ; que la BPCA a assigné Mme X... et la SCI sur le fondement de l'article 1167 du code civil en inopposabilité de l'apport réalisé le 31 octobre 2008 ; que M. Z... est intervenu volontairement à l'instance ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que l'apport en société du bien immobilier a permis à Mme X... d'obtenir la contribution de son associé, M. Z..., au paiement de la somme de 12 823, 57 euros due au Crédit foncier au titre des arriérés de remboursement de l'emprunt souscrit pour l'acquisition du bien immobilier en cause ainsi que l'engagement de la SCI de rembourser le prêt, que cet apport, qui représentait la valeur nette du bien immobilier à la date à laquelle il a été apporté, n'est pas un appauvrissement de Mme X..., qu'en tant que titulaire de la moitié des parts de la SCI MJO, elle reste indirectement titulaire de la moitié de la valeur du bien immobilier, que pour la BPCA, le transfert du bien immobilier du patrimoine direct de Mme X... en des parts sociales de celle-ci rend son gage moins aisé à saisir, mais qu'une saisie du bien immobilier par le Crédit foncier en cas de non prise en charge des échéances impayées, finalement réglées par l'associé de Mme X... entraînait le risque d'une licitation à un montant servant juste à indemniser le Crédit Foncier, sans certitude d'un reliquat pour la BPCA et qu'il n'est pas sûr que ce transfert ait réellement diminué le gage de la BPCA, que la complicité frauduleuse de la part de la SCI n'est pas établie alors que celle-ci s'est engagée à prendre en charge le remboursement du prêt, que Mme X..., en tant que titulaire de la moitié des parts de la SCI, propriétaire d'un bien immobilier dont le remboursement du crédit est assuré n'est pas insolvable et que la BPCA ne prouve pas qu'elle soit dans l'impossibilité de recouvrer sa créance sur Mme X... ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas d'écarter l'existence d'un appauvrissement de la débitrice et son insolvabilité apparente à la date de l'acte, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 décembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme X... à payer à la société Banque populaire Côte d'Azur la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delvolvé, avocat aux Conseils, pour la société Banque populaire Côte d'Azur
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE D'AVOIR débouté la société BPCA de son action paulienne tendant à lui voir déclarer inopposable l'acte d'apport en société effectué par Mme X... au profit de la société MJO le 31 octobre 2008,
AUX MOTIFS QUE le créancier agissant en fraude paulienne devait établir l'existence d'une créance certaine en son principe antérieure à l'acte suspect ; que le créancier était la société BPCA ; que cette banque avait passé un contrat de crédit-bail avec la société MYSIL le 12 août 2006 ; que le même jour, Mme X... s'était portée caution solidaire de la société MYSIL ; qu'à la suite des impayés de la société MYSIL, la société BPCA avait mis en demeure le 9 avril 2008 la société MYSIL de payer la somme de 30. 536, 12 ¿ représentant les loyers impayés plus l'indemnité de résiliation ; que par lettre recommandée avec avis de réception du même jour, reçue le 10 avril 2008, Mme X... en sa qualité de caution avait été avisée par la BPCA de ce qu'elle était susceptible de devoir payer cette somme en raison de son cautionnement ; que la société MYSIL ne s'étant pas acquittée de la somme demandée, la société BPCA avait procédé à la résiliation du contrat de crédit-bail et avisé, par lettre recommandée avec avis de réception signé le 25 septembre 2008, Mme X... de ce qu'elle était redevable au titre de son cautionnement d'une somme de 27. 539, 65 ¿ ; que par la suite, Mme X... avait été condamnée par ordonnance de référé du président du Tribunal de commerce de DRAGUIGNAN du 8 juillet 2009 à payer sur ce fondement, à titre provisionnel, la somme de 21. 150 ¿ solidairement avec la société MYSIL et Mme Y..., autre caution, à la société BPCA ; qu'à la date de l'acte suspect de fraude paulienne, le 31 octobre 2008, la créance de la société BPCA contre Mme X... était certaine en son principe ; que l'acte suspect devait être un acte d'appauvrissement du débiteur, qui avait conscience de causer un préjudice à son créancier ; que l'existence de la fraude paulienne supposait que le débiteur eût cherché, par l'acte suspect, à diminuer le gage du créancier alors que sa situation financière ne lui permettait pas d'honorer sa dette ; que le caractère frauduleux s'appréciait à la date de l'acte suspect ; que l'acte suspect était un acte d'apport du 31 octobre 2008 ; que cet acte était compris au sein d'un acte authentique du 31 octobre 2008 reçu par Me A..., passé par Mme X... et M. Z... ; qu'il s'agissait de la constitution d'une société civile immobilière dénommé MJO, dont le siège social était fixé au LUC, 440 quartier Rompe Coual, qui correspondait au domicile de Mme X... ; que cette société avait pour objet l'acquisition, la gestion, l'exploitation de tous biens immobiliers et toutes opérations s'y rattachant ; que les deux associés étaient titulaires chacun de la moitié du capital social, fixé à 320. 000 ¿ ; que les deux associés étaient cogérants ; que me X... apportait en nature un bien immobilier consistant en une maison d'habitation sises au LUC, 4440, quartier Rompe Coual, qui correspondait à son domicile ; qu'il était précisé que ce bien immobilier était d'une valeur brute de 320. 000 ¿ mais que la société prenait en charge le remboursement de la somme à rembourser au Crédit Foncier de France, soit 160. 000 ¿, de sorte que la valeur de cet apport était fixée à 160. 000 ¿ ; que l'acte précisait que M. Z... apportait la somme de 160. 000 ¿ en numéraire mais qu'à la date de l'acte cette somme n'avait pas été versée ; que ce bien immobilier du LUC, apporté à la SCI MJO avait été acquis le 15 février 2001 par Mme X... au prix de 198. 183 ¿ ; que Mme X... avait souscrit pour acquérir ce bien un prêt de l'intégralité du prix, 198. 183, 72 ¿, auprès du Crédit Foncier de France, remboursable en 25 ans ; qu'à la date de l'apport en société, le capital à rembourser représentait 167. 013, 09 ¿ ; qu'à cette date Mme X... devait un impayé de mensualités de crédit de 12. 823, 57 ¿ ; qu'il résultait d'un document comptable de Me A..., notaire, que M. Z..., associé de Mme X... dans la SCI MJO, avait payé cet arriéré de crédit de 12. 823, 57 ¿ au Crédit Foncier de France ; que la mise en société du bien immobilier avait permis à Mme X... d'obtenir la contribution de son associé, M. Z..., au paiement des sommes dues au Crédit Foncier de France ; que si les dispositions de cet acte du 31 octobre 2008 n'étaient pas opposables au Crédit Foncier de France, elles s'imposaient à M. Z..., coassocié de Mme X... ; qu'il ne pouvait être dit que cet apport en société, comprenant engagement de la société au paiement du remboursement du prêt de Mme X..., avait été un acte d'appauvrissement de celle-ci alors que cela lui avait permis d'assurer la prise en charge de son crédit ; que l'apport en société représentait la valeur nette du bien immobilier à la date à laquelle il avait été apporté ; qu'en tant que titulaire de la moitié des parts de la SCI MJO, Mme X... restait indirectement titulaire de la valeur du bien immobilier ; que cet acte ne contribuait pas à son appauvrissement ; qu'il lui avait permis de conserver son capital par l'association de son associé dans la prise en charge du remboursement du prêt ; que pour la société BPCA, le transfert du bien immobilier du patrimoine direct de Mme X... en des parts sociales de celle-ci rendait son gage moins aisé à saisir, mais une saisie du bien immobilier par le Crédit Foncier en cas de non prise en charge des échéances impayées, finalement réglées par l'associé de Mme X..., eût entraîné le risque d'une licitation à un montant servant juste à indemniser le Crédit Foncier, sans certitude d'un reliquat pour la société BPCA ; qu'il n'était pas sûr que ce transfert eût réellement diminué le gage de la société BPCA ; qu'aucune complicité frauduleuse de la part de la SCI MJO n'était établie, alors que celle-ci s'était engagée à reprendre en charge le remboursement du prêt ; que Mme X..., en tant que titulaire de la moitié des parts de la SCI MJO, propriétaire d'un bien immobilier dont le remboursement du crédit était assumé, n'était pas insolvable ; que la société BPCA ne prouvait pas qu'elle fût dans l'impossibilité de recouvrer sa créance sur Mme X... ; que par ailleurs, la société BPCA avait obtenu en référé une condamnation solidaire de Mme Y... à lui payer sa créance ; qu'elle était libre de recouvrer l'intégralité de sa créance sur Mme Y..., à charge pour cette dernière de se retourner contre Mme X... ; que si elle avait accordé un calendrier de paiement à Mme Y... pour partie de sa créance, c'était une décision de son fait, alors qu'elle pouvait la recouvrer intégralement sur elle,
ALORS, PREMIEREMENT, QUE l'action paulienne permet à un créancier d'attaquer tout acte d'appauvrissement passé par son débiteur en fraude de ses droits ; que constitue un acte d'appauvrissement susceptible d'être attaqué par la voie de l'action paulienne l'acte qui fait sortir un bien ou une valeur du patrimoine du débiteur sans contrepartie ou l'acte qui, en modifiant la consistance du patrimoine du débiteur, rend le gage du créancier plus difficile à réaliser ; qu'il en est ainsi d'un acte d'apport d'un bien immobilier en société qui a pour effet de substituer à un bien immobilier facilement saisissable des parts sociales de moindre valeur plus difficiles à appréhender ou à négocier ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'en contrepartie de l'apport en société de son bien immobilier, d'une valeur de 320. 000 ¿, Mme X... avait reçu des parts sociales d'une valeur de 160. 000 ¿, soit la moitié de la valeur de ce bien immobilier et que pour la société BPCA, cette substitution de parts sociales à un bien immobilier dans le patrimoine de sa débitrice rendait son gage moins aisé à réaliser ; qu'en écartant néanmoins l'existence d'un acte d'appauvrissement susceptible d'être attaqué par la voie de l'action paulienne, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1167 du code civil,
ALORS, DEUXIEMEMENT, QUE le motif hypothétique ou dubitatif équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, pour écarter tout appauvrissement de Mme X... au préjudice de la société BPCA, la cour s'est bornée à retenir que l'existence d'un reliquat pour la société BPCA en cas de saisie du bien immobilier litigieux était « sans certitude » et qu'il n'était donc « pas sûr que ce transfert ait réellement diminué le gage de la BPCA » ; qu'en se déterminant dans des termes purement dubitatifs, sans procéder à la moindre constatation certaine sur la perte de valeur du gage de la société BPCA, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,
ALORS, TROISIEMEMENT, QUE l'acte d'appauvrissement susceptible d'être attaqué par l'action paulienne doit avoir créé ou aggravé l'insolvabilité du débiteur ; que la preuve d'une apparente insolvabilité du débiteur à la date de l'acte suspect suffit à justifier la fraude paulienne ; qu'en l'espèce, en se bornant à retenir que Mme X... était actuellement titulaire de la moitié des parts de la SCI MJO et que la société BPCA ne démontrait pas son impossibilité de recouvrer sa créance, sans rechercher, comme il lui avait été demandé, si les pièces produites par la banque n'étaient pas de nature à faire la preuve de l'insolvabilité apparente de Mme X... à la date de l'acte suspect, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil,
ALORS, QUATRIEMEMENT, QUE la condition tenant à l'insolvabilité du débiteur s'apprécie à la date de l'acte suspect ; qu'en retenant que Mme X... n'était pas insolvable, la cour d'appel s'est placée à la date de sa décision pour apprécier l'existence de cette condition et a ainsi violé l'article 1167 du code civil,
ALORS, CINQUIEMEMENT, QUE la fraude paulienne n'exige pas la preuve de l'intention de nuire du débiteur mais seulement celle de la connaissance que ce dernier avait du préjudice causé au créancier par l'acte suspect ; qu'en l'espèce, ayant énoncé que la fraude paulienne supposait la conscience du débiteur de causer un préjudice à son créancier et sa recherche d'une diminution du gage de celui-ci, soit l'intention de nuire du débiteur, la cour s'est exclusivement déterminée au regard de l'absence d'intention malicieuse de Mme X... qui, par l'acte litigieux, avait cherché à préserver les intérêts de son principal créancier, la Crédit foncier de France, tiers au litige ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser l'ignorance dans laquelle aurait été le débiteur du préjudice causé au créancier poursuivant, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil,
ALORS, SIXIEMEMENT, QUE le débiteur qui, étant poursuivi par un créancier chirographaire en sa qualité de caution à la suite de la mise en liquidation du débiteur principal, fait apport d'un bien immobilier à une société civile immobilière qu'il constitue à cette occasion, a nécessairement connaissance du préjudice qu'il cause à ce créancier en modifiant la consistance de son gage ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que Mme X..., mise en demeure le 25 septembre 2008, en sa qualité de caution, de régler la dette de la société MYSIL, a constitué la SCI MJO et lui a fait apport de son bien immobilier le 31 octobre 2008 ; qu'il se déduisait de ces seules circonstances la nécessaire connaissance que Mme X... avait du préjudice causé à la société BPCA ; qu'en excluant néanmoins la fraude du débiteur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1167 du code civil,
ALORS, SEPTIEMEMENT, QUE de même, la complicité frauduleuse de la société spécialement constituée aux termes de l'acte suspect pour recevoir l'apport s'infère nécessairement de cet acte ; qu'en l'espèce, selon les propres constatations de l'arrêt attaqué, la constitution de SCI MJO entre Mme X... et M. Z... et l'apport en société ont été régularisés par le même acte notarié du 31 octobre 2008, cinq semaines après la réception de la mise en demeure de la société BPCA ; qu'il s'en déduisait que la SCI MJO avait nécessairement connaissance du préjudice ainsi causé à ce créancier ; qu'en excluant néanmoins sa complicité frauduleuse, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1167 du code civil,